Sazh
Katzroy
Katzroy
Le dernier des résignés | 41 ans | Shinra | Humain | Domaine Enchanté
Des vandales ont amoché mon vaisseau. En fait, ils ont amoché ce qu'il restait de mon vaisseau. Il faut dire que c'était déjà un sacré tas de ferraille : à chaque fois que je l'utilisais, j'implorais les cieux et je priais des dieux dont j'ignorais l'existence pour éviter qu'il n'implose avant d'arriver à destination. Tout de même, il fonctionnait, mais là, c'est peine perdue. Ces... tocards ont décidé de bousiller le moteur, de souiller les hublots et même d'écrire des trucs pas très gentils dans le cockpit. Je me retrouve donc sans véhicule fixe, et que fait-on si on doit voyager ? On tait sa haine pour les transports en commun et on les emprunte à contrecœur !
Au début, j'ai essayé le train, mais les gares trop bondées me donnaient des envies suicidaires. En fait, je n'ai pas trop apprécié le brouhaha ambiant. Là-bas, les gens se bousculent dans tous les sens et ne s'excusent même pas; pire, ils crient toujours un peu plus fort pour être entendus. Prendre le train me donnait des migraines incroyables, alors j'ai opté pour les bus spatiaux. Je me suis rapidement rendu compte que c'était pas du tout pour moi. Je ne pourrais pas dire exactement ce qui m'a déplu, probablement l'odeur de sueur qui planait sans cesse et le fait d'être entassé les uns sur les autres. Ouais, avec un peu de recul, c'est assurément ça.
Je me suis soumis à ma triste réalité et j'ai réalisé que je n'avais pas assez de munnies et de temps pour me procurer et entretenir un nouveau bolide. J'ai donc décidé d'emprunter un transport en commun alternatif : les navettes-taxis. Franchement, c'est beaucoup plus calme et on peut faire de très longues distances en un temps record. Qui plus est, on n'est pas confronté à la cacophonie et les odeurs un peu âcres dans lesquelles les cars et les trains baignent. C'est un peu plus cher, bien sûr, mais je suis prêt à débourser un peu plus pour le confort et la paix. C'est un juste milieu, un bon compromis comme qui dirait.
Je dois préciser que je suis un voyageur assez assidu. Il m'arrive deux ou trois par mois de quitter mon petit patelin pour affronter la vie réelle. Jusqu'à présent, je suis allé m'entraîner auprès d'un curieux satyre, j'ai déjà foulé la montagne du destin et la Terre des Dragons; en fait, j'ai mis le pied dans pas mal d'endroits. Aujourd'hui, je me dirige vers le Domaine Enchanté comme un bon touriste. Je connais une fille qui y habite depuis nombre d'années, et ça fait très longtemps qu'on n'a pas discuté tous les deux. Pourquoi pas maintenant, que je me suis dit.
Dans le hangar Shinra, j'attends la prochaine navette. Je ne suis pas le seul à attendre un transport, mais on n'est pas beaucoup non plus. Trois ou quatre quidams comme moi, peut-être cinq au maximum. Ils ont tous l'air blasés, mais je fais comme si je ne les voyais pas. Je n'ai surtout pas envie de croiser un regard ou, pire, de devoir entamer une discussion avec l'un d'entre eux. De façon générale, je suis plutôt bon vivant et j'apprécie les gens, mais ceux qu'on rencontre dans les hangars sont toujours un peu... détraqués. Je préfère le silence et la solitude pour le moment.
Devant mes yeux, une navette atterrit. D'un bond, je me lève et je ne bouge plus, signifiant que je suis prêt à partir vers d'autres lieux. Le chauffeur ouvre son hublot, en sort sa main et me fait signe d'avancer, ce que je fais sans attendre une seconde de plus. Je pourrais bien m'asseoir sur le siège à l'avant, mais je décide finalement de m'asseoir sur celui à l'arrière. Si l'envie de piquer une sieste se fait sentir, c'est toujours plus poli de ne pas le faire aux côtés du chauffeur - un peu de courtoisie, que diable !
J'entre donc par la porte arrière et je m'assois sans ne rien dire. Le chauffeur pianote sur l'interface de son véhicule. Ses mouvement sont plutôt lents. Ses doigts se posent sur l'écran sans aucune volonté. D'un premier coup d'œil, ce type me semble totalement fatigué. Je ne le juge pas, même que je comprends sa nonchalance : un boulot comme celui-là devient rapidement lassant. Il a peut-être la chance de parcourir les routes stellaires à tous les jours, mais après un temps, les astéroïdes qui passent à deux centimètres du cockpit ne deviennent que des obstacles et les étoiles commencent à aveugler plutôt qu'à émerveiller.
« Alors, on va où ? » qu'il me demande.
Le chauffeur ne se retourne pas pour me poser cette question. Je ressens comme une lueur de fatalisme dans sa voix, comme si le pauvre était condamné à transporter des étrangers de monde en monde jusqu'à la fin des temps. Je n'en porte pas plus longtemps attention et je réponds en bonne et due forme :
« Au Domaine Enchanté, je vous prie. »
« Oh. »
« Il y a un problème ? »
« Non, pas de souci, bonhomme. C'est que... j'ai pas mal de souvenirs qui traînent au Domaine Enchanté : des histoires non-réglées et des problèmes que j'essaie d'éviter, tu vois. »
« Vous avez vécu là-bas ? »
« Ouaip, même que j'y suis né. »
Au début, j'ai essayé le train, mais les gares trop bondées me donnaient des envies suicidaires. En fait, je n'ai pas trop apprécié le brouhaha ambiant. Là-bas, les gens se bousculent dans tous les sens et ne s'excusent même pas; pire, ils crient toujours un peu plus fort pour être entendus. Prendre le train me donnait des migraines incroyables, alors j'ai opté pour les bus spatiaux. Je me suis rapidement rendu compte que c'était pas du tout pour moi. Je ne pourrais pas dire exactement ce qui m'a déplu, probablement l'odeur de sueur qui planait sans cesse et le fait d'être entassé les uns sur les autres. Ouais, avec un peu de recul, c'est assurément ça.
Je me suis soumis à ma triste réalité et j'ai réalisé que je n'avais pas assez de munnies et de temps pour me procurer et entretenir un nouveau bolide. J'ai donc décidé d'emprunter un transport en commun alternatif : les navettes-taxis. Franchement, c'est beaucoup plus calme et on peut faire de très longues distances en un temps record. Qui plus est, on n'est pas confronté à la cacophonie et les odeurs un peu âcres dans lesquelles les cars et les trains baignent. C'est un peu plus cher, bien sûr, mais je suis prêt à débourser un peu plus pour le confort et la paix. C'est un juste milieu, un bon compromis comme qui dirait.
Je dois préciser que je suis un voyageur assez assidu. Il m'arrive deux ou trois par mois de quitter mon petit patelin pour affronter la vie réelle. Jusqu'à présent, je suis allé m'entraîner auprès d'un curieux satyre, j'ai déjà foulé la montagne du destin et la Terre des Dragons; en fait, j'ai mis le pied dans pas mal d'endroits. Aujourd'hui, je me dirige vers le Domaine Enchanté comme un bon touriste. Je connais une fille qui y habite depuis nombre d'années, et ça fait très longtemps qu'on n'a pas discuté tous les deux. Pourquoi pas maintenant, que je me suis dit.
Dans le hangar Shinra, j'attends la prochaine navette. Je ne suis pas le seul à attendre un transport, mais on n'est pas beaucoup non plus. Trois ou quatre quidams comme moi, peut-être cinq au maximum. Ils ont tous l'air blasés, mais je fais comme si je ne les voyais pas. Je n'ai surtout pas envie de croiser un regard ou, pire, de devoir entamer une discussion avec l'un d'entre eux. De façon générale, je suis plutôt bon vivant et j'apprécie les gens, mais ceux qu'on rencontre dans les hangars sont toujours un peu... détraqués. Je préfère le silence et la solitude pour le moment.
Devant mes yeux, une navette atterrit. D'un bond, je me lève et je ne bouge plus, signifiant que je suis prêt à partir vers d'autres lieux. Le chauffeur ouvre son hublot, en sort sa main et me fait signe d'avancer, ce que je fais sans attendre une seconde de plus. Je pourrais bien m'asseoir sur le siège à l'avant, mais je décide finalement de m'asseoir sur celui à l'arrière. Si l'envie de piquer une sieste se fait sentir, c'est toujours plus poli de ne pas le faire aux côtés du chauffeur - un peu de courtoisie, que diable !
J'entre donc par la porte arrière et je m'assois sans ne rien dire. Le chauffeur pianote sur l'interface de son véhicule. Ses mouvement sont plutôt lents. Ses doigts se posent sur l'écran sans aucune volonté. D'un premier coup d'œil, ce type me semble totalement fatigué. Je ne le juge pas, même que je comprends sa nonchalance : un boulot comme celui-là devient rapidement lassant. Il a peut-être la chance de parcourir les routes stellaires à tous les jours, mais après un temps, les astéroïdes qui passent à deux centimètres du cockpit ne deviennent que des obstacles et les étoiles commencent à aveugler plutôt qu'à émerveiller.
« Alors, on va où ? » qu'il me demande.
Le chauffeur ne se retourne pas pour me poser cette question. Je ressens comme une lueur de fatalisme dans sa voix, comme si le pauvre était condamné à transporter des étrangers de monde en monde jusqu'à la fin des temps. Je n'en porte pas plus longtemps attention et je réponds en bonne et due forme :
« Au Domaine Enchanté, je vous prie. »
« Oh. »
« Il y a un problème ? »
« Non, pas de souci, bonhomme. C'est que... j'ai pas mal de souvenirs qui traînent au Domaine Enchanté : des histoires non-réglées et des problèmes que j'essaie d'éviter, tu vois. »
« Vous avez vécu là-bas ? »
« Ouaip, même que j'y suis né. »
La forêt
des éperdus
des éperdus
Sous les lueurs orangées du crépuscule, deux enfants, un jeune garçon et une fillette d'à peine huit ans, courent sans lendemain. N'ayant de souci que l'heure de leur couvre-feu, ils dansent et jouent dans les champs dorés qui encerclent leur demeure. Le garçon tient dans ses mains une balle qu'il lance verticalement pour attirer l'attention de son amie. Elle s'immobilise aussitôt en contemplant la balle dessiner une parabole avant d'atterrir un peu plus loin entre deux épis. D'un ton compétiteur, il lance :
« Eh ! Tali, je parie que je peux lancer la balle près de l'épouvantail ! »
« Tu parles ! Moi, je parie que je peux la lancer de l'autre côté du ruisseau. »
« Et moi jusque dans la forêt ! »
« Oh, tu exagères ! Je ne te crois pas, Sazh. »
D'un bond, Sazh se dirige vers la balle et l'empoigne. Il la lance en direction de son amie, qui l'attrape sans attendre. Elle saute sur place, analyse le paysage un moment et prépare son élan. Elle fait quelques pas en arrière, puis des enjambées plus rapides vers l'avant avant de dessiner un arc de cercle avec son bras. La balle fend l'air, effleure l'épouvantail, traverse le ruisseau et atterrit quelques mètres devant la forêt. Fière d'elle, elle lance un regard rivalisant vers Sazh.
Impressionné, il traverse les champs et court en direction de la balle avant de la prendre et de revenir sur place. À son tour, il ancre ses pieds au sol et respire longuement. Du haut de son orgueil enfantin, il ne pourrait se permettre de perdre le pari, mais la forêt est bien loin et il semble perdre confiance momentanément.
