Dans le Phèdre, Platon décrivit sa conception de l'âme. Celle-ci est comparable à un char où sont attelés deux chevaux ailés... L'un est blanc, puissant, plein de courage... Il représente le coeur et la bravoure, cette âme guerrière en chacun de nous. L'autre cheval est quant à lui noir comme l'arille d'une grenade. C'est lui qui incite l'âme à répondre à ses pulsions, aussi bien libidinales que de survie. Dénué d'instinct guerrier, bien au contraire, le cheval noir se garde bien de suivre le cheval blanc dans ses courses et ses conquêtes, tandis que ce dernier protège ses passions d'une simple affaire de besoin.
C'est ainsi que le char vole, traîné par les chevaux qui jamais ne s'entendent sur un chemin. C'est un conflit qui ne se règle jamais de lui-même... aussi les hommes trop courageux se brûlent à proximité du soleil, quand les hommes trop désireux s'écrasent contre terre.
Arrive le cocher. Face au courage et au désir, il ajoute la raison. Lui seul est capable de mener le char à l'égal des dieux.
Le philosophe, pour Platon, est celui qui sait contrôler sa passion et modérer ses besoins, mais toujours les utiliser pour arriver à la connaissance.
Learn avait beau être de son côté, le Tragédien ne pouvait lui donner entièrement raison. A vrai dire, sur bien des aspects, elle rejoignait Medusa. Toutes les deux étaient... parmi les rares à constater la nature problématique de la lumière. Le débat avançait, la tension montait d'ailleurs légèrement, tandis que certains discours se montraient plus subversifs... cependant, certains consuls semblaient encore certains de l'innocence de la lumière. Oh Genesis savait que la lumière n'avait pas commandité le meurtre de Frollo, et encore moins celui de Jann, comme Medusa semblait le sous-entendre au détour d'une phrase... néanmoins, comme la scientifique l'avait précisé, la lumière n'avait mené d'enquête sur ce crime, ce qui prouvait qu'elle n'avait rien de ce groupe si engagé qu'elle disait être.
Malgré cela, Chen avait... admirablement retourné la tendance. Il était difficile pour quiconque de se prononcer sur les résultats du vote à venir, mais il ne faisait nul doute que l'écart serait... minuscule.
Plus que jamais, Genesis devait mûrement réfléchir aux objections des intervenants... qu'ils soient opposés ou en faveur de sa proposition.
Medusa, qui s'exprima en première, ou en tout cas fut-elle la première à raisonner dans l'assemblée, eut le coup de génie de favoriser la trêve avec la Coalition noire puisque, selon elle - et Genesis pouvait y croire - en guerre avec la lumière, le peuple et les consuls incapables de se défendre ne risquaient en principe rien de son ennemi... Jamais la lumière ne tuerait des innocents car... ce faisant, elle ruinerait à jamais sa légitimité. C'était fort malin, Genesis devait le reconnaître.
Cependant, elle eut... la maladresse d'accabler plus que nécessaire la lumière pour son crime envers Jann... Crime qu'elle jugeait d'abjecte. Il était vrai que l'assassinat du membre de la lumière fut particulièrement sadique, cependant le tragédien était persuadé que chaque consul comprenait bien l'atrocité du crime... et qu'aucun d'entre eux n'avait besoin d'un discours moral à ce sujet.
Les hommes et les femmes dans ce dôme n'étaient pas de vulgaires civils... ils étaient des consuls.
Quand Ulthane s'exprima... Genesis en soupirait rien que d'y repenser puisqu'une nouvelle fois, il avait exigé le silence en faisant un maximum de bruits. Simple parenthèse, vous dira-t-il, mais les maladresses des consuls étaient fort nombreuses et le plongeaient dans le plus grand doute quant à leur bienséance. Entre l'un d'eux qui arrive en retard et en fanfare, un autre qui casse le mobilier pour cinq secondes d'attention et... la moitié de l'assemblée qui s'amusait à monter sur la scène pour donner son avis.
Que ne comprenaient-ils pas ? Seul l'auteur de la proposition devait être au centre du Sénat !
