Le Corbeau blanc
La nuit est oppressante. En fait, chaque nuit dans cette cité l'est de plus en plus. Crimes atroces, maladies, pauvreté, murmures de conflit... Ai-je été relâché dans ce monde pour le regarder mourir, s'écrouler devant mes yeux ? Malheureusement, je suis impuissant, totalement inutile face à ce chaos qui s'installe. Je n'ai rien d'un invincible justicier, rien d'un grand guérisseur et mes moyens sont trop limités pour pouvoir venir en aide à qui que ce soit. Alors, je regarde, j'observe de loin sans pouvoir m'investir; j'ai bien peur d'avouer que mes mots ne seront ni salvateurs, ni libérateurs.
Je dois éviter de me torturer et je dois me mettre à l'évidence : cette nuit ne sera pas la nuit où tous ces problèmes disparaîtront. Cette nuit, d'autres priorités pèsent dans mon esprit. Genesis, le porte-parole de tous les consuls, m'attend quelque part dans ces ruelles sinueuses de plus en plus étroites. Je ne sais pas me retrouver dans ce dédale, surtout en plein cœur de cette nuit sans étoiles, mais je suis mes intuitions. Je me laisse guider par le vent froid qui fouette mes joues jusqu'à les faire rougir. Je trouverai.
Genesis ne m'a pas donné l'exacte raison de notre rencontre nocturne. En fait, il ne se rendit même pas dans mes quartiers pour m'annoncer ce rendez-vous; un messager le fit à sa place. Ce dernier fut très nébuleux, ne me laissa même pas le temps de clarifier mes esprits et partit avant même que je n'aie pu le retenir. Et si... Et si mes proses n'impressionnaient plus Genesis, et si notre entente ne tenait plus ? Je n'en sais rien, bien honnêtement, mais j'essaie tant bien que mal de ne pas me laisser submerger dans l'angoisse, quoiqu'il est un peu difficile de rester calme sous ce ciel aussi sombre.
En regardant d'ailleurs ce ciel pour essayer de me guider, je m'enfonce encore un peu plus dans le quartier résidentiel. Je débouche étonnamment sur un cul-de-sac et je sursaute en apercevant une silhouette au fond de celui-ci. Je n'hésite pas une seconde : il s'agit bel et bien de Genesis, mais un Genesis qui m'apparait si différent au premier regard. Ses épaules sont basses, sa stature n'est plus aussi impressionnante... Même l'aura de confiance qu'il dégageait lors de notre première rencontre semble s'être dissipée. Il n'est plus le cardinal fier avec qui j'ai discuté quelques semaines auparavant; il est... un corbeau, un bien triste corbeau.
Genesis est accoudé contre un mur de briques. À ses côtés, de grands bâtiments se dressent, tellement grands que je n'arrive pas à discerner leur cime dans le brouillard de la nuit. Aucune lumière n'émane des bâtisses; je n'aperçois difficilement que des volets fermés. En m'approchant du cul-de-sac, je distingue à ma droite une statue, une minuscule statue de pierre incrustée dans un mur : une jeune fille totalement nue qui, dans l'innocence d'un chérubin, urine dans un puits. Une fontaine, donc, mais une fontaine dont les mécanismes semblent être rongés par le temps. Ni jet, ni ruissellement.
Lentement, je finis par atteindre la fin de la ruelle. J'essaie de saluer Genesis, mais l'obscurité me restreint. Je fais donc apparaître un parchemin et une plume sans encre et j'y gribouille quelques syllabes. Comme des sentiers tortueux, mes mots se perdent dans le désordre, mais je réussis tout de même à faire ce que j'espérais : des ténèbres jaillissent de petites créatures qui, en stagnation, relâchent sporadiquement des flammes, éclairant ainsi le cul-de-sac comme les chandelles d'une chaumière. Satisfait, je salue mon interlocuteur :
« Bonjour, Genesis. Vous vouliez me voir ? »
C'est une question rhétorique. Je sais aussi bien que lui qu'il n'attendait que mon arrivée, mais je n'en connais ni la raison, ni l'objectif. Je suis impatient d'en apprendre plus, mais je n'arbore qu'un sourire convivial en guise d'expression.
