Marchant dans le labyrinthe tortueux que forment les rues de la ville, Sazh se dirige vers l’un de ses clients, un maître brasseur notoire dans les environs et plus encore. Pour boucler les fins de mois, le pilote effectue également quelques livraisons ici et là, lorsque les trajets et le temps le lui permettent. En fait, il accepte ces quelques heures supplémentaires au bout de la semaine pour gonfler ses revenus et rénover la chaumière d’enfance de ses parents. Pour l’instant, lorsque le travail ne le leste pas, il maraude dans la jungle d’Illusiopolis, dans une tour à logements si haute qu’elle semble effleurer même le ciel noir d’encre de la cité. Il est prêt à sacrifier un peu de son confort momentané pour passer ses vieux jours dans le domicile de tous ses rêves.
D’une des profondes poches de son manteau, Sazh défouraille un morceau de papier sur lequel est indiquée une adresse. À vrai dire, il ne connaît le Jardin Radieux qu’en surface : un numéro et un nom de rue le laissent dans la confusion la plus totale. Il interpelle donc quelques passants qu’il croise au fil de ses pérégrinations. Plus il s’approche de sa destination, plus les renseignements sont précis, exacts. Il atterrit ultimement devant deux grandes portes : d’un premier regard, il ne pourrait savoir s’il s’agit d’une taverne ou d’une maison; il n’en porte pas trop attention et décide de toquer à la porte comme le ferait n’importe quel livreur. Pendant qu’il attend, il replace un peu son manteau, passe sa main dans ses cheveux question de défier les caprices du vent et resserre l’étreinte de sa ceinture, dissimulant ses pistolets au passage.
La porte s’entrouvre dans un grincement qui fait frémir même l’âme des plus intrépides. Aux faibles lueurs qui éclairent l’intérieur du bâtiment, Sazh discerne la silhouette décidément singulière d’un panda sur deux pattes. La bête est énorme, costaude et une armée de 40 dents acérées fait office de sourire. Un peu bouleversé par ce qu’il aperçoit – de telles créatures ne pullulent pas dans les rues du Jardin Radieux –, Sazh tend le colis, abandonnant en même temps un déferlante de rires. C’est un rire jaune, un peu désorienté, à lequel il ajoute des propos crachant de malaise :
« Un panda ! S’il y a bien une chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’est bien ça ! »
Sazh baisse le regard en constatant l’ampleur de ce qu’il vient de dire. Il n’est pas particulièrement xénophobe, ni même raciste, même il faut avouer que de rencontrer un panda dans une foule de bohèmes était fort inattendu. Comme pour défendre son intégrité, Sazh opte pour une voix des plus cassantes et ajoute quelques mots empreints d’incertitude à sa litanie :
« Non, mais attends… Je veux pas que tu croies que j’ai un truc contre les pandas. J’ai même un pote à Illusiopolis, un raton laveur. C’est cool, la diversité. »
D’un geste prompt, Sazh gratte la cime de sa tête. Il est décidément embarrassé par la tournure de ses phrases. Il aimerait bien déposer le colis sur le seuil de la demeure et détaler comme un vulgaire criminel, mais le mal est déjà fait et sa journée de travail est terminée; autant assumer son attitude pataude en déviant un peu la direction de cette conversation. Il regarde donc autour de lui un moment, rive son regard sur la boîte qu’il tient toujours fermement dans ses mains et se remémore la raison de sa venue ici : une issue de secours.
Il plonge sa main dans son manteau et en ressort quelques misérables munnies. À vue de nez, il ne pourrait même pas se payer un verre d’eau. Un soupir se faufile entre ses lèvres alors qu’il range son argent et arbore un visage presque pitoyable; non, décidément pathétique.
« Alors, M. Stormstout, c’est bien ça ? Tu me fais goûter à l’une de tes bières, tu me montres comment tu brasses le tout, et on oublie ce que tu me dois pour la livraison. Marché conclu ? »
Après tout, toute cette mission ne lui rapporte qu’une vingtaine de munnies. Pas la peine de se mettre à dos tous les pandas de l’univers pour une poignée de monnaie et des balbutiements insouciants. Et bon, retourner à Illusiopolis lui laisse un amer arrière-goût : autant profiter de cette occasion pour se défaire un peu du cercle vicieux de l’isolement. En tout cas, c’est ce que lui disent les thérapeutes de fond de taverne à Illusiopolis.