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Nous sommes quatorze ans après les évènements de Kingdom Hearts 2. En tant d’années, les choses ont considérablement changé. Les dangers d’hier sont des soucis bénins aujourd’hui, et au fil du temps, les héros ont surgi de là où on ne les attendait pas. Ce sont les membres de la lumière qui combattent jour après jour contre les ténèbres.

Ce n’est plus une quête solitaire qui ne concerne que certains élus. C’est une guerre de factions. Chaque groupe est terré dans son quartier général, se fait des ennemis comme des alliés. Vivre dehors est devenu trop dangereux. Être seul est suicidaire. A vous de choisir.

La guerre est imminente... chaque camp s'organise avec cette même certitude pour la bataille.

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Sazh
Katzroy

Le dernier des résignés | 41 ans | Shinra | Humain | Domaine Enchanté
Des vandales ont amoché mon vaisseau. En fait, ils ont amoché ce qu'il restait de mon vaisseau. Il faut dire que c'était déjà un sacré tas de ferraille : à chaque fois que je l'utilisais, j'implorais les cieux et je priais des dieux dont j'ignorais l'existence pour éviter qu'il n'implose avant d'arriver à destination. Tout de même, il fonctionnait, mais là, c'est peine perdue. Ces... tocards ont décidé de bousiller le moteur, de souiller les hublots et même d'écrire des trucs pas très gentils dans le cockpit. Je me retrouve donc sans véhicule fixe, et que fait-on si on doit voyager ? On tait sa haine pour les transports en commun et on les emprunte à contrecœur !

Au début, j'ai essayé le train, mais les gares trop bondées me donnaient des envies suicidaires. En fait, je n'ai pas trop apprécié le brouhaha ambiant. Là-bas, les gens se bousculent dans tous les sens et ne s'excusent même pas; pire, ils crient toujours un peu plus fort pour être entendus. Prendre le train me donnait des migraines incroyables, alors j'ai opté pour les bus spatiaux. Je me suis rapidement rendu compte que c'était pas du tout pour moi. Je ne pourrais pas dire exactement ce qui m'a déplu, probablement l'odeur de sueur qui planait sans cesse et le fait d'être entassé les uns sur les autres. Ouais, avec un peu de recul, c'est assurément ça.

Je me suis soumis à ma triste réalité et j'ai réalisé que je n'avais pas assez de munnies et de temps pour me procurer et entretenir un nouveau bolide. J'ai donc décidé d'emprunter un transport en commun alternatif : les navettes-taxis. Franchement, c'est beaucoup plus calme et on peut faire de très longues distances en un temps record. Qui plus est, on n'est pas confronté à la cacophonie et les odeurs un peu âcres dans lesquelles les cars et les trains baignent. C'est un peu plus cher, bien sûr, mais je suis prêt à débourser un peu plus pour le confort et la paix. C'est un juste milieu, un bon compromis comme qui dirait.

Je dois préciser que je suis un voyageur assez assidu. Il m'arrive deux ou trois par mois de quitter mon petit patelin pour affronter la vie réelle. Jusqu'à présent, je suis allé m'entraîner auprès d'un curieux satyre, j'ai déjà foulé la montagne du destin et la Terre des Dragons; en fait, j'ai mis le pied dans pas mal d'endroits. Aujourd'hui, je me dirige vers le Domaine Enchanté comme un bon touriste. Je connais une fille qui y habite depuis nombre d'années, et ça fait très longtemps qu'on n'a pas discuté tous les deux. Pourquoi pas maintenant, que je me suis dit.

Dans le hangar Shinra, j'attends la prochaine navette. Je ne suis pas le seul à attendre un transport, mais on n'est pas beaucoup non plus. Trois ou quatre quidams comme moi, peut-être cinq au maximum. Ils ont tous l'air blasés, mais je fais comme si je ne les voyais pas. Je n'ai surtout pas envie de croiser un regard ou, pire, de devoir entamer une discussion avec l'un d'entre eux. De façon générale, je suis plutôt bon vivant et j'apprécie les gens, mais ceux qu'on rencontre dans les hangars sont toujours un peu... détraqués. Je préfère le silence et la solitude pour le moment.

Devant mes yeux, une navette atterrit. D'un bond, je me lève et je ne bouge plus, signifiant que je suis prêt à partir vers d'autres lieux. Le chauffeur ouvre son hublot, en sort sa main et me fait signe d'avancer, ce que je fais sans attendre une seconde de plus. Je pourrais bien m'asseoir sur le siège à l'avant, mais je décide finalement de m'asseoir sur celui à l'arrière. Si l'envie de piquer une sieste se fait sentir, c'est toujours plus poli de ne pas le faire aux côtés du chauffeur -  un peu de courtoisie, que diable !

J'entre donc par la porte arrière et je m'assois sans ne rien dire. Le chauffeur pianote sur l'interface de son véhicule. Ses mouvement sont plutôt lents. Ses doigts se posent sur l'écran sans aucune volonté. D'un premier coup d'œil, ce type me semble totalement fatigué. Je ne le juge pas, même que je comprends sa nonchalance : un boulot comme celui-là devient rapidement lassant. Il a peut-être la chance de parcourir les routes stellaires à tous les jours, mais après un temps, les astéroïdes qui passent à deux centimètres du cockpit ne deviennent que des obstacles et les étoiles commencent à aveugler plutôt qu'à émerveiller.

« Alors, on va où ? » qu'il me demande.

Le chauffeur ne se retourne pas pour me poser cette question. Je ressens comme une lueur de fatalisme dans sa voix, comme si le pauvre était condamné à transporter des étrangers de monde en monde jusqu'à la fin des temps. Je n'en porte pas plus longtemps attention et je réponds en bonne et due forme :

« Au Domaine Enchanté, je vous prie. »

« Oh. »

« Il y a un problème ? »

« Non, pas de souci, bonhomme. C'est que... j'ai pas mal de souvenirs qui traînent au Domaine Enchanté : des histoires non-réglées et des problèmes que j'essaie d'éviter, tu vois. »

« Vous avez vécu là-bas ? »

« Ouaip, même que j'y suis né. »


La forêt
des éperdus

Sous les lueurs orangées du crépuscule, deux enfants, un jeune garçon et une fillette d'à peine huit ans, courent sans lendemain. N'ayant de souci que l'heure de leur couvre-feu, ils dansent et jouent dans les champs dorés qui encerclent leur demeure. Le garçon tient dans ses mains une balle qu'il lance verticalement pour attirer l'attention de son amie. Elle s'immobilise aussitôt en contemplant la balle dessiner une parabole avant d'atterrir un peu plus loin entre deux épis. D'un ton compétiteur, il lance :

« Eh ! Tali, je parie que je peux lancer la balle près de l'épouvantail ! »

« Tu parles ! Moi, je parie que je peux la lancer de l'autre côté du ruisseau. »

« Et moi jusque dans la forêt ! »

« Oh, tu exagères ! Je ne te crois pas, Sazh. »

D'un bond, Sazh se dirige vers la balle et l'empoigne. Il la lance en direction de son amie, qui l'attrape sans attendre. Elle saute sur place, analyse le paysage un moment et prépare son élan. Elle fait quelques pas en arrière, puis des enjambées plus rapides vers l'avant avant de dessiner un arc de cercle avec son bras. La balle fend l'air, effleure l'épouvantail, traverse le ruisseau et atterrit quelques mètres devant la forêt. Fière d'elle, elle lance un regard rivalisant vers Sazh.

Impressionné, il traverse les champs et court en direction de la balle avant de la prendre et de revenir sur place. À son tour, il ancre ses pieds au sol et respire longuement. Du haut de son orgueil enfantin, il ne pourrait se permettre de perdre le pari, mais la forêt est bien loin et il semble perdre confiance momentanément.

« Jusque dans la forêt, tu dis ? Je parie que ta balle ne traversera même pas le ruisseau. »

La voix de Tali provoque Sazh, qui inspire avant de se préparer à lancer la balle vers la forêt, ou du moins de l'autre côté du petit cours d'eau. Malheureusement, comme affecté par un mauvais coup du destin, le projectile glisse sur sa paume et déferle à peine quelques mètres plus loin. Honteux, il se précipite vers la balle et la prend. Il la serre de toutes ses forces en essayant d'oublier les rires moqueurs de son amie : il y arrivera.

Cette fois-ci, il ne pense pas, ne se prépare pas. Il plie simplement les genoux et lance la balle le plus fort qu'il peut. Celle-ci plane bien au-dessus de l'épouvantail, n'est même pas arrosée par le ruisseau et finit sa trajectoire entre deux buissons dans la forêt. Aussi surpris de Tali par sa force physique inattendue, il laisse s'échapper un « oh ! » qui fait écho dans les plaines.

Pendant plusieurs secondes, les deux amis restent immobiles, obnubilés par la puissance du jeune garçon. D'un ton qui danse entre l'étonnement et l'admiration, Tali prononce quelques syllabes qui se perdent dans le silence alors que Sazh plisse les yeux en cherchant au loin sa balle. Ne la trouvant pas, il chuchote :

« Allez, allons chercher la balle ! »

« Mais ta mère nous a bien interdit d'aller dans la forêt. C'est dangereux et-- »

« T'as la frousse, c'est ça ? »

« Non, je... Allez, on y va ! »

La main de Sazh glisse sur le bras de son amie jusqu'à atteindre son poignet. Machinalement, leur doigts s'entrecroisent avant de se fusionner. En même temps, ils s'élancent dans une course effrénée jusque dans les bois. Leurs rires sont si francs qu'ils réverbèrent sur les montagnes plus loin avant de revenir vers eux, comme amplifiés. Le visage de Sazh comme celui de Tali reflète toute l'insouciance du monde : pour eux, aller dans la forêt ne représente pas que l'interdit, mais l'aventure.

Après avoir croisé l'épouvantail et traversé le ruisseau prudemment pour ne pas y tomber, ils sont à bout de souffle et optent en chœur pour une course un peu plus lente. Ils arrivent finalement à l'orée de la forêt. Ils cessent de se mouvoir complètement et prennent quelques instants pour observer la faune et la flore qui se dessinent devant eux. Ils sont ébahis, enchantés par toute cette végétation qui valse au rythme du vent. Sazh est le premier à revenir à la réalité, et il entraîne son amie, un peu réticente, à l'intérieur de la forêt.

Pendant les premiers instants, ils restent collés l'un sur l'autre pour éviter de s'égarer, mais rapidement, leurs doigts se détachent et ils prennent chacun une route différente pour accélérer la recherche. Toutefois, la recherche se transforme vite en conquête et, plutôt que de chercher la balle, ils se contentent d'admirer les merveilles qui couvrent le panorama. Sazh est à la chasse aux papillons tandis que Tali se promène à genoux pour voir de plus près les insectes qui frissonnent sur le sol.

La conquête de la forêt dure plusieurs minutes. Quand le soleil se couche enfin, ils décident tous les deux de retourner à la maison pour éviter d'inquiéter leur maisonnée. Ils sont contents et fiers de leur découverte, pourtant ils n'en prononcent pas un mot devant leurs parents : ils ont transgressé les règlements établis et ils n'osent pas avouer leur faute. S'ils n'en parlent pas, leurs pensées se bousculent sans cesse. Ils n'ont qu'une seule envie, celle de retourner dans les bois pour admirer les mille merveilles qui s'y trouvent. Ce soir, il est trop tard, mais en silence, ils conviennent d'y retourner le lendemain.

Pendant les journées qui suivent, ils se perdent volontairement entre les arbres et les bêtes sauvages qui maraudent. Ce nouveau mode de vie les enchante, mais ils sont prudents. Quand ils entendent un loup hurler au soleil couchant, ils rentrent tout de suite au bercail; quand ils sont aveuglés par les ténèbres, ils n'attendent pas une seule seconde pour retourner dans le confort de leur demeure. Ainsi, les idées et les projets culbutent dans leur tête, comme si un nouveau monde s'ouvrait à eux.

Durant les premières semaines, Sazh essaie du mieux qu'il peut d'établir un campement près de l'orée de la forêt. Ils amassent des morceaux de bois qui jonchent le sol pour les attacher avec de la corde et ériger un toit d'infortune. Tali, pour sa part, explore le milieu en collectionnant les insectes, les plantes et les fleurs qui recouvrent le terrain. Elle en fait des bouquets ou, mieux, des micro-écosystèmes qu'elle regarde évoluer. Elle est passionnée par l'ardeur des fourmis et le travail des abeilles.

Ce petit jeu dure des mois, presque un an. Chaque soir, ils échappent aux regards de leurs parents et s'évadent dans la forêt pour revenir juste avant le coucher du soleil. Chaque soir, ils font des découvertes incroyables. Chaque soir, ils en apprennent un peu plus sur la ferveur de la nature qui les entoure. Et chaque soir, ils vivent des péripéties rocambolesques, mais qui ne frôlent jamais le péril. Jamais, sauf à une exception.

L'hiver tire à sa fin. La fraîcheur glaciale laisse tranquillement place à une chaleur qui réconforte le cœur des habitants du Domaine Enchanté. Comme à l'habitude, ils se transforment en conquistadors et s'engouffrent dans les bois. Avec le temps, Sazh a développé un amour pour la chasse qu'il dit « amicale ». Quand il n'est pas en train de courir vers un lièvre, il se dissimule dans les broussailles et attrapent un crapaud au passage. Cependant, il est toujours très doux avec les créatures qu'il capture : il les dompte, les apprivoise, les aime.

Tali, quant à elle, a développé une passion pour les papillons. Elle admire leurs couleurs, leurs ailes, leurs façons d'embellir la nature. Ce soir, elle traque un papillon écarlate qui semble briller sous les lueurs du soleil. Elle court, elle saute par-dessus les buissons et traverse une petite rivière, mais le papillon semble toujours aller plus vite. Elle n'abandonne pas, mais soudainement...