Le forgeron donna un avis... tout aussi intéressant que préoccupant... mais cela, Genesis y reviendrait plus tard, quelque peu... agacé par la tendance qu'avait le forgeron de toujours clôturer son avis sur une nouvelle proposition. Le Consulat ne pouvait décemment pas commencer à parler des mercenaires sans avoir fini de parler d'Ariez.
« L'avantage des arts, si je puis me permettre, nous donne une quelque sûreté du moins pour l'instant. C'est une expression grossière, mais le développement d'un art est très souvent lié à la paix. »
Genesis avait simplement acquiescé au bon mot de Sauron... Ce n'était certes pas l'heure de se forger un avis sur un consul mais jusqu'ici, le tragédien n'avait pas réussi à s'en faire un. Toutefois, il était à ce point d'accord avec le tacticien qu'il avait lui-même dit à Ariez, lors de la réunion des boss, ces mêmes mots... craignant pour les arts si jamais le Consulat acceptait cette trêve, ou même subissait la domination de la Coalition noire.
Mais si le discours de Sauron pouvait être décrit en un mot, ce serait sans doute "prudence". Ses conseils étaient si prudents qu'ils en étaient... parfaitement exaspérant. Genesis n'était pas le plus irréfléchi des hommes. Certes il avait une passion dévorante mais il était aussi doté d'une intelligence dont il était fier... et pourtant, cette passivité que proposait Sauron, ces mesures de précaution et cette attitude du vaincu n'arrivaient qu'à le faire bouillir de l'intérieur.
Il comprenait ce dernier et savait que son avis était partagé par un bon nombre de consuls... Néanmoins il n'était pas homme à attendre que la première pierre soit jetée depuis l'autre camp. La responsabilité, il la prenait... Si tout le monde craignait la rupture de la trêve par une coalition noire trop sournoise, Genesis ne pouvait qu'être d'accord avec Chen... Qu'ils n'attendent pas d'être attaqués pour attaquer la Coalition noire.
Genesis aurait aimé que pour une fois, les consuls se mettent en tête que face à tous ces groupes, le Consulat devait être conquérant. L'Harmonie des mondes ne serait possible qu'avec le Consulat au pouvoir. Aussi tous, lumière, mercenaires, coalition noire... finiront par disparaître d'eux-même ou d'une aide extérieure.
Cela... Learn l'avait dit fort bien. Genesis se doutait que Sauron estimait aussi la prise de position incontournable, néanmoins, et c'est ce qui déplut principalement au Tragédien, il présenta la situation comme si elle fut très simple. Mais comme le soutint l'historienne, les attaques pouvaient, de toutes façons, provenir de tous les côtés. A aucun moment Genesis ne proposait d'éteindre la vigilance du Consulat envers la Coalition noire. Chen fut... sur ce point... totalement juste. Il envisageait cette trêve comme un gain de temps, un ennemi à oublier l'espace de quelques semaines, voir quelques jours... et c'était exactement ce dont il s'agissait. La Coalition noire et le Consulat voulaient la même chose, bien que leurs moyens et les nuances rendaient la fin fort différente en fonction du camp... Ils désiraient ou devaient conquérir et seraient indubitablement amenés à s'affronter un jour pour cette conquête. Aucun des deux camps n'imaginait sérieusement cette trêve durer.
Genesis posa une main sur son lutrin et regarda les consuls, l'air soucieux.
" Pour répondre à votre interrogation, Sauron, je me contenterai de me répéter. Je me porte garant de la fidélité qui nous lie à présent au Sanctum, et cela tant que Angeal Hewley y agit en tant que Primarque. C'est là la seule certitude de ma part que vous pouvez espérer quant aux dangers que représenterait éventuellement le Sanctum. Je ne prétends aucunement que ce dernier ne va pas s'allier à la lumière contre et uniquement contre la Coalition noire... Mais ce que je peux affirmer, c'est qu'il ne se dressera pas contre nous. "
C'était... totalement personnel. Il s'attendait déjà à un regard noir de la part de la fille de Clio pour cette démonstration d'amour fraternel... mais quoi qu'il en soit, qu'importe son rôle de porte-parole, il défendait corps et âme ce qu'il savait être les plus grandes vertus de son meilleur ami.