« Jusque dans la forêt, tu dis ? Je parie que ta balle ne traversera même pas le ruisseau. »
La voix de Tali provoque Sazh, qui inspire avant de se préparer à lancer la balle vers la forêt, ou du moins de l'autre côté du petit cours d'eau. Malheureusement, comme affecté par un mauvais coup du destin, le projectile glisse sur sa paume et déferle à peine quelques mètres plus loin. Honteux, il se précipite vers la balle et la prend. Il la serre de toutes ses forces en essayant d'oublier les rires moqueurs de son amie : il y arrivera.
Cette fois-ci, il ne pense pas, ne se prépare pas. Il plie simplement les genoux et lance la balle le plus fort qu'il peut. Celle-ci plane bien au-dessus de l'épouvantail, n'est même pas arrosée par le ruisseau et finit sa trajectoire entre deux buissons dans la forêt. Aussi surpris de Tali par sa force physique inattendue, il laisse s'échapper un « oh ! » qui fait écho dans les plaines.
Pendant plusieurs secondes, les deux amis restent immobiles, obnubilés par la puissance du jeune garçon. D'un ton qui danse entre l'étonnement et l'admiration, Tali prononce quelques syllabes qui se perdent dans le silence alors que Sazh plisse les yeux en cherchant au loin sa balle. Ne la trouvant pas, il chuchote :
« Allez, allons chercher la balle ! »
« Mais ta mère nous a bien interdit d'aller dans la forêt. C'est dangereux et-- »
« T'as la frousse, c'est ça ? »
« Non, je... Allez, on y va ! »
La main de Sazh glisse sur le bras de son amie jusqu'à atteindre son poignet. Machinalement, leur doigts s'entrecroisent avant de se fusionner. En même temps, ils s'élancent dans une course effrénée jusque dans les bois. Leurs rires sont si francs qu'ils réverbèrent sur les montagnes plus loin avant de revenir vers eux, comme amplifiés. Le visage de Sazh comme celui de Tali reflète toute l'insouciance du monde : pour eux, aller dans la forêt ne représente pas que l'interdit, mais l'aventure.
Après avoir croisé l'épouvantail et traversé le ruisseau prudemment pour ne pas y tomber, ils sont à bout de souffle et optent en chœur pour une course un peu plus lente. Ils arrivent finalement à l'orée de la forêt. Ils cessent de se mouvoir complètement et prennent quelques instants pour observer la faune et la flore qui se dessinent devant eux. Ils sont ébahis, enchantés par toute cette végétation qui valse au rythme du vent. Sazh est le premier à revenir à la réalité, et il entraîne son amie, un peu réticente, à l'intérieur de la forêt.
Pendant les premiers instants, ils restent collés l'un sur l'autre pour éviter de s'égarer, mais rapidement, leurs doigts se détachent et ils prennent chacun une route différente pour accélérer la recherche. Toutefois, la recherche se transforme vite en conquête et, plutôt que de chercher la balle, ils se contentent d'admirer les merveilles qui couvrent le panorama. Sazh est à la chasse aux papillons tandis que Tali se promène à genoux pour voir de plus près les insectes qui frissonnent sur le sol.
La conquête de la forêt dure plusieurs minutes. Quand le soleil se couche enfin, ils décident tous les deux de retourner à la maison pour éviter d'inquiéter leur maisonnée. Ils sont contents et fiers de leur découverte, pourtant ils n'en prononcent pas un mot devant leurs parents : ils ont transgressé les règlements établis et ils n'osent pas avouer leur faute. S'ils n'en parlent pas, leurs pensées se bousculent sans cesse. Ils n'ont qu'une seule envie, celle de retourner dans les bois pour admirer les mille merveilles qui s'y trouvent. Ce soir, il est trop tard, mais en silence, ils conviennent d'y retourner le lendemain.
Pendant les journées qui suivent, ils se perdent volontairement entre les arbres et les bêtes sauvages qui maraudent. Ce nouveau mode de vie les enchante, mais ils sont prudents. Quand ils entendent un loup hurler au soleil couchant, ils rentrent tout de suite au bercail; quand ils sont aveuglés par les ténèbres, ils n'attendent pas une seule seconde pour retourner dans le confort de leur demeure. Ainsi, les idées et les projets culbutent dans leur tête, comme si un nouveau monde s'ouvrait à eux.
Durant les premières semaines, Sazh essaie du mieux qu'il peut d'établir un campement près de l'orée de la forêt. Ils amassent des morceaux de bois qui jonchent le sol pour les attacher avec de la corde et ériger un toit d'infortune. Tali, pour sa part, explore le milieu en collectionnant les insectes, les plantes et les fleurs qui recouvrent le terrain. Elle en fait des bouquets ou, mieux, des micro-écosystèmes qu'elle regarde évoluer. Elle est passionnée par l'ardeur des fourmis et le travail des abeilles.
Ce petit jeu dure des mois, presque un an. Chaque soir, ils échappent aux regards de leurs parents et s'évadent dans la forêt pour revenir juste avant le coucher du soleil. Chaque soir, ils font des découvertes incroyables. Chaque soir, ils en apprennent un peu plus sur la ferveur de la nature qui les entoure. Et chaque soir, ils vivent des péripéties rocambolesques, mais qui ne frôlent jamais le péril. Jamais, sauf à une exception.
L'hiver tire à sa fin. La fraîcheur glaciale laisse tranquillement place à une chaleur qui réconforte le cœur des habitants du Domaine Enchanté. Comme à l'habitude, ils se transforment en conquistadors et s'engouffrent dans les bois. Avec le temps, Sazh a développé un amour pour la chasse qu'il dit « amicale ». Quand il n'est pas en train de courir vers un lièvre, il se dissimule dans les broussailles et attrapent un crapaud au passage. Cependant, il est toujours très doux avec les créatures qu'il capture : il les dompte, les apprivoise, les aime.
Tali, quant à elle, a développé une passion pour les papillons. Elle admire leurs couleurs, leurs ailes, leurs façons d'embellir la nature. Ce soir, elle traque un papillon écarlate qui semble briller sous les lueurs du soleil. Elle court, elle saute par-dessus les buissons et traverse une petite rivière, mais le papillon semble toujours aller plus vite. Elle n'abandonne pas, mais soudainement...
« AAAAHH ! »
Le cri de Tali perce le silence. Sazh, un peu plus loin dans une petite vallée, est tout de suite alertée par le hurlement de son amie. Du mieux qu'il peut, il tente de la retracer, mais n'y arrive pas. Sans capituler, il continue de s'aventurer entre les arbres et les racines, pour finalement l'apercevoir un peu plus loin, en détresse. Prise dans une toile d'araignée, Tali se débat mais n'arrive pas à se défaire des fils collants. Plus elle bouge, plus elle s'entortille dans la toile et plus elle est prise au piège.
Sazh, tentant tant bien que mal de garder son sang froid, s'en approche prudemment. En utilisant un morceau de bois, il essaie de défaire les liens et de libérer son amie, mais la tâche s'avère plus ardue que prévu. En même temps, à quelques mètres d'eux, une araignée gigantesque s'approche sauvagement. Ses pattes, toutes velues et désarticulées, frappent le sol avec insistance. De grosses pinces soulignent six paires d'yeux qui regardent en direction des deux amis. Tali, en voyant la bête s'avancer, crie de plus en plus fort pour essayer de l'effrayer, mais en vain. C'est Sazh qui réussit finalement à régler la situation en coupant la toile et en affranchissant la fillette.
Main dans la main, ils courent à toute vitesse et retrouvent le chemin de leur domicile. Sur le porche de la maison de Sazh, Tali semble traumatisée. Perturbée, elle regarde le vide. Elle tremble même un peu et le jeune garçon dépose sa main sur l'épaule de son amie pour la réconforter. Cette dernière annonce, défaite :
« Je... Plus jamais je ne retourne dans cette forêt ! »
Une larme glisse sur la joue de Tali, qui part immédiatement. Sazh ne sait pas comment réagir, alors il rentre tristement chez lui. Lorsque la nuit tombe et qu'il s'endort lourdement, il fait mille cauchemars sur cette créature ignoble qui a effrayé son amie le jour-même. Il revoit la démarche désarticulée de l'hideuse créature, ses yeux globuleux et ses pinces acérées. À son réveil, il est d'autant plus perturbé : une minuscule arachnide marche sur sa main.
Comme un signe du destin, il décide alors de braver les interdictions pour se rendre dans la forêt, dans l'unique but de mettre fin aux activités de l'énorme araignée. En essayant d'être le plus discret possible, il attend le règne de la lune pour sortir de la résidence familiale et s'évader dans les bois. Pendant plusieurs heures, transi par le froid et par la peur, il cherche la bête, mais ne la trouve pas. Il rentre aux petites heures de la matinée - juste avant le réveil de ses parents, pour ne pas être pris au fait. Mais si cette péripétie est un échec, il n'a pas l'intention d'abandonner.
Le lendemain, il apporte avec lui des pièges à ours volés dans l'atelier de son père et les installe un peu partout dans la forêt, et plus précisément dans les recoins où il observe des épaisses toiles d'araignées. Il en profite également pour faire un deuxième tour de ronde, mais ne parvient pas à distinguer l'araignée géante dans la broussaille. Alors qu'il est sur le point de rentrer chez lui, il entend un claquement métallique au loin. Alerté, il se retourne et court en direction de la source du bruit. Il y trouve la créature. L'une de ses pattes est brisée par le piège et on l'entend gémir. Sazh s'impose :
« Va t'en, sale araignée ! Ne reviens plus, ou je vais te blesser encore ! »
En claudiquant, l'araignée baisse la tête et se met à cheminer dans la direction opposée. Elle disparait promptement dans la brume nocturne, laissant derrière elle des traînées de sang visqueux, l'écho de ses jérémiades et dans la tête de Sazh l'amère impression d'avoir causé du tort inutilement.
Le lendemain, à la tombée du soir, il se rend de nouveau dans la forêt pour s'assurer du départ de l'araignée. N'est-il pas surpris de voir qu'elle est toujours sa là. Sa patte est en piteux état; pourtant, elle continue de se déplacer difficilement et de dévorer les petits animaux qui sont piégés dans sa toile. À la vue de Sazh, l'araignée recule de quelques pas. Elle se prosterne, mais ne parait pas vouloir quitter les lieux. Il tonne :
« Je t'ai dit de partir ! C'est ta dernière chance. »
Pour menacer l'araignée, Sazh empoigne une pierre qui traîne sur le sol et la lance puissamment en sa direction. Le projectile frappe de plein fouet l'une des mandibules. Dans un mouvement de recul, la bête se met à gémir avant de fuir finalement. Satisfait, le garçon se penche pour récupérer le morceau de mandibule qui trône sur une racine. Il la montrera à son amie pour lui montrer que l'araignée ne causera plus jamais de tort.
À la vue du trophée, Tali parait soulagée, mais toujours un peu effarouchée. Et si la créature continuait de rôder dans les parages, et si elle n'attendait que le bon moment pour bondir sur l'un d'entre eux et le dévorer ? Ces questions la tourmentent, et malgré les efforts colossaux de Sazh, elle refuse de s'y rendre. Le garçon lui fait la promesse : demain soir, l'araignée sera de l'histoire ancienne. Elle aura disparu dans les limbes, elle aura été tellement effrayée par la volonté de Sazh qu'elle ne voudra plus jamais remettre le pied dans la forêt.
Confiant, il se rend l'après-midi même dans ce qui a pendant un an été leur repaire. Il apporte avec lui un vieux fusil de chasse de son père : il est prêt à tout pour reprendre le contrôle de la forêt. Une fois arrivé à destination, il épie chaque horizon à la recherche de sa cible. Il ne compte appuyer sur la gâchette, mais compte bien se servir de son arme pour montrer son autorité face à la nature.
Lorsqu'il l'aperçoit au loin, la bête est dans un fâcheux état. Une mandibule lui est manquante et l'une de ses pattes traîne lâchement derrière les autres. L'araignée s'avance très lentement, semble presque trembler quand elle aperçoit son prédateur. Sazh n'attend pas une seconde de plus pour parler. Il prend un ton fort et dur, celui même d'un guerrier ou d'un barbare de la Terre des Dragons.