« AAAAHH ! »

Le cri de Tali perce le silence. Sazh, un peu plus loin dans une petite vallée, est tout de suite alertée par le hurlement de son amie. Du mieux qu'il peut, il tente de la retracer, mais n'y arrive pas. Sans capituler, il continue de s'aventurer entre les arbres et les racines, pour finalement l'apercevoir un peu plus loin, en détresse. Prise dans une toile d'araignée, Tali se débat mais n'arrive pas à se défaire des fils collants. Plus elle bouge, plus elle s'entortille dans la toile et plus elle est prise au piège.

Sazh, tentant tant bien que mal de garder son sang froid, s'en approche prudemment. En utilisant un morceau de bois, il essaie de défaire les liens et de libérer son amie, mais la tâche s'avère plus ardue que prévu. En même temps, à quelques mètres d'eux, une araignée gigantesque s'approche sauvagement. Ses pattes, toutes velues et désarticulées, frappent le sol avec insistance. De grosses pinces soulignent six paires d'yeux qui regardent en direction des deux amis. Tali, en voyant la bête s'avancer, crie de plus en plus fort pour essayer de l'effrayer, mais en vain. C'est Sazh qui réussit finalement à régler la situation en coupant la toile et en affranchissant la fillette.

Main dans la main, ils courent à toute vitesse et retrouvent le chemin de leur domicile. Sur le porche de la maison de Sazh, Tali semble traumatisée. Perturbée, elle regarde le vide. Elle tremble même un peu et le jeune garçon dépose sa main sur l'épaule de son amie pour la réconforter. Cette dernière annonce, défaite :

« Je... Plus jamais je ne retourne dans cette forêt ! »

Une larme glisse sur la joue de Tali, qui part immédiatement. Sazh ne sait pas comment réagir, alors il rentre tristement chez lui. Lorsque la nuit tombe et qu'il s'endort lourdement, il fait mille cauchemars sur cette créature ignoble qui a effrayé son amie le jour-même. Il revoit la démarche désarticulée de l'hideuse créature, ses yeux globuleux et ses pinces acérées. À son réveil, il est d'autant plus perturbé : une minuscule arachnide marche sur sa main.

Comme un signe du destin, il décide alors de braver les interdictions pour se rendre dans la forêt, dans l'unique but de mettre fin aux activités de l'énorme araignée. En essayant d'être le plus discret possible, il attend le règne de la lune pour sortir de la résidence familiale et s'évader dans les bois. Pendant plusieurs heures, transi par le froid et par la peur, il cherche la bête, mais ne la trouve pas. Il rentre aux petites heures de la matinée - juste avant le réveil de ses parents, pour ne pas être pris au fait. Mais si cette péripétie est un échec, il n'a pas l'intention d'abandonner.

Le lendemain, il apporte avec lui des pièges à ours volés dans l'atelier de son père et les installe un peu partout dans la forêt, et plus précisément dans les recoins où il observe des épaisses toiles d'araignées. Il en profite également pour faire un deuxième tour de ronde, mais ne parvient pas à distinguer l'araignée géante dans la broussaille. Alors qu'il est sur le point de rentrer chez lui, il entend un claquement métallique au loin. Alerté, il se retourne et court en direction de la source du bruit. Il y trouve la créature. L'une de ses pattes est brisée par le piège et on l'entend gémir. Sazh s'impose :  

« Va t'en, sale araignée ! Ne reviens plus, ou je vais te blesser encore ! »

En claudiquant, l'araignée baisse la tête et se met à cheminer dans la direction opposée. Elle disparait promptement dans la brume nocturne, laissant derrière elle des traînées de sang visqueux, l'écho de ses jérémiades et dans la tête de Sazh l'amère impression d'avoir causé du tort inutilement.

Le lendemain, à la tombée du soir, il se rend de nouveau dans la forêt pour s'assurer du départ de l'araignée. N'est-il pas surpris de voir qu'elle est toujours sa là. Sa patte est en piteux état; pourtant, elle continue de se déplacer difficilement et de dévorer les petits animaux qui sont piégés dans sa toile. À la vue de Sazh, l'araignée recule de quelques pas. Elle se prosterne, mais ne parait pas vouloir quitter les lieux. Il tonne :

« Je t'ai dit de partir ! C'est ta dernière chance. »

Pour menacer l'araignée, Sazh empoigne une pierre qui traîne sur le sol et la lance puissamment en sa direction. Le projectile frappe de plein fouet l'une des mandibules. Dans un mouvement de recul, la bête se met à gémir avant de fuir finalement. Satisfait, le garçon se penche pour récupérer le morceau de mandibule qui trône sur une racine. Il la montrera à son amie pour lui montrer que l'araignée ne causera plus jamais de tort.

À la vue du trophée, Tali parait soulagée, mais toujours un peu effarouchée. Et si la créature continuait de rôder dans les parages, et si elle n'attendait que le bon moment pour bondir sur l'un d'entre eux et le dévorer ? Ces questions la tourmentent, et malgré les efforts colossaux de Sazh, elle refuse de s'y rendre. Le garçon lui fait la promesse : demain soir, l'araignée sera de l'histoire ancienne. Elle aura disparu dans les limbes, elle aura été tellement effrayée par la volonté de Sazh qu'elle ne voudra plus jamais remettre le pied dans la forêt.

Confiant, il se rend l'après-midi même dans ce qui a pendant un an été leur repaire. Il apporte avec lui un vieux fusil de chasse de son père : il est prêt à tout pour reprendre le contrôle de la forêt. Une fois arrivé à destination, il épie chaque horizon à la recherche de sa cible. Il ne compte appuyer sur la gâchette, mais compte bien se servir de son arme pour montrer son autorité face à la nature.

Lorsqu'il l'aperçoit au loin, la bête est dans un fâcheux état. Une mandibule lui est manquante et l'une de ses pattes traîne lâchement derrière les autres. L'araignée s'avance très lentement, semble presque trembler quand elle aperçoit son prédateur. Sazh n'attend pas une seconde de plus pour parler. Il prend un ton fort et dur, celui même d'un guerrier ou d'un barbare de la Terre des Dragons.

« Tu... tu dois partir ! Je t'ai laissé deux chances, mais... »

Il braque le fusil de chasse et le pointe en direction de sa proie. Son doigt se pose fébrilement sur la gâchette, mais il n'appuie pas. Les six paires d'yeux de la créature regardent dans tous les sens, et l'arachnide elle-même semble paniquer. Pourtant, elle reste sur place et montre soudainement un air confiant : elle aussi veut assurer la régence de son monde forestier.

La joute visuelle dure plusieurs minutes et, d'un coup, l'araignée tente le tout pour le tout. Elle charge brusquement sur Sazh, et un coup de feu résonne alors dans toute la forêt. Dans l'obscurité de la nuit, il aperçoit la bête se tortiller sur elle-même, geindre de toutes ses forces et s'éteindre dans un dernier spasme. Puis, un silence complet, un silence de mort qui gèle l'échine du garçon. Une quiétude soudaine sans l'être vraiment, un calme apparent qui pue les regrets et la désolation. Il a tiré. Il a tué l'araignée.

Le dos arqué et les épaules basses, Sazh observe pour une dernière fois la créature. Il sent soudainement la culpabilité s'éprendre de son âme. Il pourra dès demain retourner dans la forêt et s'amuser comme avant, mais à quel prix ? La mort ?

Le crépuscule prend d'assaut le Domaine Enchanté. Sur le chemin du retour, Sazh passe par-dessus le ruisseau. Les lueurs orangées du soleil donne au cours d'eau des couleurs rougeâtres, comme si un fleuve de sang coulait sous ses pieds. Il croise également l'épouvantail. À contre-jour, le bonhomme de paille semble toiser le garçon avec dégoût ou pire, défi. Et lorsque Sazh monte sur le porche de sa maison, il lance un ultime regard vers la forêt qui, sous un ciel crépusculaire, semble plus effrayante que jamais.

Le chauffeur actionne les moteurs du véhicule, et de là où je suis assis, je n'arrive pas tellement à discerner ses traits. Pour tout dire, j'ai franchement aucune idée de ce à quoi il pourrait ressembler. Le chauffeur pourrait être... un lion bipède, un centaure ou une femme à barbe que je n'en aurais aucune idée. Tout ce que je vois, c'est l'afro gigantesque qui lui sert de coiffure. Je m'amuse un instant à penser qu'il s'agit d'une vedette de roller-disco ou, mieux, d'un joueur professionnel de blitzball. Mais non, il ne s'agit que d'un pilote des navettes de la Shinra. Plus triste réalité, j'en conviens.

Les moteurs deviennent de plus en plus bruyants : on décolle. Je dois dire... que je ne suis pas fan des décollages. Le vaisseau commence bel et bien son ascension, mais j'ai la vague impression que mon cœur reste sur le sol un moment, avant de se rendre compte qu'il est quelque part dans le ciel. Ça me donne des nausées à chaque fois, mais je fais comme si tout allait bien et je dépose ma tête entre mes mains. Je ferme les yeux un moment et j'attends que mon cœur lève à son tour ses pieds de la terre ferme.

Quand je relève le regard, le Jardin Radieux est déjà histoire ancienne et on navigue sur les routes stellaires. À travers le hublot, j'aperçois des ceintures d'astéroïdes, des étoiles et des planètes aux formes variées. J'ai la chance de pouvoir admirer un panorama assez sublime, certes, mais bon... Dans la vie, je suis marin, pas astronaute. J'aime l'eau, pas le vide intersidéral.

Enfin, je décide de regarder dans le rétroviseur installé à l'avant. Pour la première fois, j'aperçois le regard du chauffeur, une paire d'yeux d'un noir profond. Un curieux regard, sans doute, mais j'arrive pas à mettre le doigt sur l'émotion ou le ressentiment qui l'habite. Je réussis rarement à déceler les émotions d'autrui, mais... décidément, une sorte de fatigue reluit dans ses yeux. Comme si son passé avait alourdi son regard ou encadré son regard de cernes immuables. Enfin...

« Alors, tu vas faire quoi au Domaine Enchanté ? »

La voix du chauffeur me ramène à la réalité. Je réponds spontanément :

« Je vais chez un amie que j'ai pas vue depuis... des siècles. »

« Une... amie ? »

« Non, ce n'est pas ce que vous pensez. Ce n'est qu'une amie. En fait, c'est ce qu'elles disent toutes. Je suis condamné à la solitude, j'vous dis. »

Ma remarque fait rigoler le chauffeur, qui s'esclaffe d'un rire de bon vivant. Je me joins à cette franche camaraderie ( !) et je ris à mon tour. Dans le rétroviseur, ses yeux deviennent comme... vivants, frétillants même.  Si j'avais su que parler de mon éternel isolement pouvait faire marrer les gens à ce point...

« Y a plein de poissons dans l'océan », qu'il me dit entre deux quintes de rire.

« Mouais. »

« Si tu veux mon avis... Ne cherche pas trop. Ça viendra. »

Il se tait un moment et je me gratte la tête. Je décide d'être honnête avec moi-même pendant l'espace d'un instant : si je traverse les routes stellaires pour rejoindre cette fille au Domaine Enchanté, c'est bien pour la conquérir et l'épouser ensuite. J'aimerais que nos poignées de main se transforment en accolades et que nos accolades prennent des allures de tendres caresses. Ouais... On correspond depuis plusieurs années, et là, aujourd'hui, j'ai décidé de lui déballer toute la passion qui m'habite. Je suis un peu incertain de l'issue de la situation, mais j'essaie de ne pas trop créer d'espoirs. Peut-être qu'un jour... Un jour, ma solitude sera brisée par une jolie fille...

« Et d'ailleurs, que je lui demande, étant donné que vous êtes né là bas, vous auriez pas un conseil pour un impressionner la belle demoiselle en question ? »

« Ouais. Le pont qui sépare le château de la forêt. »

« Un pont ? Ça m'a pas l'air très romantique... »

« Tu parles. C'est là que j'ai embrassé pour la première fois la fille de mes rêves. »


Le solstice
avant l'enfer

La salle d'audience est bondée. Pourtant divisées en temps normal, l'aristocratie du royaume et la plèbe se partagent le même air. Les petits marchands de la place publique discutent avec les ducs, et même les casanières semblent interagir avec les courtisans. Bref, presque toute la population du domaine s'entasse dans la salle du trône, prête à entendre le verdict, le marteau de la justice : un homme d'une quarantaine d'années est accusé de haute trahison envers Sa Majesté et la Cour après avoir été vu verser du venin dans la coupe du Roi lors d'un banquet.

Toutes les circonstances sont contre cet homme : on a en effet retrouvé ledit poison dans son domicile et plusieurs témoins - des gardes et des aristocrates - affirment avoir vu l'accusé s'infiltrer lors de la veillée sans la permission de Son Altesse. Le jugement est prévisible, mais la foule jamais silencieuse n'attend que le dernier mot du conseil souverain :

« Après longues discussions, la Cour est unanime : Jax Kaztroy, paysan déloyal, est accusé de crime contre le Domaine et contre son Peuple pour avoir tenté d'assassiner le monarque. Par conséquent, il est condamné à la pendaison. L'exécution publique aura lieu... »

Sazh n'entend plus. Il n'entend ni le juge qui prononce le verdict, ni les seigneurs qui acclament cette décision, ni les pleurs de son père et encore moins la voix de Tali qui essaie tant bien que mal d'être réconfortante. Pendant de longues secondes, le temps s'arrête :  la foule cesse de fourmiller, le marteau de la justice reste en suspension sans frapper son socle. Et quand la vie reprend son cours et que la réalité heurte Sazh de plein fouet, une larme coule le long de sa joue : l'existence calme qu'il menait jusque là vient d'être bouleversée à jamais.

