Il fait noir dans la pièce, il n’y a qu’au fond qu’elle est éclairée. D’ici, je suis encore invisible. Je saisis la clé et la dissimule dans mon vêtement. Personne ne sait que je suis ici. Personne ne saura. J’approche, toujours aussi discrète, j’ôte ce tissus qui m’avait jusque là ôtée toute identité. Je prends cette expression neutre qui me caractérise au sein de la Coalition, celle qui déplait à ceux que j’aime.
Un sursaut. Je suis inattendue.
-Vous étiez trop concentré sur votre bec à gaz.
-Oui…! Il ne fonctionne pas.
Il me prête à peine attention, il reste penché sur son dispositif, il chipote. Cela m’énerve. Je viens pour lui en ce grand jour, et j’ai à peine droit à trois secondes de son attention. J’imite un raclement de gorge. Il repose ses yeux sur moi.
-On ne vous voit plus trop depuis que Death a repris en main les choses ici ?
-Il est certain que du moment où quelqu’un a su s’imposer, j’ai perdu toute attention. Sans doute cela se fera-t-il sentir au niveau du budget alloué à l’aile scientifique. Mais ce n’est pas le sujet.
-Si vous avez des réclamations à me faire part, je me ferai une joie d’en faire part à ma hiérarchie.
-Rassurez-vous, je suis encore capable de faire connaître mon opinion à qui de droit.
-Comme vous voulez.
-Vous n’avez toujours pas répondu.
Je fais mine de réfléchir. Qui aurait cru que je prendrais mon temps en pareille occasion ?
-Savoir quoi ?
-L’affaire DeWitt.
-Oui ? Qu’y a-t-il avec l’affaire DeWitt ?
-Pourquoi y ai-je été envoyée ?
-Que voulez-vous dire ?
-Pourquoi avez-vous voulu que j’enquête sur cette affaire ?
-Eh bien, dans pareil cas, il faut bien une enquête, d’autant que c’était l’un des nôtres. Vous avez été désignée un peu au hasard. Le fait que vous le connaissiez ne semblait pas être d’une importance capitale. Il nous a donc semblé opportun que vous vous en chargiez.
-Et j’ai fait cette enquête.
-Et vous n’avez rien trouvé du tout.
-Non ?
Un soupçon de regard suffit à le désarçonner. Il n’a désormais d’yeux que pour moi. Je suis parfaite quand il s’agit de capter leur attention. Pas à la façon de ces courtisanes non, mais quand je sais trouver les bons arguments pour être prise au sérieux. Je hisse mon corps sur une table, de façon à le narguer, négligemment installée sur son travail.
-Je veux vous l’entendre dire.
-Dire quoi, Mademoiselle Earl ? Dire quoi, bon sang ?!
-Que vous êtes responsable. Vous plus que ceux dont j’ai vus le cadavre, là, sur les lieux du crime, il y a déjà quelques mois.
-Quoi ?! Mais…vous… vous êtes folle ! Qu’aurais-je à gagner, dans pareille affaire ? Pourquoi en serais-je responsable ?
-Plus qu’un scientifique, vous avez longtemps été une personne d’importance ici, vous avez décidé de qui faisait quoi. Tandis que Mademoiselle se pavanait en flanelles dans son palais, vous goutiez au pouvoir ici, au vrai pouvoir, à celui qui choisit qui vit et qui meurt.
-Je n’ai fait que vous envoyer enquêter sur les lieux. Pour le reste, je ne sais rien. Etaient-ils seulement mandatés par quelqu’un, étaient-ils payés ? Je ne saurais le dire, et je m’en fiche !
Je sens son irritation. Cet homme n’a pas la volonté suffisante pour me résister bien longtemps. Il n’a pas eu le temps de se préparer à mon interrogatoire, il est pris sur le fait, et c’est à mon avantage.
-Mais… de quoi ?! Et au nom de quoi, vous parlerais-je ? Au nom de quelle hiérarchie avez-vous des droits sur ma connaissance de l’affaire ?
-Je prends ce droit, par la sacrosainte loi du plus fort.
-Sortez !
-Non.
Je reste plantée sur ce bureau, bien décidée à ne pas en bouger. Il n’ose même pas m’approcher, et encore moins me toucher. Combattre, en est-il seulement capable ?
-Non.
-Parlez, ou je vous ferai parler.
Je me lève et j’approche.
J’approche encore, je me tiens à quelques centimètres.
Je suis maintenant contre lui.
Son visage est livide, tremblant, fébrile. Ce n’est pas la première fois que je désire la mort, et cette fois-ci n’est pas aussi intense qu’en la toute première occasion, mais l’envie est bien là.
-Que voulez-vous savoir ?
-Tout. Avez-vous mandaté ces hommes ?
-O…Oui…
-Avez-vous ordonné la mort de la fille.
-Non.
-Et la torture ?
-…
-L’avez-vous fait ?
Ma voix se fait plus forte, plus ferme. S’il y avait quelqu’un dans le couloir, il m’aurait certainement entendu.
-Alors… Vous… vous vous êtes bien foutus de ma gueule.
-Non… Je…
-Il ne vous fallait que donner l’apparence d’un semblant d’enquête. Vous saviez… vous pensiez qu’il n’y aurait rien à trouver. Alors autant envoyer n’importe qui pour faire ce semblant de boulot.
-Ce n’était pas contre vous…
-Mais de la main de l’être pur, d’un être brisé et déçu, la vérité s’est glissée dans mes doigts. Elle m’a dit que vous vous jouiez de moi.
-Non… ce…
-Et je suis fatiguée qu’on se joue de moi.
Je saisis un couteau à ma ceinture et lui présente sans aucune trace de jouissance. Je n’ai jamais été sadique.
-Non… ne..
-Je suis fatiguée de passer derrière vous et de ramasser vos ordures.
-N’allez pas croire…
-Je suis fatiguée de jouer votre jeu et de vous couvrir en donnant l’impression aux habitants qu’il existe des lois auxquelles nul ne peut échapper.
-A…A l’aide…!
Il s’échappe de mon emprise et, maladroitement, se dirige vers la porte, celle que j’ai fermée quelques instants plus tôt. Il trébuche, mais y parvient. Il secoue la poignée, il se débat contre elle, mais la porte ne cède pas.
Je le rejoins bientôt et bâillonne son visage plein d’effroi. Il me supplie du regard de lui accorder clémence. C’est toujours plus facile de supplier quand notre vie en dépend. Je saisis son corps de scientifique et le traîne au centre de la pièce pendant qu’il se débat. Je finis par le lâcher, il recule, et trébuche à nouveau, mais s’écroulant cette fois lourdement. Je ne peux pas m’empêcher d’émettre un petit rire narquois, plus pour la chute que pour la situation. Je saisis la lame que je lui avais présentée une minute plus tôt et le maintiens couché à terre grâce à mon pied sur son thorax.
Il secoue la tête, il me dit non.
La pointe de mon couteau s’enfonce d’un coup d’un seul en plein dans sa gorge. Il y a d’abord quelques étouffements, le sang qui sort abondamment et puis la vie qui s’éteint dans ce corps tandis que le parquet de ce bon vieux manoir se teint de rouge.
Dernière édition par Vesper Earl le Sam 11 Juin 2016 - 18:46, édité 3 fois