« Tu... tu dois partir ! Je t'ai laissé deux chances, mais... »
Il braque le fusil de chasse et le pointe en direction de sa proie. Son doigt se pose fébrilement sur la gâchette, mais il n'appuie pas. Les six paires d'yeux de la créature regardent dans tous les sens, et l'arachnide elle-même semble paniquer. Pourtant, elle reste sur place et montre soudainement un air confiant : elle aussi veut assurer la régence de son monde forestier.
La joute visuelle dure plusieurs minutes et, d'un coup, l'araignée tente le tout pour le tout. Elle charge brusquement sur Sazh, et un coup de feu résonne alors dans toute la forêt. Dans l'obscurité de la nuit, il aperçoit la bête se tortiller sur elle-même, geindre de toutes ses forces et s'éteindre dans un dernier spasme. Puis, un silence complet, un silence de mort qui gèle l'échine du garçon. Une quiétude soudaine sans l'être vraiment, un calme apparent qui pue les regrets et la désolation. Il a tiré. Il a tué l'araignée.
Le dos arqué et les épaules basses, Sazh observe pour une dernière fois la créature. Il sent soudainement la culpabilité s'éprendre de son âme. Il pourra dès demain retourner dans la forêt et s'amuser comme avant, mais à quel prix ? La mort ?
Le crépuscule prend d'assaut le Domaine Enchanté. Sur le chemin du retour, Sazh passe par-dessus le ruisseau. Les lueurs orangées du soleil donne au cours d'eau des couleurs rougeâtres, comme si un fleuve de sang coulait sous ses pieds. Il croise également l'épouvantail. À contre-jour, le bonhomme de paille semble toiser le garçon avec dégoût ou pire, défi. Et lorsque Sazh monte sur le porche de sa maison, il lance un ultime regard vers la forêt qui, sous un ciel crépusculaire, semble plus effrayante que jamais.
« Eh ! Tali, je parie que je peux lancer la balle près de l'épouvantail ! »
« Tu parles ! Moi, je parie que je peux la lancer de l'autre côté du ruisseau. »
« Et moi jusque dans la forêt ! »
« Oh, tu exagères ! Je ne te crois pas, Sazh. »
D'un bond, Sazh se dirige vers la balle et l'empoigne. Il la lance en direction de son amie, qui l'attrape sans attendre. Elle saute sur place, analyse le paysage un moment et prépare son élan. Elle fait quelques pas en arrière, puis des enjambées plus rapides vers l'avant avant de dessiner un arc de cercle avec son bras. La balle fend l'air, effleure l'épouvantail, traverse le ruisseau et atterrit quelques mètres devant la forêt. Fière d'elle, elle lance un regard rivalisant vers Sazh.
Impressionné, il traverse les champs et court en direction de la balle avant de la prendre et de revenir sur place. À son tour, il ancre ses pieds au sol et respire longuement. Du haut de son orgueil enfantin, il ne pourrait se permettre de perdre le pari, mais la forêt est bien loin et il semble perdre confiance momentanément.
« Jusque dans la forêt, tu dis ? Je parie que ta balle ne traversera même pas le ruisseau. »
La voix de Tali provoque Sazh, qui inspire avant de se préparer à lancer la balle vers la forêt, ou du moins de l'autre côté du petit cours d'eau. Malheureusement, comme affecté par un mauvais coup du destin, le projectile glisse sur sa paume et déferle à peine quelques mètres plus loin. Honteux, il se précipite vers la balle et la prend. Il la serre de toutes ses forces en essayant d'oublier les rires moqueurs de son amie : il y arrivera.
Cette fois-ci, il ne pense pas, ne se prépare pas. Il plie simplement les genoux et lance la balle le plus fort qu'il peut. Celle-ci plane bien au-dessus de l'épouvantail, n'est même pas arrosée par le ruisseau et finit sa trajectoire entre deux buissons dans la forêt. Aussi surpris de Tali par sa force physique inattendue, il laisse s'échapper un « oh ! » qui fait écho dans les plaines.
Pendant plusieurs secondes, les deux amis restent immobiles, obnubilés par la puissance du jeune garçon. D'un ton qui danse entre l'étonnement et l'admiration, Tali prononce quelques syllabes qui se perdent dans le silence alors que Sazh plisse les yeux en cherchant au loin sa balle. Ne la trouvant pas, il chuchote :
« Allez, allons chercher la balle ! »
« Mais ta mère nous a bien interdit d'aller dans la forêt. C'est dangereux et-- »
« T'as la frousse, c'est ça ? »
« Non, je... Allez, on y va ! »
La main de Sazh glisse sur le bras de son amie jusqu'à atteindre son poignet. Machinalement, leur doigts s'entrecroisent avant de se fusionner. En même temps, ils s'élancent dans une course effrénée jusque dans les bois. Leurs rires sont si francs qu'ils réverbèrent sur les montagnes plus loin avant de revenir vers eux, comme amplifiés. Le visage de Sazh comme celui de Tali reflète toute l'insouciance du monde : pour eux, aller dans la forêt ne représente pas que l'interdit, mais l'aventure.
Après avoir croisé l'épouvantail et traversé le ruisseau prudemment pour ne pas y tomber, ils sont à bout de souffle et optent en chœur pour une course un peu plus lente. Ils arrivent finalement à l'orée de la forêt. Ils cessent de se mouvoir complètement et prennent quelques instants pour observer la faune et la flore qui se dessinent devant eux. Ils sont ébahis, enchantés par toute cette végétation qui valse au rythme du vent. Sazh est le premier à revenir à la réalité, et il entraîne son amie, un peu réticente, à l'intérieur de la forêt.
Pendant les premiers instants, ils restent collés l'un sur l'autre pour éviter de s'égarer, mais rapidement, leurs doigts se détachent et ils prennent chacun une route différente pour accélérer la recherche. Toutefois, la recherche se transforme vite en conquête et, plutôt que de chercher la balle, ils se contentent d'admirer les merveilles qui couvrent le panorama. Sazh est à la chasse aux papillons tandis que Tali se promène à genoux pour voir de plus près les insectes qui frissonnent sur le sol.
La conquête de la forêt dure plusieurs minutes. Quand le soleil se couche enfin, ils décident tous les deux de retourner à la maison pour éviter d'inquiéter leur maisonnée. Ils sont contents et fiers de leur découverte, pourtant ils n'en prononcent pas un mot devant leurs parents : ils ont transgressé les règlements établis et ils n'osent pas avouer leur faute. S'ils n'en parlent pas, leurs pensées se bousculent sans cesse. Ils n'ont qu'une seule envie, celle de retourner dans les bois pour admirer les mille merveilles qui s'y trouvent. Ce soir, il est trop tard, mais en silence, ils conviennent d'y retourner le lendemain.
Pendant les journées qui suivent, ils se perdent volontairement entre les arbres et les bêtes sauvages qui maraudent. Ce nouveau mode de vie les enchante, mais ils sont prudents. Quand ils entendent un loup hurler au soleil couchant, ils rentrent tout de suite au bercail; quand ils sont aveuglés par les ténèbres, ils n'attendent pas une seule seconde pour retourner dans le confort de leur demeure. Ainsi, les idées et les projets culbutent dans leur tête, comme si un nouveau monde s'ouvrait à eux.
Durant les premières semaines, Sazh essaie du mieux qu'il peut d'établir un campement près de l'orée de la forêt. Ils amassent des morceaux de bois qui jonchent le sol pour les attacher avec de la corde et ériger un toit d'infortune. Tali, pour sa part, explore le milieu en collectionnant les insectes, les plantes et les fleurs qui recouvrent le terrain. Elle en fait des bouquets ou, mieux, des micro-écosystèmes qu'elle regarde évoluer. Elle est passionnée par l'ardeur des fourmis et le travail des abeilles.
Ce petit jeu dure des mois, presque un an. Chaque soir, ils échappent aux regards de leurs parents et s'évadent dans la forêt pour revenir juste avant le coucher du soleil. Chaque soir, ils font des découvertes incroyables. Chaque soir, ils en apprennent un peu plus sur la ferveur de la nature qui les entoure. Et chaque soir, ils vivent des péripéties rocambolesques, mais qui ne frôlent jamais le péril. Jamais, sauf à une exception.
L'hiver tire à sa fin. La fraîcheur glaciale laisse tranquillement place à une chaleur qui réconforte le cœur des habitants du Domaine Enchanté. Comme à l'habitude, ils se transforment en conquistadors et s'engouffrent dans les bois. Avec le temps, Sazh a développé un amour pour la chasse qu'il dit « amicale ». Quand il n'est pas en train de courir vers un lièvre, il se dissimule dans les broussailles et attrapent un crapaud au passage. Cependant, il est toujours très doux avec les créatures qu'il capture : il les dompte, les apprivoise, les aime.
Tali, quant à elle, a développé une passion pour les papillons. Elle admire leurs couleurs, leurs ailes, leurs façons d'embellir la nature. Ce soir, elle traque un papillon écarlate qui semble briller sous les lueurs du soleil. Elle court, elle saute par-dessus les buissons et traverse une petite rivière, mais le papillon semble toujours aller plus vite. Elle n'abandonne pas, mais soudainement...
« AAAAHH ! »
Le cri de Tali perce le silence. Sazh, un peu plus loin dans une petite vallée, est tout de suite alertée par le hurlement de son amie. Du mieux qu'il peut, il tente de la retracer, mais n'y arrive pas. Sans capituler, il continue de s'aventurer entre les arbres et les racines, pour finalement l'apercevoir un peu plus loin, en détresse. Prise dans une toile d'araignée, Tali se débat mais n'arrive pas à se défaire des fils collants. Plus elle bouge, plus elle s'entortille dans la toile et plus elle est prise au piège.
Sazh, tentant tant bien que mal de garder son sang froid, s'en approche prudemment. En utilisant un morceau de bois, il essaie de défaire les liens et de libérer son amie, mais la tâche s'avère plus ardue que prévu. En même temps, à quelques mètres d'eux, une araignée gigantesque s'approche sauvagement. Ses pattes, toutes velues et désarticulées, frappent le sol avec insistance. De grosses pinces soulignent six paires d'yeux qui regardent en direction des deux amis. Tali, en voyant la bête s'avancer, crie de plus en plus fort pour essayer de l'effrayer, mais en vain. C'est Sazh qui réussit finalement à régler la situation en coupant la toile et en affranchissant la fillette.
Main dans la main, ils courent à toute vitesse et retrouvent le chemin de leur domicile. Sur le porche de la maison de Sazh, Tali semble traumatisée. Perturbée, elle regarde le vide. Elle tremble même un peu et le jeune garçon dépose sa main sur l'épaule de son amie pour la réconforter. Cette dernière annonce, défaite :
« Je... Plus jamais je ne retourne dans cette forêt ! »
Une larme glisse sur la joue de Tali, qui part immédiatement. Sazh ne sait pas comment réagir, alors il rentre tristement chez lui. Lorsque la nuit tombe et qu'il s'endort lourdement, il fait mille cauchemars sur cette créature ignoble qui a effrayé son amie le jour-même. Il revoit la démarche désarticulée de l'hideuse créature, ses yeux globuleux et ses pinces acérées. À son réveil, il est d'autant plus perturbé : une minuscule arachnide marche sur sa main.
Comme un signe du destin, il décide alors de braver les interdictions pour se rendre dans la forêt, dans l'unique but de mettre fin aux activités de l'énorme araignée. En essayant d'être le plus discret possible, il attend le règne de la lune pour sortir de la résidence familiale et s'évader dans les bois. Pendant plusieurs heures, transi par le froid et par la peur, il cherche la bête, mais ne la trouve pas. Il rentre aux petites heures de la matinée - juste avant le réveil de ses parents, pour ne pas être pris au fait. Mais si cette péripétie est un échec, il n'a pas l'intention d'abandonner.