Dans un élan d'espoir, il se retire de l'emprise de Tali et ancre ses pieds sur le sol. Il essaie de crier, mais sa voix est enterrée par les applaudissement du peuple. Il essaie encore, et cette fois-ci ses mots brisent s'élèvent avant de briser la cacophonie :

« Mon père... Mon père ne mérite pas la mort! Il est un homme bon, un honnête paysan. »

À cet instant précis, Sazh ne se rend pas compte de l'ampleur de son cri du cœur. D'un coup, son anonymat vient d'être teinté par une horrible réputation : il n'est plus le fils d'un fermier, il est alors le fils indigne du traître Jax. Sans même connaître sa propre histoire, on l'associe déjà au crime de son géniteur. Comme pour couronner le tout, l'aristocrate et la populace se retourne en chœur vers Sazh et, dans un tumulte de huées, il est bousculé vers la sortie.

Tali, alertée, poursuit son ami jusqu'à l'extérieur et traverse l'interminable pont qui sépare la forêt des étangs du château. Une fois arrivée, elle enlace Sazh de toutes ses forces, comme pour le réassurer. Ce geste ne fonctionne pas; le garçon est inconsolable. Dans la même minute, son père est condamné à la peine de mort et sa réputation vient d'être souillée à jamais. Il n'a nulle part où aller.

« Tali, je... Tu crois que mon père est responsable de tout ça ? »

« ... »

« C'est bien ce que je pensais... Je... Qu'est-ce que je fais maintenant ? »

Pendant quelques secondes, Sazh tente de retenir ses larmes et de cacher son chagrin derrière une façade impassible. Ses murs s'effondrent rapidement au moment où il tombe à genoux. Il enfonce sa tête dans le creux de ses coudes et pleure. Son monde et son existence viennent de s'écrouler et il ne pourra plus jamais retrouver une vie normale. Son nom est entaché jusqu'à la fin des temps; la paix n'est plus possible. Entre deux sanglots, il articule :

« Tali, tu restes là, toi... Tu ne m'abandonnes pas, je... »

« Sazh... »

« Tu as raison... Je ne vais pas t'entraîner dans tout ça. Ton avenir... est plus important. »

« Et qu'est-ce que tu vas faire, maintenant? »

Sazh reste silencieux un moment et se remet sur pieds. Par la porte principale du château, la salle d'audience commence à se vider. Les nobles sont les premiers à sortir, suivis de près par les simples paysans du Domaine. Pour le réconforter, le doigt de Tali glissent sur l'avant bras de Sazh. Elle ne sait pas quoi dire pour le rassurer. Elle aimerait bien trouver une solution à tous les problèmes, mais cela pourrait compromettre son avenir. Elle est la seule héritière de l'entreprise textile de ses parents et les recettes sont trop importantes pour être ignorées. Son avenir est déjà tracé : elle ne peut mettre en jeu sa future fortune et sa stabilité, même pas pour l'amour qui l'unit à Sazh.

À son tour, le garçon dépose un doigt sur le menton de Tali et relève tranquillement sa tête. Leurs yeux se croisent un moment, mais Tali, comme poussée par la honte, détourne rapidement le regard et le rive sur le sol.  Devant les circonstances, ils sont tous les deux impuissants : elle ne peut cracher sur son avenir et lui ne peut plus rien faire pour redorer le blason des Katzroy. Cette situation semble être insurmontable. Sazh soupire et dit :

« Je vais... Je vais m'enfermer chez moi jusqu'à ce que la poussière tombe, je suppose. »

La foule s'approche de plus en plus. Sazh ne veut pas être vu auprès de son amie, au risque de salir à son tour sa réputation. Dans un ultime élan d'espoir, il pose ses lèvres contre celles de Tali. Il aurait envie de la prendre dans ses bras pour ne plus jamais l'abandonner, mais la situation lui en empêche. Il murmure un « Je reviendrai, ne viens pas me voir », aussitôt étouffé par le brouhaha du flot qui continue de quitter la château. Sazh regarde pour une dernière fois le pont, le château puis son amie avant de retourner dans son domicile.

* * *
Tali fait les cent pas dans sa chambre. Cela fait plus d'un mois qu'elle a eu des nouvelles de Sazh. Pendant tout ce temps, elle n'a pas daigné se rendre chez lui puisqu'il lui-même lui a interdit. Mais aujourd'hui, elle décide de braver la prohibition et d'aller lui rendre visite : ne pas savoir ce qui se passe avec lui l'inquiète au plus haut point. Elle a passé vingt-deux ans de son existence à ses côtés; un mois sans lui parait durer des siècles.

Rapidement, Tali enfile ses vêtements de sortie. Elle met ensuite un long foulard autour de sa tête pour dissimuler son visage avant de quitter son domicile et de prendre la route. Sur son chemin, elle ne croise personne, sinon la solitude. Depuis la condamnation de Jax, elle passe ses journées seule dans ses appartements à espérer le retour de Sazh. Sa crainte la rend inapte, et elle n'attend qu'un mot de son ami pour continuer à vivre. D'ailleurs, tout lui rappelle Sazh : la forêt des étangs, l'étroit chemin entre les arbres, même le ciel. Décidément, il lui manque.

Lorsqu'elle aperçoit finalement la maison à l'horizon, elle s'immobilise un instant. De là où elle se trouve, elle peut voir que le bâtiment a été vandalisé de tous les côtés : des messages haineux parsèment les murs, les fenêtres ont été brisées sauvagement et même une partie de la grange semble avoir été incendiée par des malfaisants. D'un coup, son inquiétude prend une ampleur considérable : et si de mauvaises représailles avaient mené à la mort de Sazh ? Et si les nobles avaient décidé de mettre fin à la lignée des Katzroy ? Elle n'en sait rien, mais se met à courir en direction de la maison, car elle n'en peut plus d'attendre.

Sur le porche de la demeure, elle remarque que la porte est entre-ouverte. Sans hésiter une seconde de plus, elle s'infiltre dans la maison et parcourt chaque pièce à la recherche de Sazh, qu'elle ne trouve malheureusement pas. C'est en entrant dans la chambre de son ami qu'elle remarque un parchemin sur le lit et, d'un coup d'œil, elle y aperçoit son nom. Elle s'en approche, l'empoigne d'un geste décidé et lit le contenu à voix-haute, comme si elle espérait être entendue :

« Tali,
Comme tu vois, les habitants du Domaine ont très mal pris la nouvelle et ont décidé de ravager ce que mon père a laissé derrière lui, en oubliant qu'il avait aussi un fils... J'ai peur pour ma vie, Tali. Je pars donc aujourd'hui pour les terres du nord, de l'autre côté de la forêt des étangs. J'y resterai le temps qu'on oublie un peu les derniers événements.
Ne viens pas me rejoindre, n'essaie surtout pas... C'est trop dangereux.

P.S. : Sois présente à la fête du Solstice. Tous les gens sont masqués, c'est le meilleur moment pour se revoir. Je pense à toi, n'oublie pas. »

« Je pense à toi, n'oublie pas. » Ces mots résonnent dans la tête de Tali, qui se laisse tomber sur le lit sans se relever. Elle aurait envie de pleurer, mais les larmes ne montent pas : elle est en colère, en colère contre le peuple qui a banni Sazh de sa propre maison, en colère que Jax Katzroy qui a trahi le Roi et son fils par le fait même, en colère contre elle-même pour ne pas avoir agi avant. Tant d'émotions la percutent, l'immobilisent contre le lit.

Lorsqu'elle se relève enfin, elle n'a qu'une idée en tête : attendre patiemment l'arrivée du solstice pour revoir enfin Sazh. Pendant la cérémonie, tous seront masqués, mais pour la première fois depuis longtemps, elle enlèvera le masque qui lui sert de façade, le temps d'avouer à Sazh qu'elle espère bien plus de leur relation.

* * *
En quittant ses terres natales, Sazh prit le chemin vers le nord. Après une route périlleuse dans la forêt des étangs, il emprunta un sentier qui le mena jusque dans les montagnes. Là-bas, il s'installa dans un petit village d'hommes et de femmes vivant en communion avec la nature, priant des dieux multiples et craignant une sorcière étrange qu'on appelait Maléfique. Cette dernière, semble-t-il, avait la capacité de se changer en dragon et de mettre le monde en cendres en quelques minutes. Chaque semaine, la communauté déposait donc des offrandes au sommet de la montagne pour éviter la colère de la sorcière.

Pendant les premières semaines, Sazh fut dépaysé par le mode de vie de ces individus. Alors qu'il avait été élevé dans un monde où les seigneurs dominaient, ce village ne connaissait rien d'autres que l'entraide et l'égalité. Tous, au sein de la tribu, étaient égaux; les enfants comme les adultes devaient œuvrer pour le bien des autres. Les plus vieux, quant à eux, étaient exemptés du travail et détenaient le savoir : par la tradition orale, ils transmettaient les connaissances à ceux qui le voulaient, racontant des légendes sur la non-fameuse Maléfique, sur des carcasses vides du nom de sans-cœurs et sur un royaume grandiose où cohabitaient plusieurs mondes.

Évidemment, Sazh, terre-à-terre, ne croyait pas trop à ces histoires, mais ne montra pas sa désapprobation : ces villageois lui offraient gratuitement une terre, un havre de paix, un lieu où vivre le temps que les choses se règlent. Il préférait donc taire son désaccord et se mêler à la communauté en participant activement aux corvées générales. Il apprit à chasser, à pêcher, à travailler le bois et à se défendre contre les créatures sauvages qui rôdaient.

Dès son arrivée, il essaya de se fondre dans le village avec succès. Rapidement, les autres membres de la tribu l'acceptèrent et lui confièrent des tâches de la plus haute importance : il se mit entre autres à travailler avec d'autres savants à la conception d'une machine capable de voyager dans le ciel et d'atteindre les mondes pittoresques dont parlent les mythes. Ignorant au départ, Sazh apprit les rudiments d'une mécanique presque magique dans laquelle se mêlait la physique de base et des éléments surnaturels qu'il n'arrivait à expliquer.

Aujourd'hui, après près d'un an de communion avec le reste du village, Sazh se prépare à quitter le village pour rejoindre le cœur du Domaine Enchanté. Le solstice d'été approche à grands pas et, dans moins d'une semaine, les paysans et la noblesse célébreront ensemble; Sazh a fait une promesse à Tali et il ne compte pas la briser. Pour ce faire, il prépare son équipement pour le voyage : des rations, beaucoup d'eau, quelques armes et une vieille boussole. Le périple devrait se dérouler sans encombres, mais il préfère tout de même mettre toutes les chances de son côté.

À l'heure de son départ, il salue les autres membres de la tribu et annonce que son retour est prévu dans quelques semaines. Le voyage se fait sans trop de problèmes; Sazh rencontre quelques loups affamés sur son passage, mais rien de trop dangereux. L'expertise à la chasse qu'il a acquise pendant cette année dans le village au pied de la montagne lui permet de ne pas trop s'en faire avec ces quelques bêtes sauvages. Ainsi, chaque soir, il installe son campement sous le plus grand arbre et repart tôt le matin pour éviter de perdre du temps.

Quelques jours plus tard, les terres marécageuses prennent des allures de bois enchantés : il reconnaît au loin les plaines de son enfance. Comme poussé par l'espoir de retrouver sa vie d'antan, il court plusieurs kilomètres dans les champs sans apercevoir son domicile. Tout ce qu'il aperçoit, ce sont des ruines, mais il reconnaît bien les vestiges de ce qui a un jour été sa maison : décidément, le peuple n'a toujours pas pardonné les actes de Jax.

Comme il ne peut rien y changer, il décide d'enfiler son masque et de se rendre directement à la cérémonie du Solstice. Il dépose son équipement de voyage près des ruines, de façon à ne pas alerter la garde royale. Pendant qu'il chemine vers le château, il ne cesse de penser à Tali : cela fait à peine un an qu'il l'a quittée, pourtant son visage et sa voix semblent si lointains dans ses souvenirs. Et si elle avait trouvé quelqu'un de mieux ? Et si le destin avait décidé de ne jamais les réunir ? Il n'en sait rien, mais son cœur se tortille. Son esprit est tellement troublé qu'il s'égare à plusieurs reprises, mais finit toujours par retrouver son chemin.

Lorsqu'il distingue l'interminable pont à l'horizon, il accélère le pas. Plus il avance, plus il rencontre des gens de la noblesse et des paysans du petit-peuple : malgré la mascarade, il ne peut s'empêcher de baisser le regard à chaque fois qu'il croise un individu. Il porte sur ses épaules les actes honteux de son père, un passé un lourd, des souvenirs brisés par les circonstances. Même s'il porte un masque, il a l'impression d'être reconnu tout de même.

Lentement, il traverse le pont. Il balaie sans cesse les lieux du regard à la recherche de Tali, qu'il n'aperçoit malheureusement pas. Il ne désespère pas et entre dans la salle d'audience, puis dans la salle de bal sans même alerter la légion palatiale : la noblesse et la paysannerie, le temps d'une soirée, oublient les tranchées qui les séparent. Cela peut sembler étrange dans un domaine où les seigneurs sont roi, mais la tradition semble surpasser même les écarts de richesse. Comme l'après-midi où on condamna son père, les gens sont tous réunis : les vieilles traditions et le désir de justice ne semblent pas avoir de frontière.

La salle de bal est bondée : les masques s'étendent à perte de vue. Dans de telles circonstances, il est difficile de retrouver Tali, mais lorsqu'il aperçoit une chevelure noire scintiller à la lueur des lanternes, son cœur est sûr : c'est bien elle. Sans attendre, il franchit la mare d'humains en s'excusant avant de rejoindre celle qu'il a toujours aimée. Lorsqu'elle l'aperçoit à son tour, un sourire se dessine sur son visage.