" Puisque l'on parle des autres groupes... Voici mon avis sur les mercenaires, maître forgeron. Je pense que nous pouvons envisager, non pas une alliance, mais leurs services... Nous en avons les moyens et ils ne pourront pas être de trop, je pense, quel que soit le déroulement de la guerre. Néanmoins, et c'est ici que je rejoins Learn... nous ne pouvons fonder notre stratégie sur eux. Premièrement parce que... et je demande pardon au préalable amis des mercenaires pour la dureté de mes maux... ils sont par essence les intervenants les plus corruptibles de tous. Comme l'a soutenu ma soeur précédemment, nous avons beau être une nation riche... nous ne pouvons nous permettre des mois de mercenariats. Deuxièmement et surtout, je trouve risqué de coopérer longtemps avec le Centurio. Je ne porte aucun jugement sur ce groupe mais... qu'importe le prix que nous y mettrons, ils ne seront pas toujours nos alliés. Si nous affichons devant eux certaines de nos faiblesses, nous prenons le risque qu'un jour ou l'autre, ils soient menaçants. "
Le tragédien baissa dès lors les yeux sur son lutrin et ses notes sur lesquelles il avait écrit les arguments des différents consuls sur la question de la Coalition noire, pendant leurs discours.
" J'aimerais préciser certaines choses sur cette trêve. Quelques-uns d'entre vous me répondent comme si j'avais parlé d'une alliance. A cela je dis non. Le Consulat ne s'alliera jamais à un groupe conquérant, à un groupe coupable d'avoir tué des civils, des artistes, à un groupe nous ayant lourdement attaqué par le passé. Et lorsque je mourrai, je compte sur mon successeur à la charge de porte-parole pour vous mettre en garde tout comme je le fais aujourd'hui sur les dangers que représente la Coalition noire. Aujourd'hui, je ne vous parle pas de relâcher notre vigilance, de considérer Ariez comme inoffensive... Croyez-moi j'ai rencontré la Princesse Ariez et j'ai assisté à son attentat envers la vie de chacun des boss et de leurs compagnons, ainsi qu'envers celle de notre soeur, Rivy... Cette même tentative d'assassinat qu'elle fit, et je n'exagère pas un instant, juste après m'avoir parlé de cette trêve. Si j'ai bien compris une chose sur la Coalition noire et la personne qui la dirige, c'est qu'elle est devenue imprévisible. "
Certes il était déjà adulte lorsque tour à tour, Konstantine, Xehanort et le Modéré noir avaient dirigé la Coalition noire, mais de cette époque, il n'avait vraiment assisté qu'au pouvoir du Modéré noir... qui était certes celui qui a fait de la Coalition noire une incroyable tyrannie, mais qui se révélait, dit-on, fort simple comparé à l'excentricité de la Princesse Ariez.
" C'est donc pour la raison du tempérament d'Ariez que je veux vous prévenir. Lorsqu'elle m'a proposé cette trêve, je pense qu'elle était sincère. Mais si nous allons demain au quartier-général de la Coalition noire, si et seulement si vous acceptez ma proposition, et que nous rappelons à Ariez cette idée qu'elle nous a soumise lors de la réunion avec l'intention d'accepter. Il y a toujours des chances pour qu'elle refuse alors que la situation entre nos deux groupes n'a absolument pas changé depuis la nuit de la réunion. "
En quelque sorte, c'est comme s'il l'avait traîtée de folle publiquement... et cela aurait pu être insultant si Genesis n'eut pas été aussi certain de la fierté qu'Ariez avait pour son légendaire impondérabilité.
" Une troisième chose, précision concernant cette trêve... Et c'est à titre informatif, comme me l'avait précisé Ariez, que je vous le dis et non pour vous influencer. La Coalition noire semblait disposée, lors de la réunion, à faire un geste pour prouver sa bonne volonté, si nous acceptions cette trêve. Nous aurions la possibilité de pénétrer dans le Royaume de la Coalition noire et de recruter des artistes pour qu'ils deviennent consuls, ici, pourvu que nous ne touchions pas aux membres de la Coalition noire. "
Un sourire gêné apparut sur les lèvres de Genesis. Il pouvait être très capricieux lorsqu'il recrutait un consul, principalement quand elle était une jolie femme mais... il n'était pas tout à fait certain de vouloir accueillir comme un frère ou une soeur un membre de la Coalition noire.