Le lendemain, il apporte avec lui des pièges à ours volés dans l'atelier de son père et les installe un peu partout dans la forêt, et plus précisément dans les recoins où il observe des épaisses toiles d'araignées. Il en profite également pour faire un deuxième tour de ronde, mais ne parvient pas à distinguer l'araignée géante dans la broussaille. Alors qu'il est sur le point de rentrer chez lui, il entend un claquement métallique au loin. Alerté, il se retourne et court en direction de la source du bruit. Il y trouve la créature. L'une de ses pattes est brisée par le piège et on l'entend gémir. Sazh s'impose :
« Va t'en, sale araignée ! Ne reviens plus, ou je vais te blesser encore ! »
En claudiquant, l'araignée baisse la tête et se met à cheminer dans la direction opposée. Elle disparait promptement dans la brume nocturne, laissant derrière elle des traînées de sang visqueux, l'écho de ses jérémiades et dans la tête de Sazh l'amère impression d'avoir causé du tort inutilement.
Le lendemain, à la tombée du soir, il se rend de nouveau dans la forêt pour s'assurer du départ de l'araignée. N'est-il pas surpris de voir qu'elle est toujours sa là. Sa patte est en piteux état; pourtant, elle continue de se déplacer difficilement et de dévorer les petits animaux qui sont piégés dans sa toile. À la vue de Sazh, l'araignée recule de quelques pas. Elle se prosterne, mais ne parait pas vouloir quitter les lieux. Il tonne :
« Je t'ai dit de partir ! C'est ta dernière chance. »
Pour menacer l'araignée, Sazh empoigne une pierre qui traîne sur le sol et la lance puissamment en sa direction. Le projectile frappe de plein fouet l'une des mandibules. Dans un mouvement de recul, la bête se met à gémir avant de fuir finalement. Satisfait, le garçon se penche pour récupérer le morceau de mandibule qui trône sur une racine. Il la montrera à son amie pour lui montrer que l'araignée ne causera plus jamais de tort.
À la vue du trophée, Tali parait soulagée, mais toujours un peu effarouchée. Et si la créature continuait de rôder dans les parages, et si elle n'attendait que le bon moment pour bondir sur l'un d'entre eux et le dévorer ? Ces questions la tourmentent, et malgré les efforts colossaux de Sazh, elle refuse de s'y rendre. Le garçon lui fait la promesse : demain soir, l'araignée sera de l'histoire ancienne. Elle aura disparu dans les limbes, elle aura été tellement effrayée par la volonté de Sazh qu'elle ne voudra plus jamais remettre le pied dans la forêt.
Confiant, il se rend l'après-midi même dans ce qui a pendant un an été leur repaire. Il apporte avec lui un vieux fusil de chasse de son père : il est prêt à tout pour reprendre le contrôle de la forêt. Une fois arrivé à destination, il épie chaque horizon à la recherche de sa cible. Il ne compte appuyer sur la gâchette, mais compte bien se servir de son arme pour montrer son autorité face à la nature.
Lorsqu'il l'aperçoit au loin, la bête est dans un fâcheux état. Une mandibule lui est manquante et l'une de ses pattes traîne lâchement derrière les autres. L'araignée s'avance très lentement, semble presque trembler quand elle aperçoit son prédateur. Sazh n'attend pas une seconde de plus pour parler. Il prend un ton fort et dur, celui même d'un guerrier ou d'un barbare de la Terre des Dragons.
« Tu... tu dois partir ! Je t'ai laissé deux chances, mais... »
Il braque le fusil de chasse et le pointe en direction de sa proie. Son doigt se pose fébrilement sur la gâchette, mais il n'appuie pas. Les six paires d'yeux de la créature regardent dans tous les sens, et l'arachnide elle-même semble paniquer. Pourtant, elle reste sur place et montre soudainement un air confiant : elle aussi veut assurer la régence de son monde forestier.
La joute visuelle dure plusieurs minutes et, d'un coup, l'araignée tente le tout pour le tout. Elle charge brusquement sur Sazh, et un coup de feu résonne alors dans toute la forêt. Dans l'obscurité de la nuit, il aperçoit la bête se tortiller sur elle-même, geindre de toutes ses forces et s'éteindre dans un dernier spasme. Puis, un silence complet, un silence de mort qui gèle l'échine du garçon. Une quiétude soudaine sans l'être vraiment, un calme apparent qui pue les regrets et la désolation. Il a tiré. Il a tué l'araignée.
Le dos arqué et les épaules basses, Sazh observe pour une dernière fois la créature. Il sent soudainement la culpabilité s'éprendre de son âme. Il pourra dès demain retourner dans la forêt et s'amuser comme avant, mais à quel prix ? La mort ?
Le crépuscule prend d'assaut le Domaine Enchanté. Sur le chemin du retour, Sazh passe par-dessus le ruisseau. Les lueurs orangées du soleil donne au cours d'eau des couleurs rougeâtres, comme si un fleuve de sang coulait sous ses pieds. Il croise également l'épouvantail. À contre-jour, le bonhomme de paille semble toiser le garçon avec dégoût ou pire, défi. Et lorsque Sazh monte sur le porche de sa maison, il lance un ultime regard vers la forêt qui, sous un ciel crépusculaire, semble plus effrayante que jamais.
Le chauffeur actionne les moteurs du véhicule, et de là où je suis assis, je n'arrive pas tellement à discerner ses traits. Pour tout dire, j'ai franchement aucune idée de ce à quoi il pourrait ressembler. Le chauffeur pourrait être... un lion bipède, un centaure ou une femme à barbe que je n'en aurais aucune idée. Tout ce que je vois, c'est l'afro gigantesque qui lui sert de coiffure. Je m'amuse un instant à penser qu'il s'agit d'une vedette de roller-disco ou, mieux, d'un joueur professionnel de blitzball. Mais non, il ne s'agit que d'un pilote des navettes de la Shinra. Plus triste réalité, j'en conviens.
Les moteurs deviennent de plus en plus bruyants : on décolle. Je dois dire... que je ne suis pas fan des décollages. Le vaisseau commence bel et bien son ascension, mais j'ai la vague impression que mon cœur reste sur le sol un moment, avant de se rendre compte qu'il est quelque part dans le ciel. Ça me donne des nausées à chaque fois, mais je fais comme si tout allait bien et je dépose ma tête entre mes mains. Je ferme les yeux un moment et j'attends que mon cœur lève à son tour ses pieds de la terre ferme.
Quand je relève le regard, le Jardin Radieux est déjà histoire ancienne et on navigue sur les routes stellaires. À travers le hublot, j'aperçois des ceintures d'astéroïdes, des étoiles et des planètes aux formes variées. J'ai la chance de pouvoir admirer un panorama assez sublime, certes, mais bon... Dans la vie, je suis marin, pas astronaute. J'aime l'eau, pas le vide intersidéral.
Enfin, je décide de regarder dans le rétroviseur installé à l'avant. Pour la première fois, j'aperçois le regard du chauffeur, une paire d'yeux d'un noir profond. Un curieux regard, sans doute, mais j'arrive pas à mettre le doigt sur l'émotion ou le ressentiment qui l'habite. Je réussis rarement à déceler les émotions d'autrui, mais... décidément, une sorte de fatigue reluit dans ses yeux. Comme si son passé avait alourdi son regard ou encadré son regard de cernes immuables. Enfin...
« Alors, tu vas faire quoi au Domaine Enchanté ? »
La voix du chauffeur me ramène à la réalité. Je réponds spontanément :
« Je vais chez un amie que j'ai pas vue depuis... des siècles. »
« Une... amie ? »
« Non, ce n'est pas ce que vous pensez. Ce n'est qu'une amie. En fait, c'est ce qu'elles disent toutes. Je suis condamné à la solitude, j'vous dis. »
Ma remarque fait rigoler le chauffeur, qui s'esclaffe d'un rire de bon vivant. Je me joins à cette franche camaraderie ( !) et je ris à mon tour. Dans le rétroviseur, ses yeux deviennent comme... vivants, frétillants même. Si j'avais su que parler de mon éternel isolement pouvait faire marrer les gens à ce point...
« Y a plein de poissons dans l'océan », qu'il me dit entre deux quintes de rire.
« Mouais. »
« Si tu veux mon avis... Ne cherche pas trop. Ça viendra. »
Il se tait un moment et je me gratte la tête. Je décide d'être honnête avec moi-même pendant l'espace d'un instant : si je traverse les routes stellaires pour rejoindre cette fille au Domaine Enchanté, c'est bien pour la conquérir et l'épouser ensuite. J'aimerais que nos poignées de main se transforment en accolades et que nos accolades prennent des allures de tendres caresses. Ouais... On correspond depuis plusieurs années, et là, aujourd'hui, j'ai décidé de lui déballer toute la passion qui m'habite. Je suis un peu incertain de l'issue de la situation, mais j'essaie de ne pas trop créer d'espoirs. Peut-être qu'un jour... Un jour, ma solitude sera brisée par une jolie fille...
« Et d'ailleurs, que je lui demande, étant donné que vous êtes né là bas, vous auriez pas un conseil pour un impressionner la belle demoiselle en question ? »
« Ouais. Le pont qui sépare le château de la forêt. »
« Un pont ? Ça m'a pas l'air très romantique... »
« Tu parles. C'est là que j'ai embrassé pour la première fois la fille de mes rêves. »
Les moteurs deviennent de plus en plus bruyants : on décolle. Je dois dire... que je ne suis pas fan des décollages. Le vaisseau commence bel et bien son ascension, mais j'ai la vague impression que mon cœur reste sur le sol un moment, avant de se rendre compte qu'il est quelque part dans le ciel. Ça me donne des nausées à chaque fois, mais je fais comme si tout allait bien et je dépose ma tête entre mes mains. Je ferme les yeux un moment et j'attends que mon cœur lève à son tour ses pieds de la terre ferme.
Quand je relève le regard, le Jardin Radieux est déjà histoire ancienne et on navigue sur les routes stellaires. À travers le hublot, j'aperçois des ceintures d'astéroïdes, des étoiles et des planètes aux formes variées. J'ai la chance de pouvoir admirer un panorama assez sublime, certes, mais bon... Dans la vie, je suis marin, pas astronaute. J'aime l'eau, pas le vide intersidéral.
Enfin, je décide de regarder dans le rétroviseur installé à l'avant. Pour la première fois, j'aperçois le regard du chauffeur, une paire d'yeux d'un noir profond. Un curieux regard, sans doute, mais j'arrive pas à mettre le doigt sur l'émotion ou le ressentiment qui l'habite. Je réussis rarement à déceler les émotions d'autrui, mais... décidément, une sorte de fatigue reluit dans ses yeux. Comme si son passé avait alourdi son regard ou encadré son regard de cernes immuables. Enfin...
« Alors, tu vas faire quoi au Domaine Enchanté ? »
La voix du chauffeur me ramène à la réalité. Je réponds spontanément :
« Je vais chez un amie que j'ai pas vue depuis... des siècles. »
« Une... amie ? »
« Non, ce n'est pas ce que vous pensez. Ce n'est qu'une amie. En fait, c'est ce qu'elles disent toutes. Je suis condamné à la solitude, j'vous dis. »
Ma remarque fait rigoler le chauffeur, qui s'esclaffe d'un rire de bon vivant. Je me joins à cette franche camaraderie ( !) et je ris à mon tour. Dans le rétroviseur, ses yeux deviennent comme... vivants, frétillants même. Si j'avais su que parler de mon éternel isolement pouvait faire marrer les gens à ce point...