« Tu... tu es revenu. Je n'y croyais plus. »

Sazh dépose un baiser sur les lèvres de Tali. Ils s'embrassent longuement, comme pour rattraper le temps perdu. Il aimerait bien lui dire qu'il a pensé à elle pendant tout ce temps, mais les mots se meurent avant d'avoir effleuré ses lèvres. Il se contente de dessiner un rictus satisfait à son tour avant de dire :

« Tali... »

« Sazh. Retire ton masque. J'ai besoin de voir ton visage. »

« Mais... »

« Les gens ont oublié, crois-moi. Retire ton masque. Je dois voir tes yeux. »

D'un geste délicat, mais décidément inquiet, Sazh enlève son masque avant de faire de même pour Tali. Pendant un instant, le temps s'immobilise autour d'eux; même le monde semble s'évanouir. Les lanternes deviennent d'un coup plus ardentes, et les chandeliers gigantesques au plafond brillent de plus belle. Durant de longues secondes, ils ne profitent que du moment pour contempler l'autre sans ne rien dire. Les regards parlent plus que les mots.

D'un coup, des murmures s'élèvent dans la foule autour d'eux. Le monde qu'ils se sont évertué à bâtir s'écroule d'un coup. Parmi les gens, on entend des rumeurs, puis des syllabes. Rapidement, Sazh se rend compte qu'il n'est pas inconnu dans la salle de bal, et que les gens n'ont toujours pas oublié la traîtrise de son père. Par sécurité, il dépose son masque sur son visage et le fixe solidement, mais personne ne croit à cette mascarade. Les murmures se clarifient, et on entend soudainement une clameur dans la pièce :

« C'est le fils du traître ! »

L'esprit de Sazh s'embrouille et les idées se bousculent. Sans hésiter, il empoigne la main de Tali pour qu'elle le suive à l'extérieur, mais son mouvement brusque dégaine un poignard effilé attaché à sa ceinture. Lorsque l'arme frappe le sol, un bruit métallique se fait entendre et un silence de mort plane ensuite.

« Et il vient compléter le travail de son père !! Qu'on l'attrape ! »

Ne sachant pas quoi faire, Sazh opte pour la seule solution qui traverse son esprit : fuir. Il lâche la main de Tali et se fraie un chemin dans la foule. Il bouscule au passage des gardes, qui s'alarment aussitôt et poursuivent le jeune homme. Celui-ci sort de la salle d'un bal d'un coup, puis traverse la salle d'audience sans même regarder derrière lui. Lorsqu'il pousse l'une des deux grandes portes du château, il s'arrête un moment : le village. Il doit retourner au village.

En traversant le pont, il laisse tomber derrière lui le masque qu'il n'aurait jamais dû retirer. Il ne se retourne même pas : il ne voudrait pas ralentir le pas et être rattrapé par les gardes; pire, il ne voudrait pas croiser le regard de Tali... Il détale comme un vulgaire criminel alors qu'il n'en est pas. Les apparences sont peut-être trompeuses, mais Tali n'en a probablement aucune idée.

« Alors, bonhomme... Si ça te dérange pas trop, on va s'arrêter un moment. J'ai faim. Et je me sens généreux : c'est ma tournée. »

J'acquiesce d'un hochement de tête et d'un « oui » décidé. Je ne dis jamais non à de la bouffe gratuite, et encore moins pendant un voyage spatial comme celui-là. Le trajet est assez long, et mes jambes sont engourdies. Il faut que je sorte de cette boîte de métal avant qu'on doive m'amputer tous les membres.

Le chauffeur ralentit donc et change de direction brusquement, me laissant seul sur le banc arrière avec un haut-le-cœur et une envie de me lancer à travers le hublot. Par la fenêtre, j'aperçois un haut bâtiment installé sur une astéroïde qui traîne par-là, comme retenue par un champ magnétique ou quelque chose qui m'échappe. On se croirait tout droit sorti d'un film futuriste : sur le caillou, des petits êtres bleus avec des chapeaux métalliques mangent sur une terrasse pendant que des flèches sur des panneaux lumineux pointent dans toutes les directions pour indiquer aux vagabonds que le restaurant est bel et bien ouvert. La scène est un peu absurde, mais je ne suis pas trop impressionné : on retrouve de tout sur ces routes stellaires.

Le vaisseau se pose avec tellement de délicatesse que ça me surprend un moment. Sans attendre, j'ouvre la portière et je pose le pied sur la terre ferme. Le chauffeur fait de même et, pour la première fois depuis tout le voyage, je peux enfin voir de qui il s'agit. L'homme a un teint assez foncé et arbore une barbe vandyck qui le rend presque dandy. Il porte un long manteau vert qui surmonte une chemise blanche. À ses cuisses, il porte deux étuis. Au début, je me dis que c'est un drôle de style, mais je me rends bien vite compte qu'ils cachent des armes à feu. C'est une bonne raison pour ne pas embêter le chauffeur, si on compte en plus sa grandeur qui m'intimide un peu. Enfin...

Sans ne rien ajouter, je le suis à l'intérieur du restaurant. Il commande trois sandwichs, m'en tend un, en donne un à un errant qui quémande à l'entrée et mange l'autre d'un coup. Cela fait, il laisse échapper un soupir satisfait. Je disais tout à l'heure que le chauffeur avait des airs de fataliste, mais je remarque que ce n'est pas péjoratif. Son regard fait genre « la vie, c'est de la merde, je peux rien y faire, mais pourquoi pas profiter du peu qu'il reste », plutôt que « la vie, c'est de la merde, pourquoi pas nouer une corde à mon cou ». Ma perception de lui vient de changer d'un coup; pas que ça ait une certaine importance, mais bon.

Quand on s'approche du véhicule, je l'entends soudainement hurler. Près du vaisseau, deux bandits sont en train de voler les effets personnels du chauffeur, qui dégaine aussitôt ses deux pistolets avant de déclarer :

« Vous avez décidé de voler la mauvaise personne, je crois... »

Les deux voleurs se consultent du regard un moment, mais ne se rendent pas. L'un d'entre eux lance ses trouvailles à l'autre avant de bondir vers nous. Le deuxième pickpocket prend la poudre d'escampette avec quelques munnies et des objets de valeur. Le chauffeur pointe sur moi un de ses fusils, et je me sens soudainement... revigoré. Il dit :

« Arrête l'autre. Je m'occupe de lui. »

« Mais il court beaucoup trop vite, je... »

« Fais-toi confiance, bonhomme. »

Je ne sais pas trop dans quel pétrin je me perds, mais j'obéis aux ordres du pilote et je me mets à la poursuite du second bandit. Curieusement, mes pieds frappent rapidement le sol. Je ne suis pas un très grand sportif, mais j'ai l'impression de pouvoir sprinter librement d'un coup, comme si on m'avait donné des souliers aériens ou je ne sais pas. Sans trop savoir ce que je fais, je rattrape le bandit, le bouscule violemment et reprend en main les possessions du chauffeur. Le voleur semble un peu bouleversé, et détale dans l'autre direction. Je suis fier, oui... Et je retourne à l'avant du restaurant pour voir ce qu'il en est.

Là-bas, le duel est un peu plus intéressant. Le chauffeur enchaîne les coups, alors que le pickpocket tente tant bien que mal de les encaisser. Le conducteur dégaine alors deux pisolets et tire des salves enflammées sur le voleur, qui danse entre les balles. Comme las de ce petit jeu, le pilote décide de prendre les choses en main : il brandit son poing dans les airs et, magiquement, un jet de foudre fend l'air et atteint violemment le pickpocket. Je m'immobilise un instant... Je ne m'attendais pas du tout à ce dénouement.

« Allez, on reprend notre route », qu'il m'annonce comme la plus grande des banalités.

J'obtempère aux exigences du chauffeur et je retourne dans le véhicule. Cette fois-ci, je décide de m'asseoir sur le siège avant. Il me rejoint après quelques secondes. Lorsqu'il s'assoit, il prend quelques secondes pour haleter comme un chien en pleine canicule. Il se gratte la tête, me regarde un peu bizarrement et dit :

« Je suis trop vieux pour ce genre de trucs... »

Les moteurs se remettent en marche. Je profite du moment pour clarifier les choses :

« Dites donc... Vous avez appris où à vous battre comme ça ? »

« J'ai fait l'armée, petit. »


Dernière édition par Sazh Katzroy le Ven 11 Sep 2015 - 22:54, édité 7 fois
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La rétribution
du fils

Une nuit sans étoiles couvre la vallée. Autour d'un feu gigantesque, les villageois se sont assemblés. Alors qu'ils ont l'habitude de chanter, de danser et de raconter des légendes lors de telles réunions, cette fois-ci, l'heure semble grave. L'une des doyennes de la communauté se lève et attend le silence de ses confrères pour déclarer d'un ton sombre :

« Plusieurs des aînés du village ont eu des visions pendant les derniers jours. Un avenir obscur surplombe notre village et tout le Domaine Enchanté. Bientôt, les ténèbres s'empareront de notre monde, laissant derrière elles des sillons de désespoir. On prévoit une invasion de ces armures noires, les sans-cœurs, et le début d'une guerre sans précédent. Si personne n'agit, nous sommes condamnés à un tragique dénouement. »

Des rumeurs s'élèvent dans la foule. Un homme, dont la barbe effleure presque le sol, se détache du lot et parle à son tour. Sa voix est brisée par la peur :

« Que... que devons-nous faire pour empêcher le pire ? Les attaques se font de plus en plus fréquentes, et ces créatures sont de plus en plus nombreuses... »

« Nous devons être prêts, répond la doyenne. Nous devons être prêts à nous défendre contre les envahisseurs. Malheureusement, notre peuple n'est pas assez nombreux et assez puissant pour repousser les ténèbres qui arrivent. Il nous faut une mobilisation générale, une armée pour prévenir notre fin imminente. »

Un silence de mort plane. Pendant quelques secondes, tous se taisent pour chercher une solution au problème : l'apocalypse s'approche de plus en plus, et ils ne sont définitivement pas préparés à sauver le monde. Ils n'ont pas la technologie, la force et encore moins le nombre pour lutter contre la tragédie annoncée par les doyens, mais ils ne peuvent se résigner, ils ne peuvent capituler devant l'inconnu. Ils doivent au moins essayer de retrouver le cours normal des choses.

Sazh, assis depuis le début de la réunion, décide de se lever et de prendre la parole. On peut lire dans son regard un certain effroi, mais sa voix sous-entend la confiance :

« Et l'armée royale, vous croyez qu'on pourrait la mobiliser ? »

Un soupir se fait entendre, et la doyenne se pose :

« Il est clair que de mobiliser l'armée royale pourrait être un bon moyen de contrecarrer les ténèbres. Malheureusement, nos relations sont tendues avec le Roi : nous sommes un peuple qui a refusé de se soumettre au joug des seigneurs et, par le fait-même, nous ne méritons plus la protection de la garde. Mais toi... Toi, Sazh, tu connais bien ce monde; tu y es né. Tu crois que tu pourrais en parler avec la royauté ? »

« Je ne suis plus le bienvenu au Domaine. Mon père a voulu assassiner Sa Majesté, et j'ai hérité de ses actes, mais... J'ai une amie qui pourrait nous aider. Elle a une bonne réputation auprès de la noblesse, peut-être que sa voix serait entendue. »

«  À toi de nous le dire, Sazh. Si tu décides de parler au Roi, nous te supporterons dans cette activité et si une entente est conclue, nous te serons à jamais reconnaissant. »

Sazh baisse la tête et réfléchit. Convenir d'une entente avec le Roi pourrait prévenir le pire. Il  pourrait en plus redorer le blason des Katzroy, la réputation perdue de sa lignée. Par-dessus tout, il pourrait ne plus être considéré comme nuisible dans la société, réacquérir son statut de paysan et retrouver Tali sans compromettre son avenir. Faire d'une pierre plusieurs coups...

« J'irai. Je pars demain à la première heure. »

* * *
Le voyage s'est déroulé sans encombre, et voilà que Sazh est immobile sur le portique  de la maison de Tali. Encapuchonné et couvert d'une longue étoffe pour éviter d'être aperçu par la population ou, pire, par la garde du Domaine, il respire un moment. Dans sa tête, les scénarios se bousculent et sous-entendent la catastrophe. Pendant quelques secondes, il en omet même la raison principale de sa venue en terres seigneuriales : il en oublie la ténébreuse prophétie de la doyenne et le besoin immédiat de protection.

Prenant son courage à deux mains, Sazh emprunte l'escalier menant jusqu'à la porte principale et toque nerveusement. La porte s'entre-ouvre un peu après et il aperçoit le regard de Tali se dessiner dans la noirceur de son domicile. Aussitôt, les yeux de la jeune femme se nuancent d'étonnement, tant d'étonnement qu'elle ferme automatiquement la porte. Ce n'est que quelques secondes plus tard qu'elle décide enfin d'accepter la réalité et de la rouvrir.

Momentanément, ni Sazh ni Tali ne bougent. Ils se contentent de regarder l'autre. Sazh aurait bien envie de retirer sa capuche et de bondir dans les bras de son amie depuis toujours, mais il ne voudrait la brusquer. Quant à Tali, elle aimerait parler, mais les questions sont si nombreuses qu'elle n'arrive pas à articuler quoi que ce soit. Elle laisse échapper un long soupir, mais pas un soupir d'exaspération : un soupir de soulagement, comme si elle avait attendu ce moment pendant toutes ces années, comme si le retour de Sazh était espéré depuis son départ.

Dans une étrange symbiose, Tali et Sazh se rapprochent, tendent les bras vers l'avant et s'enlacent longuement. Une larme perle sur la joue de Tali, alors qu'un sourire large fend le visage de Sazh. Rien ni personne ne pourrait briser le bien-être du moment.