La nuit est oppressante. En fait, chaque nuit dans cette cité l'est de plus en plus. Crimes atroces, maladies, pauvreté, murmures de conflit... Ai-je été relâché dans ce monde pour le regarder mourir, s'écrouler devant mes yeux ? Malheureusement, je suis impuissant, totalement inutile face à ce chaos qui s'installe. Je n'ai rien d'un invincible justicier, rien d'un grand guérisseur et mes moyens sont trop limités pour pouvoir venir en aide à qui que ce soit. Alors, je regarde, j'observe de loin sans pouvoir m'investir; j'ai bien peur d'avouer que mes mots ne seront ni salvateurs, ni libérateurs.
Je dois éviter de me torturer et je dois me mettre à l'évidence : cette nuit ne sera pas la nuit où tous ces problèmes disparaîtront. Cette nuit, d'autres priorités pèsent dans mon esprit. Genesis, le porte-parole de tous les consuls, m'attend quelque part dans ces ruelles sinueuses de plus en plus étroites. Je ne sais pas me retrouver dans ce dédale, surtout en plein cœur de cette nuit sans étoiles, mais je suis mes intuitions. Je me laisse guider par le vent froid qui fouette mes joues jusqu'à les faire rougir. Je trouverai.
Genesis ne m'a pas donné l'exacte raison de notre rencontre nocturne. En fait, il ne se rendit même pas dans mes quartiers pour m'annoncer ce rendez-vous; un messager le fit à sa place. Ce dernier fut très nébuleux, ne me laissa même pas le temps de clarifier mes esprits et partit avant même que je n'aie pu le retenir. Et si... Et si mes proses n'impressionnaient plus Genesis, et si notre entente ne tenait plus ? Je n'en sais rien, bien honnêtement, mais j'essaie tant bien que mal de ne pas me laisser submerger dans l'angoisse, quoiqu'il est un peu difficile de rester calme sous ce ciel aussi sombre.
En regardant d'ailleurs ce ciel pour essayer de me guider, je m'enfonce encore un peu plus dans le quartier résidentiel. Je débouche étonnamment sur un cul-de-sac et je sursaute en apercevant une silhouette au fond de celui-ci. Je n'hésite pas une seconde : il s'agit bel et bien de Genesis, mais un Genesis qui m'apparait si différent au premier regard. Ses épaules sont basses, sa stature n'est plus aussi impressionnante... Même l'aura de confiance qu'il dégageait lors de notre première rencontre semble s'être dissipée. Il n'est plus le cardinal fier avec qui j'ai discuté quelques semaines auparavant; il est... un corbeau, un bien triste corbeau.
Genesis est accoudé contre un mur de briques. À ses côtés, de grands bâtiments se dressent, tellement grands que je n'arrive pas à discerner leur cime dans le brouillard de la nuit. Aucune lumière n'émane des bâtisses; je n'aperçois difficilement que des volets fermés. En m'approchant du cul-de-sac, je distingue à ma droite une statue, une minuscule statue de pierre incrustée dans un mur : une jeune fille totalement nue qui, dans l'innocence d'un chérubin, urine dans un puits. Une fontaine, donc, mais une fontaine dont les mécanismes semblent être rongés par le temps. Ni jet, ni ruissellement.
Lentement, je finis par atteindre la fin de la ruelle. J'essaie de saluer Genesis, mais l'obscurité me restreint. Je fais donc apparaître un parchemin et une plume sans encre et j'y gribouille quelques syllabes. Comme des sentiers tortueux, mes mots se perdent dans le désordre, mais je réussis tout de même à faire ce que j'espérais : des ténèbres jaillissent de petites créatures qui, en stagnation, relâchent sporadiquement des flammes, éclairant ainsi le cul-de-sac comme les chandelles d'une chaumière. Satisfait, je salue mon interlocuteur :
« Bonjour, Genesis. Vous vouliez me voir ? »
C'est une question rhétorique. Je sais aussi bien que lui qu'il n'attendait que mon arrivée, mais je n'en connais ni la raison, ni l'objectif. Je suis impatient d'en apprendre plus, mais je n'arbore qu'un sourire convivial en guise d'expression.