« Y a plein de poissons dans l'océan », qu'il me dit entre deux quintes de rire.
« Mouais. »
« Si tu veux mon avis... Ne cherche pas trop. Ça viendra. »
Il se tait un moment et je me gratte la tête. Je décide d'être honnête avec moi-même pendant l'espace d'un instant : si je traverse les routes stellaires pour rejoindre cette fille au Domaine Enchanté, c'est bien pour la conquérir et l'épouser ensuite. J'aimerais que nos poignées de main se transforment en accolades et que nos accolades prennent des allures de tendres caresses. Ouais... On correspond depuis plusieurs années, et là, aujourd'hui, j'ai décidé de lui déballer toute la passion qui m'habite. Je suis un peu incertain de l'issue de la situation, mais j'essaie de ne pas trop créer d'espoirs. Peut-être qu'un jour... Un jour, ma solitude sera brisée par une jolie fille...
« Et d'ailleurs, que je lui demande, étant donné que vous êtes né là bas, vous auriez pas un conseil pour un impressionner la belle demoiselle en question ? »
« Ouais. Le pont qui sépare le château de la forêt. »
« Un pont ? Ça m'a pas l'air très romantique... »
« Tu parles. C'est là que j'ai embrassé pour la première fois la fille de mes rêves. »
Le solstice
avant l'enfer
avant l'enfer
La salle d'audience est bondée. Pourtant divisées en temps normal, l'aristocratie du royaume et la plèbe se partagent le même air. Les petits marchands de la place publique discutent avec les ducs, et même les casanières semblent interagir avec les courtisans. Bref, presque toute la population du domaine s'entasse dans la salle du trône, prête à entendre le verdict, le marteau de la justice : un homme d'une quarantaine d'années est accusé de haute trahison envers Sa Majesté et la Cour après avoir été vu verser du venin dans la coupe du Roi lors d'un banquet.
Toutes les circonstances sont contre cet homme : on a en effet retrouvé ledit poison dans son domicile et plusieurs témoins - des gardes et des aristocrates - affirment avoir vu l'accusé s'infiltrer lors de la veillée sans la permission de Son Altesse. Le jugement est prévisible, mais la foule jamais silencieuse n'attend que le dernier mot du conseil souverain :
« Après longues discussions, la Cour est unanime : Jax Kaztroy, paysan déloyal, est accusé de crime contre le Domaine et contre son Peuple pour avoir tenté d'assassiner le monarque. Par conséquent, il est condamné à la pendaison. L'exécution publique aura lieu... »
Sazh n'entend plus. Il n'entend ni le juge qui prononce le verdict, ni les seigneurs qui acclament cette décision, ni les pleurs de son père et encore moins la voix de Tali qui essaie tant bien que mal d'être réconfortante. Pendant de longues secondes, le temps s'arrête : la foule cesse de fourmiller, le marteau de la justice reste en suspension sans frapper son socle. Et quand la vie reprend son cours et que la réalité heurte Sazh de plein fouet, une larme coule le long de sa joue : l'existence calme qu'il menait jusque là vient d'être bouleversée à jamais.
Dans un élan d'espoir, il se retire de l'emprise de Tali et ancre ses pieds sur le sol. Il essaie de crier, mais sa voix est enterrée par les applaudissement du peuple. Il essaie encore, et cette fois-ci ses mots brisent s'élèvent avant de briser la cacophonie :
« Mon père... Mon père ne mérite pas la mort! Il est un homme bon, un honnête paysan. »
À cet instant précis, Sazh ne se rend pas compte de l'ampleur de son cri du cœur. D'un coup, son anonymat vient d'être teinté par une horrible réputation : il n'est plus le fils d'un fermier, il est alors le fils indigne du traître Jax. Sans même connaître sa propre histoire, on l'associe déjà au crime de son géniteur. Comme pour couronner le tout, l'aristocrate et la populace se retourne en chœur vers Sazh et, dans un tumulte de huées, il est bousculé vers la sortie.
Tali, alertée, poursuit son ami jusqu'à l'extérieur et traverse l'interminable pont qui sépare la forêt des étangs du château. Une fois arrivée, elle enlace Sazh de toutes ses forces, comme pour le réassurer. Ce geste ne fonctionne pas; le garçon est inconsolable. Dans la même minute, son père est condamné à la peine de mort et sa réputation vient d'être souillée à jamais. Il n'a nulle part où aller.
« Tali, je... Tu crois que mon père est responsable de tout ça ? »
« ... »
« C'est bien ce que je pensais... Je... Qu'est-ce que je fais maintenant ? »
Pendant quelques secondes, Sazh tente de retenir ses larmes et de cacher son chagrin derrière une façade impassible. Ses murs s'effondrent rapidement au moment où il tombe à genoux. Il enfonce sa tête dans le creux de ses coudes et pleure. Son monde et son existence viennent de s'écrouler et il ne pourra plus jamais retrouver une vie normale. Son nom est entaché jusqu'à la fin des temps; la paix n'est plus possible. Entre deux sanglots, il articule :
« Tali, tu restes là, toi... Tu ne m'abandonnes pas, je... »
« Sazh... »
« Tu as raison... Je ne vais pas t'entraîner dans tout ça. Ton avenir... est plus important. »
« Et qu'est-ce que tu vas faire, maintenant? »
Sazh reste silencieux un moment et se remet sur pieds. Par la porte principale du château, la salle d'audience commence à se vider. Les nobles sont les premiers à sortir, suivis de près par les simples paysans du Domaine. Pour le réconforter, le doigt de Tali glissent sur l'avant bras de Sazh. Elle ne sait pas quoi dire pour le rassurer. Elle aimerait bien trouver une solution à tous les problèmes, mais cela pourrait compromettre son avenir. Elle est la seule héritière de l'entreprise textile de ses parents et les recettes sont trop importantes pour être ignorées. Son avenir est déjà tracé : elle ne peut mettre en jeu sa future fortune et sa stabilité, même pas pour l'amour qui l'unit à Sazh.
À son tour, le garçon dépose un doigt sur le menton de Tali et relève tranquillement sa tête. Leurs yeux se croisent un moment, mais Tali, comme poussée par la honte, détourne rapidement le regard et le rive sur le sol. Devant les circonstances, ils sont tous les deux impuissants : elle ne peut cracher sur son avenir et lui ne peut plus rien faire pour redorer le blason des Katzroy. Cette situation semble être insurmontable. Sazh soupire et dit :
« Je vais... Je vais m'enfermer chez moi jusqu'à ce que la poussière tombe, je suppose. »
La foule s'approche de plus en plus. Sazh ne veut pas être vu auprès de son amie, au risque de salir à son tour sa réputation. Dans un ultime élan d'espoir, il pose ses lèvres contre celles de Tali. Il aurait envie de la prendre dans ses bras pour ne plus jamais l'abandonner, mais la situation lui en empêche. Il murmure un « Je reviendrai, ne viens pas me voir », aussitôt étouffé par le brouhaha du flot qui continue de quitter la château. Sazh regarde pour une dernière fois le pont, le château puis son amie avant de retourner dans son domicile.
Rapidement, Tali enfile ses vêtements de sortie. Elle met ensuite un long foulard autour de sa tête pour dissimuler son visage avant de quitter son domicile et de prendre la route. Sur son chemin, elle ne croise personne, sinon la solitude. Depuis la condamnation de Jax, elle passe ses journées seule dans ses appartements à espérer le retour de Sazh. Sa crainte la rend inapte, et elle n'attend qu'un mot de son ami pour continuer à vivre. D'ailleurs, tout lui rappelle Sazh : la forêt des étangs, l'étroit chemin entre les arbres, même le ciel. Décidément, il lui manque.
Lorsqu'elle aperçoit finalement la maison à l'horizon, elle s'immobilise un instant. De là où elle se trouve, elle peut voir que le bâtiment a été vandalisé de tous les côtés : des messages haineux parsèment les murs, les fenêtres ont été brisées sauvagement et même une partie de la grange semble avoir été incendiée par des malfaisants. D'un coup, son inquiétude prend une ampleur considérable : et si de mauvaises représailles avaient mené à la mort de Sazh ? Et si les nobles avaient décidé de mettre fin à la lignée des Katzroy ? Elle n'en sait rien, mais se met à courir en direction de la maison, car elle n'en peut plus d'attendre.
Sur le porche de la demeure, elle remarque que la porte est entre-ouverte. Sans hésiter une seconde de plus, elle s'infiltre dans la maison et parcourt chaque pièce à la recherche de Sazh, qu'elle ne trouve malheureusement pas. C'est en entrant dans la chambre de son ami qu'elle remarque un parchemin sur le lit et, d'un coup d'œil, elle y aperçoit son nom. Elle s'en approche, l'empoigne d'un geste décidé et lit le contenu à voix-haute, comme si elle espérait être entendue :
« Tali,
Comme tu vois, les habitants du Domaine ont très mal pris la nouvelle et ont décidé de ravager ce que mon père a laissé derrière lui, en oubliant qu'il avait aussi un fils... J'ai peur pour ma vie, Tali. Je pars donc aujourd'hui pour les terres du nord, de l'autre côté de la forêt des étangs. J'y resterai le temps qu'on oublie un peu les derniers événements.
Ne viens pas me rejoindre, n'essaie surtout pas... C'est trop dangereux.
P.S. : Sois présente à la fête du Solstice. Tous les gens sont masqués, c'est le meilleur moment pour se revoir. Je pense à toi, n'oublie pas. »
« Je pense à toi, n'oublie pas. » Ces mots résonnent dans la tête de Tali, qui se laisse tomber sur le lit sans se relever. Elle aurait envie de pleurer, mais les larmes ne montent pas : elle est en colère, en colère contre le peuple qui a banni Sazh de sa propre maison, en colère que Jax Katzroy qui a trahi le Roi et son fils par le fait même, en colère contre elle-même pour ne pas avoir agi avant. Tant d'émotions la percutent, l'immobilisent contre le lit.
Lorsqu'elle se relève enfin, elle n'a qu'une idée en tête : attendre patiemment l'arrivée du solstice pour revoir enfin Sazh. Pendant la cérémonie, tous seront masqués, mais pour la première fois depuis longtemps, elle enlèvera le masque qui lui sert de façade, le temps d'avouer à Sazh qu'elle espère bien plus de leur relation.
Pendant les premières semaines, Sazh fut dépaysé par le mode de vie de ces individus. Alors qu'il avait été élevé dans un monde où les seigneurs dominaient, ce village ne connaissait rien d'autres que l'entraide et l'égalité. Tous, au sein de la tribu, étaient égaux; les enfants comme les adultes devaient œuvrer pour le bien des autres. Les plus vieux, quant à eux, étaient exemptés du travail et détenaient le savoir : par la tradition orale, ils transmettaient les connaissances à ceux qui le voulaient, racontant des légendes sur la non-fameuse Maléfique, sur des carcasses vides du nom de sans-cœurs et sur un royaume grandiose où cohabitaient plusieurs mondes.
Évidemment, Sazh, terre-à-terre, ne croyait pas trop à ces histoires, mais ne montra pas sa désapprobation : ces villageois lui offraient gratuitement une terre, un havre de paix, un lieu où vivre le temps que les choses se règlent. Il préférait donc taire son désaccord et se mêler à la communauté en participant activement aux corvées générales. Il apprit à chasser, à pêcher, à travailler le bois et à se défendre contre les créatures sauvages qui rôdaient.
Dès son arrivée, il essaya de se fondre dans le village avec succès. Rapidement, les autres membres de la tribu l'acceptèrent et lui confièrent des tâches de la plus haute importance : il se mit entre autres à travailler avec d'autres savants à la conception d'une machine capable de voyager dans le ciel et d'atteindre les mondes pittoresques dont parlent les mythes. Ignorant au départ, Sazh apprit les rudiments d'une mécanique presque magique dans laquelle se mêlait la physique de base et des éléments surnaturels qu'il n'arrivait à expliquer.