« Tali, je suis désolé... Quand le poignard est tombé, j'ai paniqué et... »

« Je sais. Entre. Je te prépare du thé. »

Accompagné de Tali, Sazh entre dans la maison. Il est aussitôt submergé par la nostalgie alors que les odeurs de son enfance le frappent de plein fouet. Il se laisse porter par les effluves jusqu'à la salle de séjour, où il s'assoit confortablement en attendant le retour de Tali. Sur les murs du salon, il aperçoit des visages connus, dont le sien. Décidément, la condamnation de son père l'a extirpé d'une existence paisible, et il le maudit en silence. On l'a arraché à son enfance et sa sérénité sans aucun scrupule.

Tali fait son apparition sur le seuil de la pièce, théière à la main. Elle la dépose sur la petite table placée au centre et prend place aux côtés de Sazh. Une minute passe, et les mots n'arrivent pas à se forger, plongeant l'endroit dans une ambiance étrange. La chimie entre Tali et Sazh est toujours bien là, presque palpable, mais les années ont passé et les choses ont changé. Cela fait quatre ans que Sazh a quitté le Domaine Enchanté en panique et que Tali vit en attendant les retrouvailles. Ils ne sont plus des enfants; ils vieillissent, mais pourtant, ils vivent tous les deux dans l'attente de l'autre.

C'est finalement Tali qui tait la quiétude en pointant l'éléphant dans la pièce :

« Et... que viens-tu faire ici après tout ce temps ? »

Sazh reste silencieux un moment. Pour tout dire, il ne le sait plus. Certes, il a été envoyé par le village au pied de la montagne pour créer une entente avec la royauté, mais alors qu'il se trouve à quelques centimètres de Tali, ses raisons sont incertaines. Veut-il vraiment la pérennité de la communauté dans laquelle il a vécu pendant plus de cinq ans, ou plutôt espère-t-il retrouver la réputation perdue de sa famille afin de pouvoir aimer Tali sans compromettre son avenir ? Probablement un peu des deux, et c'est dans cette optique qu'il répond calmement :

« J'ai besoin de toi. »

S'élançant dans une tirade, Sazh parle du village au pied de la montagne, de la sorcière Maléfique et des étranges sans-cœurs dont parlent les légendes. Il mentionne la prophétie de la doyenne et avoue ne pas trop y croire, mais refuse d'abandonner l'idée que les ténèbres pourraient bientôt envahir le Domaine Enchanté. Il parle de cette mission de réconciliation comme un moyen de redorer le blason familial, mais aussi de permettre à la communauté de survivre. Surtout, il espère, par le biais de cette quête, pouvoir retrouver son statut dans la société et ainsi pouvoir aimer Tali librement.

En guise de conclusion, il répète un « J'ai besoin de toi » qui réverbère dans toute la maison. Tali, certainement bouleversée, opte pour le silence durant quelques secondes. Elle aimerait bien glisser quelques mots, mais toute cette histoire lui apparaît insensée. Pourtant, elle a toujours considéré Sazh comme un jeune homme intelligent et réfute systématiquement la thèse de la folie : s'il est parvenu jusqu'à elle, c'est que Sazh a vu une part de vérité dans cette mystérieuse prophétie. D'une voix douce, elle ajoute :

« Tu sais, Sazh... Il y a quelques mois, des paysans ont été attaqués par des créatures étranges. La garde n'a pu retrouver ces monstres. Je ne crois pas aux prophéties et aux prémonitions, mais ton histoire coïncide bizarrement avec les derniers événements... »

« Des monstres ? »

« Oui... Selon le Roi, ces morts ne sont pas l'œuvre d'humains. »

Sazh dépose sa tasse sur la table et se redresse d'un coup.

« Il... Il faut agir. Il faut avertir le Roi et... »

Tali dépose sa main sur la joue de Sazh et ramène son visage vers elle. Dans une délicatesse marquée, elle dépose ses lèvres sur celles de Sazh. D'un coup, la crainte et l'appréhension qui s'éprenaient du jeune homme s'estompent pour laisser place à un sentiment de paix généralisé. Sentant l'atmosphère se détendre, Tali ne peut dissimuler un sourire. Elle conclut :

« Ne t'inquiète pas. Suis-moi. »

Leurs doigts s'entrecroisent et Tali mène Sazh dans la chambre de son père où elle s'arrête pour fureter dans le garde-robe. Elle choisit soigneusement des vêtements propres qui crient à l'opulence et au luxe. Si l'accoutrement du jeune homme peut au moins convaincre le Roi que les Katzroy ne sont pas tous des êtres infâmes, Tali préfère mettre toutes les chances de leur côté. Lorsqu'elle sélectionne finalement tous les morceaux, elle quitte la pièce.

Après quelques minutes, lorsqu'elle entre de nouveau, elle est elle-même ébahie par le costume de Sazh. Celui-ci a l'air d'un aristocrate; mieux, d'un prince. Elle en profite même pour coiffer un peu l'éternel afro de son ami en les brossant avec soin. Elle dépose finalement sur la tête de Sazh un haut-de-forme que seuls les nobles ont la chance de porter. Satisfaite, elle choisit à son tour la plus belle robe de sa commode et l'enfile en toute vitesse : ils sont enfin prêts à confronter la royauté.

Main dans la main, ils quittent la maison. Sazh, par réflexe, se distancie un peu de Tali pour éviter d'être aperçus ensemble en public. Cette dernière laisse tomber un soupir et demande à son ami de se rapprocher : elle est décidée à transformer les choses pour le mieux et le retour de Sazh lui a rappelé que les changements partent avant tout de soi-même. Confiante, elle s'agrippe à la main du jeune homme et mène la marche jusqu'au château.

Devant l'interminable pont qui les sépare du palais, le cœur de Sazh se tortille. Il a envie de rebrousser chemin, mais il ne peut abandonner maintenant. Il a traversé la dangereuse forêt des étangs pour persuader le Roi de rejoindre sa cause; capituler n'est plus une solution. Côte à côte, ils franchissent donc le pont. Plus ils s'approchent de la porte, plus ils sont silencieux : la crainte d'un énième échec vient les hanter, mais Tali et Sazh chassent ces mauvaises pensées en s'étreignant pour une dernière fois.

Les portes du château sont grandes ouvertes, mais un garde se tient à l'entrée. Quand le surveillant les aperçoit, il entame son discours formel en demandant :

« Quel est votre nom et qu'est-ce que le Roi peut faire pour vous ? »

Tali se détache et s'avance vers le garde. Comme prévu, c'est elle qui parle en premier au garde. De sa position au sein de la société, ses mots ont probablement beaucoup plus de poids que ceux de Sazh. Elle répond donc, en s'efforçant d'utiliser un ton un peu insolent comme le font les membres de la noblesse :

« Je suis Tali Rayyah. J'ai besoin de parler au Roi pour une proposition d'affaires. »

Le garde, pourtant impassible depuis le début de leur rencontre, se met à rire. Il s'esclaffe :

« Oh ! Une proposition d'affaires... Comme c'est mignon ! »

Un peu vexée, Tali se recule. Elle veut répliquer, mais Sazh lui fait signe de ne rien faire. Il a une idée derrière la tête et, sans hésiter, il met son plan à exécution :

« Je suis Sazh Katzroy, fils de Jax, traître et déloyal. »

Le gardien, un peu surpris, semble beaucoup plus intéressé par la tournure des événements.

« Et que voulez-vous ?! »

« Je suis venu terminer le travail de mon père. »

Alerté, le garde saute sur son interlocuteur et le mobilise contre le sol. Sazh décide de ne pas lutter et de se soumettre à la force du garde. Peu après, d'autres soldats font leur apparition et maîtrisent Tali sans aucune tendresse. À son tour, elle se retrouve face contre terre, incapable de se défaire de l'emprise du surveillant. Un sourire vient alors couronner le visage de Sazh : la première partie du plan fonctionne à merveille.

Comme prévu, Tali et Sazh sont menés dans la salle d'audience où discutent le Roi et ses conseillers. Brutalement, ils sont propulsés vers l'avant. Tali laisse échapper un cri de douleur en s'affaissant contre le sol, ce qui enrage Sazh. Il ne se laisse néanmoins pas porter par les émotions et reste calme. C'est l'un des gardes qui interpelle le Roi :

« Sa Majesté, quelqu'un est venu vous voir... Sazh... Sazh Kaztroy. »

« Oh... Le fils de Jax ? Intéressant. »

Le monarque se lève et se retourne vers les captifs. Il s'en approche comme un charognard vole autour d'un cadavre. Il semble satisfait de trouver le fils du condamné et, comme si la peine de mort de Jax n'avait pas été suffisante, il arbore un sourire carnassier. D'un geste brusque, il dégaine son épée et la dépose contre la nuque de Sazh. Il articule en parlant si fort que sa voix résonne contre les colonnes de la salle du trône :

« Que viens-tu faire ici ? »

« J'ai besoin de votre aide, j'ai-- »

« Allons, allons ! Tu es venu terminer le travail de ton père et tu as échoué, n'est-ce pas ?! »

« Non, je...-- »

« Qu'est-ce qui t'amène ici, alors ? »

« Les s-- »

« Un désir de vengeance, peut-être, un dés-- »

« LES SANS-COEURS. Les sans-cœurs sont sur le point d'envahir le Domaine. »

Le Roi se tait un moment et range son épée dans le fourreau. Intéressé par les propos de Sazh, il s'en approche et l'aide à se relever.

« Les sans-cœurs, tu dis ? Comment sais-tu... »

« Je viens du nord, Votre Majesté, au-delà de la forêt des étangs, au pied de la montagne. Là-bas, les sans-cœurs ont déjà commencé à attaquer les innocents. Notre village ne peut les repousser sans votre aide. Ils sont trop nombreux... trop puissants. »

« Qu'est-ce qui me dit que tu ne me mens pas ? »

« En venant ici, j'ai risqué ma propre vie. La population grince des dents lorsqu'elle entend ou voit un Katzroy, vous savez. »

« En quoi ferais-je confiance à un homme tel que toi ? Ton père a trahi le royaume. »

« Je ne suis pas Jax. Je suis son fils. Je n'ai pas demandé à l'être. Et je n'ai pas demandé à mon père de vous tuer. »

« Alors pourquoi es-tu venu à la fête du Solstice ?! »

« J'espérais y retrouver Tali, elle. Et parce que sous un masque, je pouvais passer inaperçu. On a incendié ma maison, Votre Majesté. J'avais peur pour ma propre vie. »

« Alors, je... »

« Ce n'est pas une question de confiance, Votre Majesté. Oubliez qui je suis et prenez ce que je dis comme une recommandation : c'est le sort de votre peuple qui est en jeu. »

« À la vue des derniers événements, je ne peux laisser tomber une telle information. Si tu mens, néanmoins, tes propos seront sanctionnés et tu connaîtras le même sort que ton père. »

« Je suis prêt à prendre le risque. »

« ... Tu connais bien le nord, donc ? »

« Oui. »

« Alors, tu seras aux premiers rangs. Par le pouvoir qui m'est conféré par Dieu, j'ordonne ton inscription au sein de l'armée royale. L'entraînement commence demain, sois prêt. »

Comme symbole d'entente mutuelle, Sazh se penche vers l'avant pour saluer le Roi. En se relevant, il croise le regard du monarque : celui-ci ne paraît pas totalement convaincu par les propos de Sazh, mais devant de telles incertitudes, il serait absurde ne rien faire et de laisser le peuple sombrer dans les ténèbres.

Obtempérant aux exigences royales, les gardes s'approchent rapidement de Tali et de Sazh avant de défaire les liens qui nouent leurs poignets. Libres, leur première réflexe est de s'enlacer. Autour d'eux, le Roi continue de discuter avec les conseillers. Autour d'eux, l'aristocratie va et repart sans cesse. Autour d'eux, les ténèbres sont probablement plus près que jamais. Pourtant, pendant l'espace d'un instant, pendant l'interstice d'une seconde, ils sont seuls au milieu de nulle part.

* * *

À l'orée de la forêt des étangs, les soldats ont établi un campement. Dans la tente principale, Sazh observe une carte en y déposant des pions un peu partout. Son service militaire dure bien plus longtemps que prévu : cela fait plus de sept ans qu'il erre dans le Domaine Enchanté en essayant tant bien que mal de repousser les sans-cœurs. En effet, ces derniers se font de plus en plus nombreux depuis quelques temps. Même si l'armée est omniprésente, la sécurité du royaume est compromise par ces armures noires qui n'ont ni pitié ni scrupule. Ils attaquent les bons comme les infâmes, les innocents comme les criminels. Ils semblent être à la recherche de quelque chose de plus grand, de quelque chose qu'ils ne possèdent pas, mais qu'ils aimeraient bien chérir.

Alors que Sazh constate que la situation est plus grave que prévue, un homme entre dans la tente. Il porte sur ses épaules un énorme sac qu'il dépose immédiatement sur le sol, à côté d'un arc long. L'intrus fouille dans la besace pendant de longues secondes avant d'en ressortir un parchemin scellé. Il le dépose sur la table de Sazh et repart sans ne rien ajouter.

Curieux, Sazh agrippe la lettre et l'ouvre. Sans même la lire, il comprend qu'il s'agit de Tali. En effet, qui d'autres pourrait bien lui envoyer des missives ? Sa famille est disparue et ses amis sont quelque part en mission comme lui. Sans attendre, il déroule le parchemin et le dépose sur son pupitre. À la lueur de la chandelle, il commence à lire le texte à voix basse. Alors, se dessine sur son visage un sourire qui danse entre la surprise et la joie, un sourire qui transcende les âges et les intempéries. Pour être bien certain de ce qu'il lit, il survole à nouveau le message avant de prononcer les seuls mots qui l'intéressent : « Je suis enceinte. »


Au loin, je crois voir le Domaine Enchanté. Bon, je ne suis pas pilote ni cosmonaute, mais il me semble bel et bien reconnaître la forêt des étangs. Le voyage tire donc à sa fin : pour tout vous avouer, ce périple aura été beaucoup plus périlleux que prévu. J'ai l'habitude des longs trajets monotones, mais cette fois-ci, j'ai vécu toute une aventure. J'ai rencontré un chauffeur qui n'a pas la langue dans sa poche, j'ai mangé un sandwich cuisiné par des bonshommes verts, je me suis battu contre un pickpocket... Et puis quoi encore ? Décidément, je vais rester aux aguets : une malencontreuse péripétie est si vite arrivée.