Genesis voulut à ce moment-là répondre au dernier consul s'étant exprimé, n'ayant pourtant rien dit jusque-là.
" Si... si nous sommes en guerre contre la lumière et que nous devons proposer cette trêve à Ariez, cela se fera en personne. Je doute qu'elle accepte de discuter longuement de la chose et... croyez bien qu'elle refusera directement cette trêve si nous devons lui demander de proposer ses arguments et ses termes à l'assemblée toute entière. Vous devez tous comprendre qu'aux yeux de la Coalition noire, nous tiendrons une position de faiblesse... Et soyez sûrs que ce n'est pas si mal. Cela fait des années que le Consulat est relégué au titre de groupe neutre, pas suffisamment important pour que la lumière ou la coalition noire étudient nos convictions... Et ce désintérêt des deux grands camps de cette guerre envers nous nous a parfaitement réussi. Nous sommes devenus forts, riches. Nous avons de nombreux alliés et ne sommes détestés d'aucun monde. Si la Coalition noire nous propose une trêve, c'est qu'elle ne se méfie pas assez de nous, c'est un fait. Autant profiter de cet état... et pour cela, nous devrons avoir l'intelligence de nous montrer méfiant envers Ariez. Méfiants et craintifs. Elle doit comprendre que si nous nous tournons vers ce cessez-le-feu, c'est parce que nous y sommes obligés. Là seulement et si nos exigences ne sont pas trop grandes, notre position dans cette trêve sera intéressante. "
Ce n'était... qu'un point de vue. Il était certain que de nombreux consuls ne seraient pas d'accord avec son interprétation des faits. Mais pour avoir rencontré Ariez, il savait qu'elle serait conquise si elle voyait à quel point les consuls comptaient sur cette trêve. Qui plus est, il y avait un élément qui devrait faire tenir cette trêve quelques temps : un ennemi commun. Certes la proposition sur la capture de Roxas n'avait pas encore été votée, mais si celle-ci était approuvée et que la lumière refusait de livre l'assassin... La Coalition noire et le Consulat se retrouveraient avec le même ennemi.
" Je vous propose... d'émettre vos derniers commentaires sur le champ, de tenter de convaincre vos frères et soeurs une ultime fois, avant que nous ne passions au vote des deux propositions. "
Et il resta ainsi face à son lutrin, le regard balayant l'assemblée et le visage dorénavant neutre. Les consuls, pour la plupart, discutaient dorénavant entre eux. S'il y avait une bonne chose à tirer de cette discussion, c'est le sérieux des Consuls dans la tâche. Il ignorait si son long discours avait eu raison de leurs convictions, bien qu'il avait tenté, non pas de réellement donner son avis mais de clarifier certains points... mais quoi qu'il en soit, la question n'était évidente pour personne.
Ainsi quelques minutes Genesis laissa les consuls parler entre eux, attendant mais en vain, une objection plus publique. Non visiblement, chacun voulait voter puisque chacun... avait déjà pris sa décision sur la question. Et une petite boule dans le ventre, effrayé par la trop bonne conscience et la peur des Consuls, il fut bien forcé de reprendre le débat.
" D'accord... Passons aux votes. Pour la première proposition, que des représentants du Consulat partent au plus tôt quérir Roxas à la lumière pour l'abattre ici, et qu'en cas de refus, la guerre soit déclarée avec la lumière. Si vous l'acceptez, pancarte verte. Si vous refusez, pancarte rouge. "
Des pancartes se levèrent dans la salle, bien sûr, tandis que le Mathématicien en charge de compter les votes rejoignit Genesis au centre de l'arène. Genesis quant à lui, vota bien sûr vert.
" Pour la deuxième proposition, pour que, en cas de guerre contre la lumière, le Consulat signe un pacte de non-agression avec la Coalition noire, votez vert pour oui et rouge pour non. "
Une nouvelle fois, Genesis leva sa pancarte verte.