Aujourd'hui, après près d'un an de communion avec le reste du village, Sazh se prépare à quitter le village pour rejoindre le cœur du Domaine Enchanté. Le solstice d'été approche à grands pas et, dans moins d'une semaine, les paysans et la noblesse célébreront ensemble; Sazh a fait une promesse à Tali et il ne compte pas la briser. Pour ce faire, il prépare son équipement pour le voyage : des rations, beaucoup d'eau, quelques armes et une vieille boussole. Le périple devrait se dérouler sans encombres, mais il préfère tout de même mettre toutes les chances de son côté.
À l'heure de son départ, il salue les autres membres de la tribu et annonce que son retour est prévu dans quelques semaines. Le voyage se fait sans trop de problèmes; Sazh rencontre quelques loups affamés sur son passage, mais rien de trop dangereux. L'expertise à la chasse qu'il a acquise pendant cette année dans le village au pied de la montagne lui permet de ne pas trop s'en faire avec ces quelques bêtes sauvages. Ainsi, chaque soir, il installe son campement sous le plus grand arbre et repart tôt le matin pour éviter de perdre du temps.
Quelques jours plus tard, les terres marécageuses prennent des allures de bois enchantés : il reconnaît au loin les plaines de son enfance. Comme poussé par l'espoir de retrouver sa vie d'antan, il court plusieurs kilomètres dans les champs sans apercevoir son domicile. Tout ce qu'il aperçoit, ce sont des ruines, mais il reconnaît bien les vestiges de ce qui a un jour été sa maison : décidément, le peuple n'a toujours pas pardonné les actes de Jax.
Comme il ne peut rien y changer, il décide d'enfiler son masque et de se rendre directement à la cérémonie du Solstice. Il dépose son équipement de voyage près des ruines, de façon à ne pas alerter la garde royale. Pendant qu'il chemine vers le château, il ne cesse de penser à Tali : cela fait à peine un an qu'il l'a quittée, pourtant son visage et sa voix semblent si lointains dans ses souvenirs. Et si elle avait trouvé quelqu'un de mieux ? Et si le destin avait décidé de ne jamais les réunir ? Il n'en sait rien, mais son cœur se tortille. Son esprit est tellement troublé qu'il s'égare à plusieurs reprises, mais finit toujours par retrouver son chemin.
Lorsqu'il distingue l'interminable pont à l'horizon, il accélère le pas. Plus il avance, plus il rencontre des gens de la noblesse et des paysans du petit-peuple : malgré la mascarade, il ne peut s'empêcher de baisser le regard à chaque fois qu'il croise un individu. Il porte sur ses épaules les actes honteux de son père, un passé un lourd, des souvenirs brisés par les circonstances. Même s'il porte un masque, il a l'impression d'être reconnu tout de même.
Lentement, il traverse le pont. Il balaie sans cesse les lieux du regard à la recherche de Tali, qu'il n'aperçoit malheureusement pas. Il ne désespère pas et entre dans la salle d'audience, puis dans la salle de bal sans même alerter la légion palatiale : la noblesse et la paysannerie, le temps d'une soirée, oublient les tranchées qui les séparent. Cela peut sembler étrange dans un domaine où les seigneurs sont roi, mais la tradition semble surpasser même les écarts de richesse. Comme l'après-midi où on condamna son père, les gens sont tous réunis : les vieilles traditions et le désir de justice ne semblent pas avoir de frontière.
La salle de bal est bondée : les masques s'étendent à perte de vue. Dans de telles circonstances, il est difficile de retrouver Tali, mais lorsqu'il aperçoit une chevelure noire scintiller à la lueur des lanternes, son cœur est sûr : c'est bien elle. Sans attendre, il franchit la mare d'humains en s'excusant avant de rejoindre celle qu'il a toujours aimée. Lorsqu'elle l'aperçoit à son tour, un sourire se dessine sur son visage.
« Tu... tu es revenu. Je n'y croyais plus. »
Sazh dépose un baiser sur les lèvres de Tali. Ils s'embrassent longuement, comme pour rattraper le temps perdu. Il aimerait bien lui dire qu'il a pensé à elle pendant tout ce temps, mais les mots se meurent avant d'avoir effleuré ses lèvres. Il se contente de dessiner un rictus satisfait à son tour avant de dire :
« Tali... »
« Sazh. Retire ton masque. J'ai besoin de voir ton visage. »
« Mais... »
« Les gens ont oublié, crois-moi. Retire ton masque. Je dois voir tes yeux. »
D'un geste délicat, mais décidément inquiet, Sazh enlève son masque avant de faire de même pour Tali. Pendant un instant, le temps s'immobilise autour d'eux; même le monde semble s'évanouir. Les lanternes deviennent d'un coup plus ardentes, et les chandeliers gigantesques au plafond brillent de plus belle. Durant de longues secondes, ils ne profitent que du moment pour contempler l'autre sans ne rien dire. Les regards parlent plus que les mots.
D'un coup, des murmures s'élèvent dans la foule autour d'eux. Le monde qu'ils se sont évertué à bâtir s'écroule d'un coup. Parmi les gens, on entend des rumeurs, puis des syllabes. Rapidement, Sazh se rend compte qu'il n'est pas inconnu dans la salle de bal, et que les gens n'ont toujours pas oublié la traîtrise de son père. Par sécurité, il dépose son masque sur son visage et le fixe solidement, mais personne ne croit à cette mascarade. Les murmures se clarifient, et on entend soudainement une clameur dans la pièce :
« C'est le fils du traître ! »
L'esprit de Sazh s'embrouille et les idées se bousculent. Sans hésiter, il empoigne la main de Tali pour qu'elle le suive à l'extérieur, mais son mouvement brusque dégaine un poignard effilé attaché à sa ceinture. Lorsque l'arme frappe le sol, un bruit métallique se fait entendre et un silence de mort plane ensuite.
« Et il vient compléter le travail de son père !! Qu'on l'attrape ! »
Ne sachant pas quoi faire, Sazh opte pour la seule solution qui traverse son esprit : fuir. Il lâche la main de Tali et se fraie un chemin dans la foule. Il bouscule au passage des gardes, qui s'alarment aussitôt et poursuivent le jeune homme. Celui-ci sort de la salle d'un bal d'un coup, puis traverse la salle d'audience sans même regarder derrière lui. Lorsqu'il pousse l'une des deux grandes portes du château, il s'arrête un moment : le village. Il doit retourner au village.
En traversant le pont, il laisse tomber derrière lui le masque qu'il n'aurait jamais dû retirer. Il ne se retourne même pas : il ne voudrait pas ralentir le pas et être rattrapé par les gardes; pire, il ne voudrait pas croiser le regard de Tali... Il détale comme un vulgaire criminel alors qu'il n'en est pas. Les apparences sont peut-être trompeuses, mais Tali n'en a probablement aucune idée.
Toutes les circonstances sont contre cet homme : on a en effet retrouvé ledit poison dans son domicile et plusieurs témoins - des gardes et des aristocrates - affirment avoir vu l'accusé s'infiltrer lors de la veillée sans la permission de Son Altesse. Le jugement est prévisible, mais la foule jamais silencieuse n'attend que le dernier mot du conseil souverain :
« Après longues discussions, la Cour est unanime : Jax Kaztroy, paysan déloyal, est accusé de crime contre le Domaine et contre son Peuple pour avoir tenté d'assassiner le monarque. Par conséquent, il est condamné à la pendaison. L'exécution publique aura lieu... »
Sazh n'entend plus. Il n'entend ni le juge qui prononce le verdict, ni les seigneurs qui acclament cette décision, ni les pleurs de son père et encore moins la voix de Tali qui essaie tant bien que mal d'être réconfortante. Pendant de longues secondes, le temps s'arrête : la foule cesse de fourmiller, le marteau de la justice reste en suspension sans frapper son socle. Et quand la vie reprend son cours et que la réalité heurte Sazh de plein fouet, une larme coule le long de sa joue : l'existence calme qu'il menait jusque là vient d'être bouleversée à jamais.
Dans un élan d'espoir, il se retire de l'emprise de Tali et ancre ses pieds sur le sol. Il essaie de crier, mais sa voix est enterrée par les applaudissement du peuple. Il essaie encore, et cette fois-ci ses mots brisent s'élèvent avant de briser la cacophonie :
« Mon père... Mon père ne mérite pas la mort! Il est un homme bon, un honnête paysan. »
À cet instant précis, Sazh ne se rend pas compte de l'ampleur de son cri du cœur. D'un coup, son anonymat vient d'être teinté par une horrible réputation : il n'est plus le fils d'un fermier, il est alors le fils indigne du traître Jax. Sans même connaître sa propre histoire, on l'associe déjà au crime de son géniteur. Comme pour couronner le tout, l'aristocrate et la populace se retourne en chœur vers Sazh et, dans un tumulte de huées, il est bousculé vers la sortie.
Tali, alertée, poursuit son ami jusqu'à l'extérieur et traverse l'interminable pont qui sépare la forêt des étangs du château. Une fois arrivée, elle enlace Sazh de toutes ses forces, comme pour le réassurer. Ce geste ne fonctionne pas; le garçon est inconsolable. Dans la même minute, son père est condamné à la peine de mort et sa réputation vient d'être souillée à jamais. Il n'a nulle part où aller.
« Tali, je... Tu crois que mon père est responsable de tout ça ? »
« ... »
« C'est bien ce que je pensais... Je... Qu'est-ce que je fais maintenant ? »
Pendant quelques secondes, Sazh tente de retenir ses larmes et de cacher son chagrin derrière une façade impassible. Ses murs s'effondrent rapidement au moment où il tombe à genoux. Il enfonce sa tête dans le creux de ses coudes et pleure. Son monde et son existence viennent de s'écrouler et il ne pourra plus jamais retrouver une vie normale. Son nom est entaché jusqu'à la fin des temps; la paix n'est plus possible. Entre deux sanglots, il articule :
« Tali, tu restes là, toi... Tu ne m'abandonnes pas, je... »
« Sazh... »
« Tu as raison... Je ne vais pas t'entraîner dans tout ça. Ton avenir... est plus important. »
« Et qu'est-ce que tu vas faire, maintenant? »
Sazh reste silencieux un moment et se remet sur pieds. Par la porte principale du château, la salle d'audience commence à se vider. Les nobles sont les premiers à sortir, suivis de près par les simples paysans du Domaine. Pour le réconforter, le doigt de Tali glissent sur l'avant bras de Sazh. Elle ne sait pas quoi dire pour le rassurer. Elle aimerait bien trouver une solution à tous les problèmes, mais cela pourrait compromettre son avenir. Elle est la seule héritière de l'entreprise textile de ses parents et les recettes sont trop importantes pour être ignorées. Son avenir est déjà tracé : elle ne peut mettre en jeu sa future fortune et sa stabilité, même pas pour l'amour qui l'unit à Sazh.
À son tour, le garçon dépose un doigt sur le menton de Tali et relève tranquillement sa tête. Leurs yeux se croisent un moment, mais Tali, comme poussée par la honte, détourne rapidement le regard et le rive sur le sol. Devant les circonstances, ils sont tous les deux impuissants : elle ne peut cracher sur son avenir et lui ne peut plus rien faire pour redorer le blason des Katzroy. Cette situation semble être insurmontable. Sazh soupire et dit :
« Je vais... Je vais m'enfermer chez moi jusqu'à ce que la poussière tombe, je suppose. »
La foule s'approche de plus en plus. Sazh ne veut pas être vu auprès de son amie, au risque de salir à son tour sa réputation. Dans un ultime élan d'espoir, il pose ses lèvres contre celles de Tali. Il aurait envie de la prendre dans ses bras pour ne plus jamais l'abandonner, mais la situation lui en empêche. Il murmure un « Je reviendrai, ne viens pas me voir », aussitôt étouffé par le brouhaha du flot qui continue de quitter la château. Sazh regarde pour une dernière fois le pont, le château puis son amie avant de retourner dans son domicile.