Par le hublot, je me perds un moment dans les étoiles qui brillent à l'horizon. Je me souviendrai de cette histoire jusqu'à la fin des temps... Je me rends en effet compte que mon existence n'est pas ce qu'il y a de plus excitant. Certes, je voyage un peu, mais je passe la majeure partie de mon temps dans un bureau exigu à compter des trucs pour des clients dont j'ignore même le nom. Bon, je me plains encore. Peut-être que le chauffeur pense exactement comme moi, peut-être qu'il aimerait une existence totalement autre, qui sait ? L'herbe est toujours plus verte chez le voisin, semble-t-il.

« Alors, tu vas lui dire quoi à cette fille ? »

Les propos du chauffeur m'arrachent à ma rêverie. Je lui réponds spontanément :

« Je vais la traîner jusqu'au pont. Ça a marché pour vous, alors pourquoi pas ? »

« Ha ! ha ! Traîne-la sur le pont, et dis-lui que tu viens de lutter contre un brigand qui faisait deux fois ta taille. Dis-lui que t'as mis ta propre existence en jeu pour elle ! Les filles raffolent des gars qui savent bien les défendre. »

« Oh, croyez-moi, cette fille sait se défendre toute seule. »

Je m'arrête un moment, et je reprends :

« Et si elle ne semble pas intéressée, je fais quoi ? Je pleure sans lendemain ?! »

« Tu sais... La vie, c'est un peu comme un long chemin fastidieux. Un chemin fastidieux sur lequel on s'amuse à mettre des obstacles de plus en plus difficiles à traverser. Un chemin fastidieux qui va te sembler éternel, tu vois. Un chemin fastidieux sur lequel tu trébucheras une bonne centaine de fois et un chemin fastidieux où tu rencontreras des gens qui justement aimeront te tendre la main pour te regarder tomber ensuite... »

« Et on fait comment pour survivre à tout ça ? »

« Les contes de fées, ça n'existe pas... Je ne t'apprends rien, hein. Pour survivre à tout ça, 'faut laisser une chance à la vie. Ça peut sembler un peu creux, mais les trucs finissent toujours pas reprendre leur cours. Essaie de vivre sans trop te soucier de ce qui t'embête et vis pour ce en quoi tu crois. 'suffit de trouver son combat. »

Je ne réponds pas; le silence acquiesce à ma place. Au même moment, le pilote entame l'atterrissage. Par le hublot, le Domaine Enchanté devient de plus en plus immense. Quand on entre dans son atmosphère, je me sens pris d'une vague de nostalgie... Ça fait des années que j'ai mis le pied ici. J'ai de bons vieux souvenirs qui traînent quelque part dans ce royaume.

Lorsqu'on est enfin posé, je me retourne vers le chauffeur pour lui rendre les munnies que je lui dois, mais je me rends compte qu'une question continue de trotter dans mes pensées. J'en profite pour lui demander avant de partir, car je ne reverrai probablement plus jamais ce pilote. C'est un peu malheureux, mais c'est la vie... Le long chemin fastidieux de l'existence mettra d'autres chauffeurs un peu cinglés sur ma route. Décidé, je demande donc :

« Avant de partir... J'ai une question. Toute à l'heure, quand on se battait contre les voleurs, vous avez... vous avez comme insufflé en moi un peu d'énergie. Et vous avez aussi... Vous avez aussi créer une drôle d'éclair dans le ciel. Je me demandais... »

« Ah, ça, c'est une longue histoire. D'ailleurs, je crois que je vais passer au château. J'ai... disons... quelqu'un qui m'attend là-bas. Tu m'accompagnes ? »

« Bien sûr. »

« Donc... Ça... C'est la faute ou c'est grâce au Sanctum. Tout dépend de comment on voit les choses. »

Le dernier sprint
avant la fin du monde

Une pluie fine déferle sur l'un des cimetières du Domaine Enchanté. Un homme est à genoux devant une pierre tombale. Il n'est pas particulièrement croyant, mais en ce jour sombre, ses mains sont liées comme s'il implorait une force divine pour un miracle ou, du moins, pour un peu de réconfort. Sous l'averse, on parvient difficilement à remarquer la larme qui glisse sur sa joue; pourtant, on discerne toute la tristesse dans son regard.

D'un geste lourd, comme porteur de tous les maux du monde, l'homme dépose un bouquet de roses au pied de la pierre et ferme les yeux un moment. Il aurait tant aimé pouvoir lui donner ses fleurs en chair et en os, mais le destin en a décidé autrement. Deux ans, cela fait deux ans que son âme a quitté le monde des mortels. Deux ans qui apparaissent comme des siècles; pire, comme des millénaires aux yeux de l'endeuillé. Dans l'adversité, il essaie de rester logique et rationnel : pleurer un mort ne le ramènera pas. Il faut avancer, continuer la route et espérer un jour que les choses reprennent leur cours. D'ici là, il faut se battre.

L'homme fait glisser ses doigts sur les rainures de la pierre tombale. Plus ses doigts dessine les lettres, plus il se sent renoué avec le corps qui git quelques mètres en-dessous de lui. Tali Rayyah, que ton âme repose en paix. Il prononce ces quelques mots à haute voix, comme s'il espérait une réponse. Voyant l'échec de sa manœuvre, il décide de se reprendre en mains, de se remettre sur pieds et de poursuivre son chemin.

Sur le trajet du retour, Sazh est pensif. Il doit nourrir son fils, malheureusement il se fait un peu vieux pour la garde royale. Les bleusailles sont beaucoup plus vigoureuses qu'il ne l'est. Se rendant compte de cette dure réalité, il a décidé lui-même de quitter le monde militaire, tout en gardant des contacts privilégiés avec le Roi : quelques années auparavant, il annonçait une invasion de sans-cœurs et, grâce à lui, on avait pu repousser une bonne partie d'entre eux. Les ténèbres étaient encore présentes, mais on pouvait contrôler leurs rangs.

Relevant la tête, il aperçoit un étrange panneau lumineux à l'horizon. Si les sans-cœurs ont cessé - ou du moins, ont en partie cessé - leur invasion, une curieuse compagnie s'est établie en bordure de la forêt des étangs : la Shinra. La Shinra est une entreprise qui permet aux voyageurs de visiter des mondes qui étaient quelques mois plus tôt inaccessibles, faute de technologie. Sazh, contrairement aux autres habitants, ne fut pas trop perturbé par leur arrivée : quand il demeurait toujours dans le village au pied de la montagne, les érudits de la communauté promettaient des mondes incroyables quelque part dans ces routes stellaires.

Sazh effectue ce trajet chaque semaine, pourtant, c'est la première fois qu'il aperçoit ce panneau lumineux. Sur celui-ci, les mots défilent et, si on prête bien attention, on peut y lire :

Chauffeurs recherchés
Horaire flexible
Salaire respectable
Bonnes conditions
Retraite paisible

Tel un signe du destin, ce panneau apparaît comme salvateur. Ayant puisé dans ses dernières ressources, Sazh est au bout du rouleau depuis plusieurs semaines. Il tente tant bien que mal d'effectuer des petites corvées ici et là pour récupérer un peu d'argent, mais les profits sont faibles et Dajh, son fils, doit connaître de meilleures conditions de vie. Poussé par l'appât du gain, sans se soucier de son fils qui joue en ce moment chez les parents de Tali, il s'avance vers le concessionnaire pour y trouver un responsable.

Lorsqu'il entre dans le bâtiment, il constate toute l'absurdité de la situation. De l'autre côté des portes, sur les plaines du Domaine Enchanté, les gens sont des agriculteurs, vivent de leurs productions et élèvent pour se nourrir. L'aristocratie est reine et les seigneurs dominent. Pourtant, dans le concessionnaire, un nouveau monde s'ouvre aux curieux : des véhicules technologiques qui font tache dans un monde aussi féérique que le Domaine Enchanté, des objets bizarres issus de civilisations stellaires et des ouvriers qui semblent être tout droit sortis d'un rêve psychédélique. Sazh n'en porte pas attention bien longtemps, car il est bien décidé à travailler pour eux.

Il s'approche donc du comptoir et, ne sachant pas trop comment interpeller l'homme barbu qui se trouve derrière, il laisse échapper un « Eh ! ». L'homme se retourne aussitôt et, arborant un sourire hypocrite, dit :

« Bonjour monsieur, comment puis-je vous aider ? »

« Euh... Je viens pour le travail, le salaire respectable, les bonnes conditions et... »

« Vous désirez être chauffeur-pilote, donc ? »

« Oui... Je suppose. Quelles sont les... modalités ?! »

« Vous savez conduire un de ces engins ? »

« Non, mais je suis prêt à apprendre. »

« D'accord, veuillez passer à la salle B3 où vous pourrez visionner une vidéo. »

« Une... quoi ? »

« Une vidéo. »

« D'accord. »

Ne sachant pas trop comment appréhender les choses, Sazh se dirige prudemment vers la salle B3. En entrant, il se demande s'il est au bon endroit, mais l'affiche semble indiquer que oui. Dans la pièce, il n'aperçoit qu'un minuscule siège. Il suppose qu'il doit s'asseoir sur celui-ci, alors c'est ce qu'il fait sans attendre une seconde de plus. Devant ses yeux ébahis, une image animée est projetée sur le mur, puis quelques mots : « Le guide du bon pilote » Impressionné par cette technologie, par cette magie presque, Sazh ne dit plus rien et se contente de visionner la vidéo comme demandé.

Pendant cette heure, il apprend les mécanismes de base de pilotage, les dangers sur les routes stellaires, le processus du service à la clientèle, une géographie approximative des routes stellaires et tout un amalgame de renseignements utiles sur la survie dans le vide intersidéral. Néanmoins, ce qui l'impressionne le plus, ce sont tous les mondes qui s'ouvrent à lui : la Terre des Dragons, le Jardin Radieux, Atlantica, ... Tous ces univers sont maintenant à portée de la main. Le Domaine Enchanté était-il endormi pendant tout ce temps ?

À la fin, on remercie Sazh d'avoir écouté attentivement. Cela fait, du sol émerge un panneau de commandes : en se basant sur la vidéo, Sazh suppose qu'il s'agit de la phase de simulation. Alors que des images de la galaxie sont projetées devant lui, il décide d'empoigner le volant et les différents leviers. Une voix synthétique intervient alors en précisant que le pilotage des vaisseaux de la Shinra est instinctif, ce après quoi Sazh entame la phase de simulation. Il réussit le décollage sans trop de difficultés, réussit à éviter une ceinture d'astéroïdes, mais se rend bien vite compte que l'atterrissage, c'est tout autre chose. Après des manœuvres dangereuses, le « vaisseau » se « pose » enfin sur la « terre ferme ». Le panneau de commandes disparaît et Sazh est libéré.

Il quitte finalement la salle B3 et s'approche du comptoir, là où l'homme barbu patiente toujours. Lorsqu'il voit arriver Sazh, il ne peut empêcher un soupir contenté.

« Alors, tout s'est bien passé ? »

« Oui, je suppose. »

« Revenez demain pour la suite. »

Sazh quitte aussitôt et, le lendemain, effectue une deuxième simulation. Ce petit jeu dure environ deux semaines, ce après quoi il s'approche du comptoir et demande :

« Ensuite ? »

« Nous allons maintenant passer à la réalité. Mon collège Buck sera votre copilote pendant votre premier vol. Vous êtes prêt ? »

« Euh, je ne sais pas si... »

« Ne vous inquiétez pas ! Le pilotage des vaisseaux de la Shinra est instinctif ! »

« Oui, il paraît. »

« Suivez-moi. »

Un peu inquiet, Sazh suit l'homme barbu jusqu'à la baie d'atterrissage où se trouvent plusieurs vaisseaux. La plupart sont de taille respectable, mais, au bout de la baie, un énorme véhicule, grand comme dix, surplombe sur tout le reste. Impressionné, Sazh n'a d'yeux que pour cet engin qui se dessine à l'horizon : s'il avait su qu'une telle technologie existait quelques années plus tôt, il aurait pu quitter le Domaine Enchanté et ainsi éviter toutes les mauvaises situations dans lesquelles il s'est empêtré.

Le barbu ramène Sazh à la réalité : il n'aura pas la chance de piloter le vaisseau gigantesque et se contentera d'un véhicule de taille moyenne, pouvant contenir de quatre à cinq passagers. Lorsqu'il pénètre dans la machine, le cœur de Sazh s'arrête : et si le vol ne se déroulait pas comme prévu ? Et s'il n'avait pas emmagasiné suffisamment les informations de la vidéo ? La question ne concerne pas uniquement l'honneur, mais aussi la survie : ce travail apparaissait comme une lueur d'espoir dans une période sombre de son existence. S'il échouait à cette tâche, ce serait comme d'abandonner son fils dans la misère.

Stimulé par ses ambitions, Sazh atteint le cockpit et s'assoit machinalement sur le banc du pilote. Buck, sis à côté, commence à parler, mais Sazh ne l'écoute pas vraiment : il est trop concentré. Il essaie de se remémorer les processus, les mécanismes, les façons de faire. Cela fait, il en profite pour respirer quelques secondes, question de remettre ses idées en place.

« Allez ! Tu peux essayer ! » s'exclame Buck.

Sazh dépose sa main sur le levier principal et l'abaisse doucement. Il pianote ensuite sur le panneau de bord, indiquant une destination au hasard. Quand il se sent finalement prêt, il appuie ses mains contre le volant et entame le décollage. Presque sans turbulence, le vaisseau lévite quelques instants et fend l'air. Son ascension est rapide, et bientôt le ciel azur prend des teintes profondes de bleu. Des étoiles commencent à parsemer le paysage : il a atteint les routes stellaires.