* * *
Tali fait les cent pas dans sa chambre. Cela fait plus d'un mois qu'elle a eu des nouvelles de Sazh. Pendant tout ce temps, elle n'a pas daigné se rendre chez lui puisqu'il lui-même lui a interdit. Mais aujourd'hui, elle décide de braver la prohibition et d'aller lui rendre visite : ne pas savoir ce qui se passe avec lui l'inquiète au plus haut point. Elle a passé vingt-deux ans de son existence à ses côtés; un mois sans lui parait durer des siècles.Rapidement, Tali enfile ses vêtements de sortie. Elle met ensuite un long foulard autour de sa tête pour dissimuler son visage avant de quitter son domicile et de prendre la route. Sur son chemin, elle ne croise personne, sinon la solitude. Depuis la condamnation de Jax, elle passe ses journées seule dans ses appartements à espérer le retour de Sazh. Sa crainte la rend inapte, et elle n'attend qu'un mot de son ami pour continuer à vivre. D'ailleurs, tout lui rappelle Sazh : la forêt des étangs, l'étroit chemin entre les arbres, même le ciel. Décidément, il lui manque.
Lorsqu'elle aperçoit finalement la maison à l'horizon, elle s'immobilise un instant. De là où elle se trouve, elle peut voir que le bâtiment a été vandalisé de tous les côtés : des messages haineux parsèment les murs, les fenêtres ont été brisées sauvagement et même une partie de la grange semble avoir été incendiée par des malfaisants. D'un coup, son inquiétude prend une ampleur considérable : et si de mauvaises représailles avaient mené à la mort de Sazh ? Et si les nobles avaient décidé de mettre fin à la lignée des Katzroy ? Elle n'en sait rien, mais se met à courir en direction de la maison, car elle n'en peut plus d'attendre.
Sur le porche de la demeure, elle remarque que la porte est entre-ouverte. Sans hésiter une seconde de plus, elle s'infiltre dans la maison et parcourt chaque pièce à la recherche de Sazh, qu'elle ne trouve malheureusement pas. C'est en entrant dans la chambre de son ami qu'elle remarque un parchemin sur le lit et, d'un coup d'œil, elle y aperçoit son nom. Elle s'en approche, l'empoigne d'un geste décidé et lit le contenu à voix-haute, comme si elle espérait être entendue :
« Tali,
Comme tu vois, les habitants du Domaine ont très mal pris la nouvelle et ont décidé de ravager ce que mon père a laissé derrière lui, en oubliant qu'il avait aussi un fils... J'ai peur pour ma vie, Tali. Je pars donc aujourd'hui pour les terres du nord, de l'autre côté de la forêt des étangs. J'y resterai le temps qu'on oublie un peu les derniers événements.
Ne viens pas me rejoindre, n'essaie surtout pas... C'est trop dangereux.
P.S. : Sois présente à la fête du Solstice. Tous les gens sont masqués, c'est le meilleur moment pour se revoir. Je pense à toi, n'oublie pas. »
« Je pense à toi, n'oublie pas. » Ces mots résonnent dans la tête de Tali, qui se laisse tomber sur le lit sans se relever. Elle aurait envie de pleurer, mais les larmes ne montent pas : elle est en colère, en colère contre le peuple qui a banni Sazh de sa propre maison, en colère que Jax Katzroy qui a trahi le Roi et son fils par le fait même, en colère contre elle-même pour ne pas avoir agi avant. Tant d'émotions la percutent, l'immobilisent contre le lit.
Lorsqu'elle se relève enfin, elle n'a qu'une idée en tête : attendre patiemment l'arrivée du solstice pour revoir enfin Sazh. Pendant la cérémonie, tous seront masqués, mais pour la première fois depuis longtemps, elle enlèvera le masque qui lui sert de façade, le temps d'avouer à Sazh qu'elle espère bien plus de leur relation.
* * *
En quittant ses terres natales, Sazh prit le chemin vers le nord. Après une route périlleuse dans la forêt des étangs, il emprunta un sentier qui le mena jusque dans les montagnes. Là-bas, il s'installa dans un petit village d'hommes et de femmes vivant en communion avec la nature, priant des dieux multiples et craignant une sorcière étrange qu'on appelait Maléfique. Cette dernière, semble-t-il, avait la capacité de se changer en dragon et de mettre le monde en cendres en quelques minutes. Chaque semaine, la communauté déposait donc des offrandes au sommet de la montagne pour éviter la colère de la sorcière.Pendant les premières semaines, Sazh fut dépaysé par le mode de vie de ces individus. Alors qu'il avait été élevé dans un monde où les seigneurs dominaient, ce village ne connaissait rien d'autres que l'entraide et l'égalité. Tous, au sein de la tribu, étaient égaux; les enfants comme les adultes devaient œuvrer pour le bien des autres. Les plus vieux, quant à eux, étaient exemptés du travail et détenaient le savoir : par la tradition orale, ils transmettaient les connaissances à ceux qui le voulaient, racontant des légendes sur la non-fameuse Maléfique, sur des carcasses vides du nom de sans-cœurs et sur un royaume grandiose où cohabitaient plusieurs mondes.
Évidemment, Sazh, terre-à-terre, ne croyait pas trop à ces histoires, mais ne montra pas sa désapprobation : ces villageois lui offraient gratuitement une terre, un havre de paix, un lieu où vivre le temps que les choses se règlent. Il préférait donc taire son désaccord et se mêler à la communauté en participant activement aux corvées générales. Il apprit à chasser, à pêcher, à travailler le bois et à se défendre contre les créatures sauvages qui rôdaient.
Dès son arrivée, il essaya de se fondre dans le village avec succès. Rapidement, les autres membres de la tribu l'acceptèrent et lui confièrent des tâches de la plus haute importance : il se mit entre autres à travailler avec d'autres savants à la conception d'une machine capable de voyager dans le ciel et d'atteindre les mondes pittoresques dont parlent les mythes. Ignorant au départ, Sazh apprit les rudiments d'une mécanique presque magique dans laquelle se mêlait la physique de base et des éléments surnaturels qu'il n'arrivait à expliquer.
Aujourd'hui, après près d'un an de communion avec le reste du village, Sazh se prépare à quitter le village pour rejoindre le cœur du Domaine Enchanté. Le solstice d'été approche à grands pas et, dans moins d'une semaine, les paysans et la noblesse célébreront ensemble; Sazh a fait une promesse à Tali et il ne compte pas la briser. Pour ce faire, il prépare son équipement pour le voyage : des rations, beaucoup d'eau, quelques armes et une vieille boussole. Le périple devrait se dérouler sans encombres, mais il préfère tout de même mettre toutes les chances de son côté.
À l'heure de son départ, il salue les autres membres de la tribu et annonce que son retour est prévu dans quelques semaines. Le voyage se fait sans trop de problèmes; Sazh rencontre quelques loups affamés sur son passage, mais rien de trop dangereux. L'expertise à la chasse qu'il a acquise pendant cette année dans le village au pied de la montagne lui permet de ne pas trop s'en faire avec ces quelques bêtes sauvages. Ainsi, chaque soir, il installe son campement sous le plus grand arbre et repart tôt le matin pour éviter de perdre du temps.
Quelques jours plus tard, les terres marécageuses prennent des allures de bois enchantés : il reconnaît au loin les plaines de son enfance. Comme poussé par l'espoir de retrouver sa vie d'antan, il court plusieurs kilomètres dans les champs sans apercevoir son domicile. Tout ce qu'il aperçoit, ce sont des ruines, mais il reconnaît bien les vestiges de ce qui a un jour été sa maison : décidément, le peuple n'a toujours pas pardonné les actes de Jax.
Comme il ne peut rien y changer, il décide d'enfiler son masque et de se rendre directement à la cérémonie du Solstice. Il dépose son équipement de voyage près des ruines, de façon à ne pas alerter la garde royale. Pendant qu'il chemine vers le château, il ne cesse de penser à Tali : cela fait à peine un an qu'il l'a quittée, pourtant son visage et sa voix semblent si lointains dans ses souvenirs. Et si elle avait trouvé quelqu'un de mieux ? Et si le destin avait décidé de ne jamais les réunir ? Il n'en sait rien, mais son cœur se tortille. Son esprit est tellement troublé qu'il s'égare à plusieurs reprises, mais finit toujours par retrouver son chemin.
Lorsqu'il distingue l'interminable pont à l'horizon, il accélère le pas. Plus il avance, plus il rencontre des gens de la noblesse et des paysans du petit-peuple : malgré la mascarade, il ne peut s'empêcher de baisser le regard à chaque fois qu'il croise un individu. Il porte sur ses épaules les actes honteux de son père, un passé un lourd, des souvenirs brisés par les circonstances. Même s'il porte un masque, il a l'impression d'être reconnu tout de même.
Lentement, il traverse le pont. Il balaie sans cesse les lieux du regard à la recherche de Tali, qu'il n'aperçoit malheureusement pas. Il ne désespère pas et entre dans la salle d'audience, puis dans la salle de bal sans même alerter la légion palatiale : la noblesse et la paysannerie, le temps d'une soirée, oublient les tranchées qui les séparent. Cela peut sembler étrange dans un domaine où les seigneurs sont roi, mais la tradition semble surpasser même les écarts de richesse. Comme l'après-midi où on condamna son père, les gens sont tous réunis : les vieilles traditions et le désir de justice ne semblent pas avoir de frontière.
La salle de bal est bondée : les masques s'étendent à perte de vue. Dans de telles circonstances, il est difficile de retrouver Tali, mais lorsqu'il aperçoit une chevelure noire scintiller à la lueur des lanternes, son cœur est sûr : c'est bien elle. Sans attendre, il franchit la mare d'humains en s'excusant avant de rejoindre celle qu'il a toujours aimée. Lorsqu'elle l'aperçoit à son tour, un sourire se dessine sur son visage.
« Tu... tu es revenu. Je n'y croyais plus. »
Sazh dépose un baiser sur les lèvres de Tali. Ils s'embrassent longuement, comme pour rattraper le temps perdu. Il aimerait bien lui dire qu'il a pensé à elle pendant tout ce temps, mais les mots se meurent avant d'avoir effleuré ses lèvres. Il se contente de dessiner un rictus satisfait à son tour avant de dire :
« Tali... »
« Sazh. Retire ton masque. J'ai besoin de voir ton visage. »
« Mais... »
« Les gens ont oublié, crois-moi. Retire ton masque. Je dois voir tes yeux. »
D'un geste délicat, mais décidément inquiet, Sazh enlève son masque avant de faire de même pour Tali. Pendant un instant, le temps s'immobilise autour d'eux; même le monde semble s'évanouir. Les lanternes deviennent d'un coup plus ardentes, et les chandeliers gigantesques au plafond brillent de plus belle. Durant de longues secondes, ils ne profitent que du moment pour contempler l'autre sans ne rien dire. Les regards parlent plus que les mots.
D'un coup, des murmures s'élèvent dans la foule autour d'eux. Le monde qu'ils se sont évertué à bâtir s'écroule d'un coup. Parmi les gens, on entend des rumeurs, puis des syllabes. Rapidement, Sazh se rend compte qu'il n'est pas inconnu dans la salle de bal, et que les gens n'ont toujours pas oublié la traîtrise de son père. Par sécurité, il dépose son masque sur son visage et le fixe solidement, mais personne ne croit à cette mascarade. Les murmures se clarifient, et on entend soudainement une clameur dans la pièce :
« C'est le fils du traître ! »
L'esprit de Sazh s'embrouille et les idées se bousculent. Sans hésiter, il empoigne la main de Tali pour qu'elle le suive à l'extérieur, mais son mouvement brusque dégaine un poignard effilé attaché à sa ceinture. Lorsque l'arme frappe le sol, un bruit métallique se fait entendre et un silence de mort plane ensuite.
« Et il vient compléter le travail de son père !! Qu'on l'attrape ! »
Ne sachant pas quoi faire, Sazh opte pour la seule solution qui traverse son esprit : fuir. Il lâche la main de Tali et se fraie un chemin dans la foule. Il bouscule au passage des gardes, qui s'alarment aussitôt et poursuivent le jeune homme. Celui-ci sort de la salle d'un bal d'un coup, puis traverse la salle d'audience sans même regarder derrière lui. Lorsqu'il pousse l'une des deux grandes portes du château, il s'arrête un moment : le village. Il doit retourner au village.
En traversant le pont, il laisse tomber derrière lui le masque qu'il n'aurait jamais dû retirer. Il ne se retourne même pas : il ne voudrait pas ralentir le pas et être rattrapé par les gardes; pire, il ne voudrait pas croiser le regard de Tali... Il détale comme un vulgaire criminel alors qu'il n'en est pas. Les apparences sont peut-être trompeuses, mais Tali n'en a probablement aucune idée.
« Alors, bonhomme... Si ça te dérange pas trop, on va s'arrêter un moment. J'ai faim. Et je me sens généreux : c'est ma tournée. »
J'acquiesce d'un hochement de tête et d'un « oui » décidé. Je ne dis jamais non à de la bouffe gratuite, et encore moins pendant un voyage spatial comme celui-là. Le trajet est assez long, et mes jambes sont engourdies. Il faut que je sorte de cette boîte de métal avant qu'on doive m'amputer tous les membres.
Le chauffeur ralentit donc et change de direction brusquement, me laissant seul sur le banc arrière avec un haut-le-cœur et une envie de me lancer à travers le hublot. Par la fenêtre, j'aperçois un haut bâtiment installé sur une astéroïde qui traîne par-là, comme retenue par un champ magnétique ou quelque chose qui m'échappe. On se croirait tout droit sorti d'un film futuriste : sur le caillou, des petits êtres bleus avec des chapeaux métalliques mangent sur une terrasse pendant que des flèches sur des panneaux lumineux pointent dans toutes les directions pour indiquer aux vagabonds que le restaurant est bel et bien ouvert. La scène est un peu absurde, mais je ne suis pas trop impressionné : on retrouve de tout sur ces routes stellaires.
Le vaisseau se pose avec tellement de délicatesse que ça me surprend un moment. Sans attendre, j'ouvre la portière et je pose le pied sur la terre ferme. Le chauffeur fait de même et, pour la première fois depuis tout le voyage, je peux enfin voir de qui il s'agit. L'homme a un teint assez foncé et arbore une barbe vandyck qui le rend presque dandy. Il porte un long manteau vert qui surmonte une chemise blanche. À ses cuisses, il porte deux étuis. Au début, je me dis que c'est un drôle de style, mais je me rends bien vite compte qu'ils cachent des armes à feu. C'est une bonne raison pour ne pas embêter le chauffeur, si on compte en plus sa grandeur qui m'intimide un peu. Enfin...
Sans ne rien ajouter, je le suis à l'intérieur du restaurant. Il commande trois sandwichs, m'en tend un, en donne un à un errant qui quémande à l'entrée et mange l'autre d'un coup. Cela fait, il laisse échapper un soupir satisfait. Je disais tout à l'heure que le chauffeur avait des airs de fataliste, mais je remarque que ce n'est pas péjoratif. Son regard fait genre « la vie, c'est de la merde, je peux rien y faire, mais pourquoi pas profiter du peu qu'il reste », plutôt que « la vie, c'est de la merde, pourquoi pas nouer une corde à mon cou ». Ma perception de lui vient de changer d'un coup; pas que ça ait une certaine importance, mais bon.
Quand on s'approche du véhicule, je l'entends soudainement hurler. Près du vaisseau, deux bandits sont en train de voler les effets personnels du chauffeur, qui dégaine aussitôt ses deux pistolets avant de déclarer :
« Vous avez décidé de voler la mauvaise personne, je crois... »
Les deux voleurs se consultent du regard un moment, mais ne se rendent pas. L'un d'entre eux lance ses trouvailles à l'autre avant de bondir vers nous. Le deuxième pickpocket prend la poudre d'escampette avec quelques munnies et des objets de valeur. Le chauffeur pointe sur moi un de ses fusils, et je me sens soudainement... revigoré. Il dit :
« Arrête l'autre. Je m'occupe de lui. »
« Mais il court beaucoup trop vite, je... »
« Fais-toi confiance, bonhomme. »
Je ne sais pas trop dans quel pétrin je me perds, mais j'obéis aux ordres du pilote et je me mets à la poursuite du second bandit. Curieusement, mes pieds frappent rapidement le sol. Je ne suis pas un très grand sportif, mais j'ai l'impression de pouvoir sprinter librement d'un coup, comme si on m'avait donné des souliers aériens ou je ne sais pas. Sans trop savoir ce que je fais, je rattrape le bandit, le bouscule violemment et reprend en main les possessions du chauffeur. Le voleur semble un peu bouleversé, et détale dans l'autre direction. Je suis fier, oui... Et je retourne à l'avant du restaurant pour voir ce qu'il en est.
Là-bas, le duel est un peu plus intéressant. Le chauffeur enchaîne les coups, alors que le pickpocket tente tant bien que mal de les encaisser. Le conducteur dégaine alors deux pisolets et tire des salves enflammées sur le voleur, qui danse entre les balles. Comme las de ce petit jeu, le pilote décide de prendre les choses en main : il brandit son poing dans les airs et, magiquement, un jet de foudre fend l'air et atteint violemment le pickpocket. Je m'immobilise un instant... Je ne m'attendais pas du tout à ce dénouement.
« Allez, on reprend notre route », qu'il m'annonce comme la plus grande des banalités.
J'obtempère aux exigences du chauffeur et je retourne dans le véhicule. Cette fois-ci, je décide de m'asseoir sur le siège avant. Il me rejoint après quelques secondes. Lorsqu'il s'assoit, il prend quelques secondes pour haleter comme un chien en pleine canicule. Il se gratte la tête, me regarde un peu bizarrement et dit :
« Je suis trop vieux pour ce genre de trucs... »
Les moteurs se remettent en marche. Je profite du moment pour clarifier les choses :
« Dites donc... Vous avez appris où à vous battre comme ça ? »
« J'ai fait l'armée, petit. »
J'acquiesce d'un hochement de tête et d'un « oui » décidé. Je ne dis jamais non à de la bouffe gratuite, et encore moins pendant un voyage spatial comme celui-là. Le trajet est assez long, et mes jambes sont engourdies. Il faut que je sorte de cette boîte de métal avant qu'on doive m'amputer tous les membres.
Le chauffeur ralentit donc et change de direction brusquement, me laissant seul sur le banc arrière avec un haut-le-cœur et une envie de me lancer à travers le hublot. Par la fenêtre, j'aperçois un haut bâtiment installé sur une astéroïde qui traîne par-là, comme retenue par un champ magnétique ou quelque chose qui m'échappe. On se croirait tout droit sorti d'un film futuriste : sur le caillou, des petits êtres bleus avec des chapeaux métalliques mangent sur une terrasse pendant que des flèches sur des panneaux lumineux pointent dans toutes les directions pour indiquer aux vagabonds que le restaurant est bel et bien ouvert. La scène est un peu absurde, mais je ne suis pas trop impressionné : on retrouve de tout sur ces routes stellaires.
Le vaisseau se pose avec tellement de délicatesse que ça me surprend un moment. Sans attendre, j'ouvre la portière et je pose le pied sur la terre ferme. Le chauffeur fait de même et, pour la première fois depuis tout le voyage, je peux enfin voir de qui il s'agit. L'homme a un teint assez foncé et arbore une barbe vandyck qui le rend presque dandy. Il porte un long manteau vert qui surmonte une chemise blanche. À ses cuisses, il porte deux étuis. Au début, je me dis que c'est un drôle de style, mais je me rends bien vite compte qu'ils cachent des armes à feu. C'est une bonne raison pour ne pas embêter le chauffeur, si on compte en plus sa grandeur qui m'intimide un peu. Enfin...
Sans ne rien ajouter, je le suis à l'intérieur du restaurant. Il commande trois sandwichs, m'en tend un, en donne un à un errant qui quémande à l'entrée et mange l'autre d'un coup. Cela fait, il laisse échapper un soupir satisfait. Je disais tout à l'heure que le chauffeur avait des airs de fataliste, mais je remarque que ce n'est pas péjoratif. Son regard fait genre « la vie, c'est de la merde, je peux rien y faire, mais pourquoi pas profiter du peu qu'il reste », plutôt que « la vie, c'est de la merde, pourquoi pas nouer une corde à mon cou ». Ma perception de lui vient de changer d'un coup; pas que ça ait une certaine importance, mais bon.
Quand on s'approche du véhicule, je l'entends soudainement hurler. Près du vaisseau, deux bandits sont en train de voler les effets personnels du chauffeur, qui dégaine aussitôt ses deux pistolets avant de déclarer :
« Vous avez décidé de voler la mauvaise personne, je crois... »
Les deux voleurs se consultent du regard un moment, mais ne se rendent pas. L'un d'entre eux lance ses trouvailles à l'autre avant de bondir vers nous. Le deuxième pickpocket prend la poudre d'escampette avec quelques munnies et des objets de valeur. Le chauffeur pointe sur moi un de ses fusils, et je me sens soudainement... revigoré. Il dit :
« Arrête l'autre. Je m'occupe de lui. »
« Mais il court beaucoup trop vite, je... »
« Fais-toi confiance, bonhomme. »
Je ne sais pas trop dans quel pétrin je me perds, mais j'obéis aux ordres du pilote et je me mets à la poursuite du second bandit. Curieusement, mes pieds frappent rapidement le sol. Je ne suis pas un très grand sportif, mais j'ai l'impression de pouvoir sprinter librement d'un coup, comme si on m'avait donné des souliers aériens ou je ne sais pas. Sans trop savoir ce que je fais, je rattrape le bandit, le bouscule violemment et reprend en main les possessions du chauffeur. Le voleur semble un peu bouleversé, et détale dans l'autre direction. Je suis fier, oui... Et je retourne à l'avant du restaurant pour voir ce qu'il en est.
Là-bas, le duel est un peu plus intéressant. Le chauffeur enchaîne les coups, alors que le pickpocket tente tant bien que mal de les encaisser. Le conducteur dégaine alors deux pisolets et tire des salves enflammées sur le voleur, qui danse entre les balles. Comme las de ce petit jeu, le pilote décide de prendre les choses en main : il brandit son poing dans les airs et, magiquement, un jet de foudre fend l'air et atteint violemment le pickpocket. Je m'immobilise un instant... Je ne m'attendais pas du tout à ce dénouement.
« Allez, on reprend notre route », qu'il m'annonce comme la plus grande des banalités.
J'obtempère aux exigences du chauffeur et je retourne dans le véhicule. Cette fois-ci, je décide de m'asseoir sur le siège avant. Il me rejoint après quelques secondes. Lorsqu'il s'assoit, il prend quelques secondes pour haleter comme un chien en pleine canicule. Il se gratte la tête, me regarde un peu bizarrement et dit :
« Je suis trop vieux pour ce genre de trucs... »
Les moteurs se remettent en marche. Je profite du moment pour clarifier les choses :
« Dites donc... Vous avez appris où à vous battre comme ça ? »
« J'ai fait l'armée, petit. »
Dernière édition par Sazh Katzroy le Ven 11 Sep 2015 - 22:54, édité 7 fois