Satisfait, mais un peu confus, Sazh sourit. Le pilotage des vaisseaux Shinra est en effet instinctif.

* * *

Dans le ciel gris d'Atlantica, un vaisseau entame sa lente descente. Effleurant la cime des arbres au passage, il vole tout droit vers le hangar de la Shinra, lui-même érigé à quelques mètres de la grève. Quand il se pose enfin, Sazh en ressort fièrement. Il est imité par un bambin d'à peine cinq ans qui, à l'image de son père, ouvre la portière et pose pied sur la terre ferme. Excité, il accourt auprès de son père et il tend les mains vers le firmament. Sazh comprend que son fils veut grimper dans ses bras, et il s'exécute donc sans contester.

Ensemble, ils quittent le hangar et commencent à fouler la province d'Atlantica. C'est la première fois que Sazh met le pied dans cet endroit; pourtant, on lui a vanté à de multiples reprises la nature féérique de ce monde. Ayant été libéré de son emploi pendant quelques jours, il en a donc profité pour apporter avec lui Dajh afin de lui montrer les merveilles que porte cet univers. L'enfant a accepté l'offre sans équivoque, et voilà que tous les deux gambadent sur l'interminable plage qui borde les kilomètres et les kilomètres d'océan.

Selon les dires des collègues de travail de Sazh, on peut visiter un château formidable de l'autre côté de cette forêt. C'est donc dans cette optique qu'il diverge tranquillement de la grève pour s'engouffrer dans la forêt. Ne sachant pas trop où il se dirige, il se contente de cheminer vers ce qui semble être le nord, là où on lui a promis des merveilles architecturales. Cependant, plus les secondes s'écoulent, plus les bois deviennent denses et plus les arbres se multiplient : rapidement, on ne voit plus qu'à quelques mètres devant soi.

Sans paniquer, Sazh décide de rebrousser chemin quelques instants et n'est-il pas surpris d'apercevoir un étrange monument se dessiner entre les feuillus. Curieux, il décide de s'en approcher. Plus il avance, plus il discerne une sorte d'autel, comme si on avait placé des roches pour permettre le sacrifice de quelqu'un. Ne voulant pas traumatiser son propre fils, il décide de se retourne, mais Dajh l'interrompt d'un chant insistant :

« Papa, qu'est-ce que c'est ?! »

Sazh reste silencieux un moment. À vrai dire, il ne pourrait pas précisément dire de quoi il s'agit. La disposition des rochers suppose une sorte de tradition chamanique, mais il n'en est pas certain. Il balbutie donc une réponse sans intérêt :

« Je n'en ai aucune idée. Allez, rendons-nous au château. »

En se retournant, il aperçoit une inscription gravée dans la pierre. Comme poussé par une force surnaturelle, il s'avance vers celle-ci et commence à lire les mots à voix basse. En même temps, il dépose son fils sur le rocher afin de se détendre un peu le bras. Le texte est dans une langue qu'il ne comprend pas, mais il parvient tout de même à prononcer les syllabes suivantes : Ecclesia abhorret sanguinem. Irrésolu, il dépose son index sur les inscriptions en dessinant les lettres.

Un vent froid inquiétant vient faire danser les feuilles autour de Sazh et de son fils. Tel un mauvais présage, les nuages se multiplient dans le ciel et celui-ci s'obscurcit un peu plus à chaque seconde. Derrière lui, Sazh pressent une présence, comme si quelqu'un les observait depuis le début. Ce n'est que lorsqu'il aperçoit du sang séché dans les rainures de la pierre qu'il devine que tout cela n'est pas un jeu. Pressé, il fait un demi-tour sur lui-même, serre son fils contre lui et accélère le pas.

Une minute s'écoule : la nuit semble être tombée sur la province d'Atlantica. Il peine à marcher dans ces ténèbres, à un tel point que ses pieds s'entremêlent souvent entre les racines. Il ne trébuche pas, mais perd l'équilibre à plusieurs reprises. Puis, une fumée de plus en plus opaque s'élève comme si elle émergeait du sol. La forêt se met à trembler, les arbres à rire d'une voix grasse et le ciel à s'abaisser sur Sazh. Un flash lumineux, un cri enfantin, et puis plus rien. Dajh est arraché des bras de son père pendant un demi-seconde avant de réapparaître. Au même moment, la noirceur se dissipe et les bois reprennent leur apparence normale.

Dajh, dans un état de semi-conscience, se tortille violemment. Sazh s'inquiète :

« Dajh ?! »

« Pour... pour les éternels. »

* * *

Depuis l'établissement des quartiers généraux du Sanctum au Domaine Enchanté, bien des choses ont changé. Du jour au lendemain, le royaume a pris des allures de principauté religieuse où la dévotion est reine. À travers les plaines et les champs, des églises et des temples ont été construits et la ferveur s'est répandue parmi le petit peuple et l'aristocratie comme une traînée de poudre. En fait, les gens se sont servi de cette spiritualité pour s'accrocher à la vie, pour donner une raison à leur existence souvent monochrome et absurde.

Galenth Disley et tous ses successeurs n'ont pourtant pas convaincu Sazh de rejoindre leur cause. Ayant survolé la Cité des Rêves à de plusieurs reprises, il a bien vu à quel point la religion était un moyen d'enrôler les plus naïfs pour les entraîner dans un engrenage sans fin. Méfiant, il s'est toujours tenu loin des grandes réunions religieuses et des monuments dédiés aux Éternels; pourtant, depuis quelques semaines, il est confus.

Après l'incident sur les terres d'Atlantica, le premier réflexe de Sazh fut de s'informer sur cet étrange phénomène auprès des érudits de Sanctum. Le consensus fut rapide : Dajh venait d'entrer en contact avec un Éternel et était maintenant garant d'une mission, d'une tâche à accomplir pour la pérennité des dieux. Toujours ombrageux à ce sujet, Sazh ne sait plus quoi penser. D'un côté, la religion demeure pour lui un concept incompris, mais, de l'autre, les derniers événements viennent déformer sa certitude.

À l'hospice du Sanctum, Sazh regarde Dajh courir entre les lits de fortune. Le garçon, pourtant arraché à son existence paisible depuis l'incident, danse et rigole avec toute l'insouciance du monde. Il ne comprend pas l'ampleur des choses, et son père croit que c'est mieux ainsi. Les clercs du Sanctum qui l'analysent depuis plusieurs semaines entre les murs de ce cloître croient quant à eux que Dajh doit accomplir sa tâche. Cependant, il est difficile d'accomplir un travail dont on ignore la visée : c'est donc pour cette raison que Dajh est isolé du reste du monde depuis tout ce temps, le clergé voulant mettre le doigt sur ladite tâche.

Quotidiennement, Sazh visite son fils et, ce jour-ci, il est bien décidé à le sortir de cette prison. D'une voix paternelle, il hèle donc Dajh et lui demande de s'approcher. Comme s'il espérait une réponse différente des autres fois, il demande :

« Dajh... Ce que tu as vu à Atlantica, tu... tu as oublié ? »

« Oui, papa. »

Un peu désemparé, Sazh enlace Dajh. Il soupire :

« Si seulement je pouvais accomplir cette tâche à ta place. »

Par la fenêtre, une lumière blafarde vient plonger la pièce dans une ambiance presque céleste. Derrière une brume blanche, tous les individus présents dans l'hospice - à l'exception de Sazh - s'estompent dans un dernier éclat lumineux. Ne comprenant pas trop ce qu'il se passe, il lance des regards furtifs autour de lui à la recherche de son fils, qui lui aussi a disparu dans le brouillard. Paniqué, il dégaine l'un des pistolets accrochés à sa ceinture et le pointe au hasard dans le vide. Aucune réaction.

Du sol émerge une silhouette opalescente qui scintille sous les rayons de mille soleils. La silhouette change de forme et de grandeur à chaque seconde. Sazh ne sait pas comment considérer ce spectacle psychédélique et se contente de reculer de quelques pas en regardant parfois derrière lui. La silhouette, comme vexée de ce recul, bondit tout droit vers Sazh et le projette vers l'arrière avant de ne plus jamais réapparaître. Une voix issue de toutes les directions répète les mêmes mots en murmurant :

« Détruire l'ennemi. »

Sazh, stimulé par une force extérieure, ferme les yeux. Dans sa tête se bousculent des images qu'il ne parvient pas à identifier correctement. Il aperçoit ce qui semble être un château grandiose, des flammes infernales, des paysages désolés et des guerriers en armure. Lorsqu'il relève ses paupières, le brouillard a disparu et le monde reprend son cours normal. Pourtant, Sazh se sent comme... amplifié. Une énergie électrique parcourt ses veines et de minuscules étincelles émergent du bout de ses doigts. Dans sa ceinture, les pistolets vibrent.

Épris par une fatigue intense, il tombe à genoux et écrase son front contre ses paumes à la recherche de son souffle. Quand il reprend conscience, il est aveuglé par un autre faisceau de lumière, mais cette fois-ci, il s'agit bien d'une lumière réelle. De sa vision un peu floue, il discerne le corps de son fils qui lévite deux mètres au dessus du sol. Dans le feu de l'action, le temps se cristallise. Plus rien ne sera jamais pareil.


En parlant de la pluie et du beau temps, on traverse le pont qui mène jusqu'au château. Ne sachant pas trop où m'amène le pilote, je ne demande rien et me laisse porter par les circonstances. Dès qu'on entre dans le château, on arrête de parler. En effet, l'ambiance suggère le silence. Le plafond interminablement haut fait résonner les moindres sons : même ma respiration fait écho quelque part dans la salle d'audience.

Côte à côte, on quitte la salle du trône et on s'avance dans l'aile ouest du château. Dans le couloir, des peintures ornent les murs et plusieurs dizaines de statues de marbre parsèment le corridor. Je me dis que je pourrais bien voler un des multiples objets décoratifs qui trônent sur les tables en or pour le vendre et me faire une petite fortune, mais je m'y résigne : après tout, ce n'est pas trop mon genre de prendre ce qui ne m'appartient pas.

Finalement, on débouche sur une énorme salle presque vide. Au plafond, un chandelier gigantesque pend. À vue de nez, il doit bien y avoir... quatre-vingts kilos d'or massif. Ce constat me pousse à réfléchir. De l'autre côté du pont, les paysans peinent même à survivre et subsiste de leurs propres récoltes, souvent incertaines au fil des ans. Pourtant, à l'intérieur de palais, l'or flirte avec le marbre et on semble oublier la misère contagieuse qui s'attaque à la population. Drôle de paradoxe qu'est le pouvoir...

Au fond de la salle, je crois apercevoir deux ou trois statues en verre. D'un premier coup d'oeil, je me demande bien ce qu'il y a de si intéressant dans tout ça. Sans exprimer mes interrogations, je continue de suivre le conducteur qui commence à accélérer le pas, comme encouragé par l'urgence. On atteint finalement les statues et je m'arrête un moment pour les contempler.

La première représente un vieil homme portant dans sa main gauche une guitare et dans sa main droite une épée excessivement longue. Son visage est tellement réaliste que ça m'effraie un moment : on peut sentir l'excitation, la joie dans ses traits faciaux. La seconde représente une femme d'une vingtaine d'années au maximum. Elle tient un pistolet qu'elle pointe à l'horizon, comme si on avait figé une véritable personne au moment fort de son action. Finalement, la troisième statue représente un enfant d'à peine sept ans. Ses bras sont levés haut vers le ciel et on ressent presque un soulagement dans son sourire.

Le pilote soupire et il se retourne vers moi :

« Dajh. »

« Oh. »

« Ouaip. Tout ça par la faute du Sanctum et de tous ces foutus Éternels... »

Je ne suis pas très érudit, mais je crois avoir déjà entendu parler de ces Éternels dans le passé. Si je me souviens bien, il s'agit d'entités supérieures aux pouvoirs gigantesques qui auraient forgé l'univers plusieurs millénaires avant nous. Maintenant, certains fervents leur vouent un culte pour les remercier, ou tout simplement pour implorer un peu d'aide dans les moments plus difficiles.

Sazh s'avance un peu et dépose sa main sur son fils, comme figé sous une couche de cristal. D'un ton triste, mais plein d'espoir, il dit :

« Tu sais... Je te disais tout à l'heure que la vie peut parfois sembler difficile, mais que c'est beaucoup plus facile d'avancer si on trouve une raison de se battre... »

« Oui ? »

« Eh bien, je te présente mon fils. »


Spoiler :
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Alors alors... Le dernier des résignés, le premier des blacks !

Deux rangs très cools... Très bon choix. Avoir un quadragénaire aussi c'est cool. Tu n'es pas le premier non mais... je crois qu'actuellement, il n'y en a pas énormément !

Alors comme tu le sais, j'ai lu ta fiche de présentation pendant que je prenais le train vers la douce Belgique, le pays de mon enfance (non ça ne rime pas). Et le commentaire, je l'ai écrit dans la foulée, tant que j'avais des critiques à te faire. Ce n'est pas tant une plaisanterie, j'ai vraiment ressenti le besoin d'écrire vite mon commentaire pour te reprocher ce que je n'ai pas aimé.

Mais commençons par le début. J'ai annoté ta fiche que j'avais faite imprimer. Donc je vais te dire tout ce que j'ai noté en explicitant à peine.

Tu me pardonneras donc, je travaille à partir d'un texte imprimé et ne ferai pas de c/c de certains passages que je trouve vraiment déplorables.

Si quelqu'un lit ce commentaire avant d'avoir lu la fiche de présentation, je lui dis "C'est un peu dommage." Cette fiche de présentation cache une surprise qui se révèle assez tôt mais qu'il serait dommage de se gâcher en lisant mon commentaire.

On commence très fort...

On part d'un voyageur mystérieux... d'un touriste...

Et j'ai adoré ça. J'ai aimé l'idée du narrateur touriste, possiblement Sazh. On ne parle clairement pas assez des touristes et pourtant c'est une foutue idée. J'avoue que je pensais que c'était Sazh (je pense que c'était ton but aussi), du coup j'ai mis "C'est vraiment une idée sympa ! Un quadragénaire qui veut voir du pays". Parce que sur le coup, oui j'avais cette image de Sazh qui s'ennuyait dans son patelin et qui se sentait l'âme d'un aventurier !

Mais même en sachant à présent que ce n'est pas Sazh, je suis encore plus sous le charme. Y a rien de plus faussé que le point de vue d'un touriste. Alors utiliser un touriste qui part en voyage pour raconter une histoire, c'est très bon.

Je reparlerai du touriste longuement !

Je te dis ce que j'ai dit un instant plus tard :

"L'idée des transports en commun est jamais vue, du moins dans une fiche. Et comme j'écris ça dans un train, c'est encore plus cool. Le regard de la vie réelle sur le transport en commun spatial est assez cool. "

Et tu me diras "Dans toutes les missions, y a une considération faite sur les transports en commun". D'ailleurs cette considération est toujours la même et ressemble d'ailleurs à celle que tu fais "Berk ça pue et c'est moche".

Ici, tu expliques un choix qui au final n'a pas vraiment d'importance, décrivant plus précisément les différents transports en commun. Je ne saurais dire ce qui fait que c'est original, mais j'ai vraiment eu l'impression d'être confronté à quelqu'un qui "a fait le tour et que ça saoule";

Ensuite, toujours en croyant que c'était Sazh, je me suis dit "Ce qu'il est maussade, quand même." mais du coup, oublie ça.

Alors je vais recopier ce que tu as écrit en gros :

"Un boulot comme celui-là devient vite lassant. Il a peut-être la chance de parcourir les routes stellaires tous les jours mais après un temps, les astéroïdes qui passent à deux centimètres du cockpit ne deviennent que des obstacles et les étoiles commencent à aveugler plutôt qu'à émerveiller."

J'ai beaucoup aimé ces deux phrases. Je voulais juste le dire.

Ah ! Le premier défaut, oui. Le touriste dit "Le domaine enchanté s'il vous plait" et le chauffeur de taxi est surpris et finit très vite par avouer : "Ouais j'ai un passif là-bas".

J'ai écrit : "Le domaine enchanté, un des QG, actuellement en bonne entente avec le Consulat et la lumière. Le mec vient du Jardin radieux. Il doit y avoir du monde qui veut y aller tous les jours au domaine enchanté."

Tu vois où je veux en venir ? Être surpris par cette destination alors qu'elle doit être l'une des plus communes, je trouve ça spéc'. Raconter plus ou moins sa vie suite à cela, ça sonne faux.

J'enchaine avec un défaut qui n'a rien à voir : Il y a quelque chose comme une dizaine de fautes d'inattention dans ton texte. Et j'insiste sur inattention.

Là je suis assez content de moi ! Quand le chauffeur dit "Ouaip, même que j'y suis né !" je me suis dit "Oh mais c'est peut-être lui Sazh, pas le touriste !" Mais j'étais pas sûr !

J'ai vraiment beaucoup aimé cette introduction. Mais alors la suite... Sérieux.

J'ai juste adoré l'histoire de la forêt. Je m'attendais à un mystère caché, une raison du

"pourquoi est-ce que diable ils ne peuvent y aller !? " si ce n'est une araignée de huit mètres (...) mais quoi qu'il en soit... j'ai aimé ta façon de faire évoluer leur vision de la forêt.

J'en profite pour dire que ton histoire est tellement bien construite qu'en relisant à la méga-diagonale le début de ton histoire, je me suis dit "Ouah, ça fait une paye, j'avais oublié;"

Allez, pour la forme... Tu fais une construction pas terrible.

"Avec le temps, Sazh a développé un amour pour la chasse qu'il dit amicale..."

Trois lignes plus tard :

" Tali, quant à elle, a développé une passion pour les papillons. "

Je ne vais pas trop dans le détail. J'ai aimé ces parties. Mais le premier commentaire que j'ai noté après cette histoire de "a développé", c'est juste après qu'on soit retourné auprès du touriste et de Sazh qui est définitivement Sazh :

" Je vais chez une amie que j'ai pas vuE depuis des siècles."

" Une... amie ?"

J'ai écrit :

"De quoi tu te mêles ?! Lève la vitre et laisse-moi tranquille !"

En fait, en-dehors du caractère de Sazh, moi je suis toujours étonné par les dialogues qui vont trop vite. De manière un peu générale, je trouve que les dialogues dans ta fiche vont parfois décidément trop vite. C'est dommage, moi qui adore voir de très longs dialogues, pourvu qu'ils soient totalement cohérents.

Plus tard! Plus tard je suis tombé sur le Saint-Graal. Franchement c'est le meilleur moment de ta fiche et de très loin. Et pourtant ta fiche se pose là, je te le dis déjà. Tu parles de la forêt et tu reviens sur cette araignée... Une mise en garde, deux mises en garde. Un prédateur de dingue est effrayé par un gamin de huit ans, mais on comprend pourquoi. Et à chaque mise en garde, on sent dans les mots et les descriptions toute la peine que Sazh éprouve à dire tout ça. Et finalement, j'ai écrit :

" Tu as réussi quelque chose d'assez extraordinaire, je le dis avec toute ma sincérité. Tu n'as pas essayé de faire en sorte que l'araignée soit prise en pitié, tu l'as fait. Moi qui déteste ces bestioles, j'ai lu ça, réellement triste des blessures de l'araignée. "

J'ai trouvé ça très bon. Tu as vraiment pris ton temps sur ce moment-là et j'ai été porté par le texte, je pouvais voir la scène et j'étais limite un troisième acteur en mode "Non ! Ne le fais pas !"

Un instant plus tard on revient auprès du touriste. Et j'ai écrit "Je suis assez fier d'avoir deviné le fait que tu essaies de brouiller les pistes avec le narrateur mystère; Très bonne idée vraiment. "

Et oui... J'ai adoré le touriste, j'ai adoré le fait que tu t'intéresses à un personnage qui n'a aucune importance pour la suite (dans les rps je veux dire), que tu décrives autant le caractère d'un quidam pour t'intéresser au caractère de ton personnage. Je pense que ce n'est pas la première fois que je vois ça. Vesper a fait quelque chose de très similaire avec le facteur (il a un titre plus cool que ça. )


" J'adore le fait que tu prennes la peine d'en raconter plus sur le narrateur, même si je crois deviner ce qui les lie. "

Alors là je me suis trompé. Je me suis dit "Twist ! Là en fait ! La meuf du narrateur c'est l'ex-femme de Sazh." Mais bon... non.

Toutefois j'ai adoré le fait que tu crées un problème au narrateur. J'aime pas tellement le côté Grand-frère Pascal, Louis la Brocante (désolé j'ai pas d'exemple qui te parle) de Sazh. Le genre de type qui se mêle de la vie de tout le monde et qui donne des conseils, moi ça me saoule.

Passons au jugement d'un black de quarante ans qui... Ahah ! Tu as encore essayé de brouiller les pistes et de nous faire croire que c'est de Sazh qu'on parle ! Mais non ! Tu ne m'as pas eu !

Au lieu de ça c'est son père. J'ai aimé ce moment. D'une parce que tu as très bien décrit les sentiments et les émotions (c'est pareil !) de Sazh ! Et c'est clairement le plus important. Ce moment n'est pas du pathos mais il transpire d'émotions, à juste titre d'ailleurs.

De deux parce que cet événement aura une influence énorme sur le reste de l'histoire... Et pourtant nous n'aurons jamais le fin mot de l'histoire quant à la culpabilité de pôpa ! (dans la fiche en tout cas)

Alors... la suite est très bien, elle m'a plu. Mais je n'en parlerai pas !

On en arrive à son entrée dans la communauté qui vit au pied de la montagne de Maléfique, qui prie des dieux multiples ! J'ai aimé l'idée. J'ai juste mis ça mais oui, j'ai adoré le fait que tu essaies de sortir de KH et du Disney tout en essayant de proposer un "avant".

Plus tard j'ai écrit :

"J'ai repensé au fusil de chasse. Alors, il faut pas essayer de trop rationnaliser, je sais... mais faut être cohérent. Et des fusils, y a dix ans au domaine enchanté ? Ca a l'air d'être un monde typé fin moyen-âge, ils ont pas les fusils, ça vient beaucoup plus tard. "

Alors plus tard tu écris "Son regard fait genre". Pas terrible alors que jusqu'ici ta narration se voulait jolie.

Le moment des masques, je dois dire que je n'ai pas vraiment tout compris. Déjà qu'ils s'embrassent avec des masques m'a fait poser la question : Diable mais ce sont juste des loups ? C'est assez pour les cacher ?
Puis il enlève son masque, tout le monde le repère et là Tali est méga suspecte. Franchement j'ai cru que c'était son couteau à elle et que c'était un coup monté. J'avais vraiment pas compris, en fait, et en-dehors du fait que je suis idiot ! Bah je trouvais pas ça très bien expliqué.

On en vient au dialogue avec le roi. Il ne m'a pas plu, non. Ca va trop vite, j'ai trouvé Stéphane pas terrible. D'ailleurs j'avais même pas l'impression que c'était lui.

J'en viens à une des principales critiques de cette fiche. Oui tu as vraiment essayé d'être cohérent avec tout l'univers, et franchement oui j'ai aimé ça. Mais... y a des trucs que j'avais l'impression que tu zappais complètement. A aucun moment tu parles de l'enlèvement d'Aurore (une fois par Maléfique, l'autre fois par la coalition noire) à un tel point qu'à un moment, je comprends presque "Ici tout va bien !"

Stéphane, bah je l'ai dit, c'est un peu léger...

Bon je sais pas si tu me suis mais moi j'étais un peu déçu par ça. C'était tarte à la crème, en plus.

J'ai plus rien écrit jusqu'à la fin. Parce que mon commentaire sur la fin était dans ma tête.

On va se la jouer tout de même méthodique. Concernant la mort de la femme et les années de métier derrière lui, c'était très bien; Ca m'a beaucoup plu.

... Le fait qu'il se fasse embaucher par la shinra après avoir appris à piloter un taxi et une navette spatiale, ça j'ai juste adoré; Tu as extrêmement bien fait ça, tu as pensé à des choses qui ne m'avaient jamais effleuré et j'approuve totalement.

Mais quoi ? Qu'est-ce qui définit le personnage de Sazh ? Quelle est la chose qui est la plus importante à dire sur lui ? Il est père. Alors oui tu l'as dit mais je ne l'ai absolument pas ressenti. L'importance que son fils a pour lui n'a absolument pas été rendue. C'est te dire ma déception. Vraiment j'en suis désolé mais c'est presque ce que je voulais le plus voir dans ta fiche. Incarner un père, c'est quelque chose quand même.

Tu as superbement su donner une identité à Sazh indépendamment de tout ce qu'il lui arrive dans FFXIII. Tu as retravaillé le personnage et il se suffit à lui-même. J'ai adoré ça. Tu as très bien adapté le personnage, tu l'as transformé en un chauffeur de taxi, ce dont je suis dingue.

Et là, c'est l'apocalypse dans mon coeur ! (Woah quel poète.) Je n'ai... pas compris. Avoir calqué l'histoire de Sazh et de son fils sur celle qu'on connait de FFXIII... était à mon avis une mauvaise idée. J'ai trouvé ça dommage, pour moi l'histoire se suffisait à elle-même et ça finit sur Dazh qui a une mission et qui est cristalisé, tandis que Sazh obtient de lui la véritable mission. Non mais... ok c'était super bien écrit et ok quand je me suis dit "Woah il doit travailler avec le Sanctum malgré lui" j'ai trouvé ça cool. Mais le simple fait de me dire que c'est comme dans FFXIII, ça me déçoit. T'être ainsi démarqué pour revenir chez Papa, ça m'a terrassé.

Je vais un peu parler de la fiche dans son ensemble. Tu as fait une fiche avec une construction très intéressante; Tu nous as raconté son histoire à travers une narration simple et nous as décrit son caractère et son physique par le point de vue du touriste. C'était pour moi une excellente idée, puisque tu as très bien articulé les deux textes entre eux. A chaque fois je revenais de l'un à l'autre avec un grand plaisir.

La mise en page est très jolie. Je n'en ai pas profité puisque j'ai imprimé ton texte sans l'inclure... mais je l'ai vue !

J'aime beaucoup le personnage, il m'a vraiment touché et je pense que tu l'incarneras très bien.

Parlons du physique, du caractère et de l'histoire... Le physique est correct. Tu as fait le minimum syndical. Mais j'ai été satisfait par de simples choses comme la description de son regard fatigué, ce genre de choses, qui ont été très bien faites.

Le caractère, ça... parfait.

L'histoire, évidemment, bien qu'elle m'ait déçu sur la fin, est très détaillée.

Tu m'as dit "Ce n'est pas si long que ça considérant son âge" et c'est vrai. Bon c'était long mais j'ai lu ça avec un grand plaisir et ai à chaque fois constaté et vraiment vu qu'il devenait... un peu vieux, quoi. Cette évolution dans le style est très cool.

Je suis très content. J'avoue qu'en lisant, page après page, je me disais "je vais lui donner maréchal, ça vaut maréchal, je vais lui donner maréchal c'est sûr". La fin de l'histoire seule m'a vraiment fait douter.
Mais c'est un choix que tu as fait pour l'histoire de ton personnage; Moi je le trouve fort discutable mais je ne peux pas dire que ce choix ait altéré la qualité de ce texte. Donc je donne quand même Maréchal.

Fiche validée et toutes conneries du style !
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