« Mes amis, chers consuls… »

Son regard se détacha de sa feuille de note, tandis qu’il dévoila son visage à l’immense assemblée devant lui, un visage changé. Il y avait un contraste qui sautait aux yeux, s’était-il dit plus tôt en se regardant dans la glace comme il le faisait frénétiquement depuis quelques jours, écarquillant ses paupières de ses doigts et fixant ses propres yeux. Genesis était pâle… néanmoins il avait un sourire en coin, un sourire dont il ne pouvait se détacher. Il était fier de lui, très fier de sa tâche accomplie.

« Chers habitants de la cité des rêves… »

Dans la nuit, cette foule compacte le regardait ou plutôt regardait dans sa direction. Chacun profitait des dernières minutes à sa disposition pour deviner ce qui se cachait derrière Genesis, cette masse incroyable et à la forme si particulière, ce bâtiment encore masqué par d’épais rideaux. L’écoutaient-ils seulement ? A vrai dire, peu importe, tout ce qui comptait à ses yeux, c’est que son présent plaise.
Depuis des années, il travaillait sur ce projet, avait réussi à imposer le mystère à neuf dixième du Consulat et au reste du monde, le mystère de cette masse informe.
Si l’univers devait retenir une chose de la corneille, ce serait celle-ci, il le souhaitait. Autrefois, la gloire, la vengeance le motivaient tandis qu’à présent,  « ceci » suffisait amplement. Le tragédien regarda distraitement quelques consuls, puisque la plupart était là, il y avait tenu… La recherche de la gloire et de la vengeance l’avaient quitté, vous ai-je dit, certes… mais il gardait son orgueil. Distinguer le géant, Ulthane ou les colossaux Ghagull et Chen, était chose facile… et bien sûr Mizore était à quelques mètres de lui, quelque peu ennuyée d’avoir du se déplacer. Soit, il s’en ficha !


« C’est pour les nuits sombres qui viennent, les morts et les tourments qui nous feront chanceler… C’est pour tous les doutes qui nous accablent, qui nous divisent, que j’inaugure l’ambassade du Consulat, notre siège dans votre ville et pour votre ville, pour qu’on n’oublie jamais la splendeur de votre ville de lumière. »

Les rideaux tombèrent, dévoilant l’imposant et magnifique édifice. La foule applaudit aussitôt.

« Le Moulin Rouge. »

Le moulin était composé de ce bois qu’on ne trouvait qu’en terre des dragons, ce bois dont on dit qu’il ne craint pas le feu, et pour lequel Ezechiel, le précédent élu de Clio, avait combattu…  La peinture rouge avait été ramenée par Ukiyo, oui, cet homme que Genesis avait appelé « ami » et qu’à présent il haïssait.  
Deux jeunes hommes en costume trois pièces, élégants et immobiles, tenaient les portes derrière Genesis. Ce dernier reprit la parole, gardant le sourire, une main présentant le moulin, éclairé par de somptueuses lumières, innombrables, décorant les ailes du moulin, son toit et ses façades.


« Une ambassade, oui ! Mais nous sommes consuls, diable… Nous ne sommes ni des militaires, ni des bureaucrates, ni même des politiciens. Nous sommes les serviteurs des Muses… et nous vous offrons un spectacle, un cabaret ! A l’intérieur de ces murs, vous ne verrez pas de simples danseuses… Ce sont des danseuses de chaque pays, les plus grandes merveilles de notre univers, touchées par la grâce des Muses. »

Il fit un signe à quelques personnes, un signe poli et un joli sourire pour les convier à venir à ses côtés. Dans cette soirée assez froide, où le vent était fort, cela donnait le plus bel effet aux ailes du moulin qui tournaient paisiblement. La toile de ces ailes n’était pas du vulgaire tissu, elle avait une grande histoire ! Rin Okumura, cuisinier du consulat, avait volé celle-ci à un des neuf seigneurs pirates de Port Royal. Et ce qui faisait tourner les ailes du moulin, ce qui donnait l’énergie suffisante à l’édifice tout entier, c’était cette pierre de lune, une source d’énergie incroyable, qu’avait trouvée Natalia et pour laquelle, il s’en souvenait encore, elle avait du se battre avec un Bobo plus féroce.
Oui la pierre de lune posait un véritable problème à l’état brut… et pour contrôler cette puissance, il fallait la meilleure des machines, un moteur des plus onéreux. Comme vous le savez, le Consulat est riche… et il n’allait pas le rester très longtemps, s’il avait du acheter ce moteur. Aussi un de ses consuls avait volé un exemplaire de ce moteur à la lumière, leur privant de cette machine somptueuse qui fait leur hangar gummies.


« Laissez-moi remercier et vous présenter ces personnes sans qui je n’y serais pas parvenu. Mlle Gilmore, notre architecte d’intérieur qui a magnifiquement aménagé les lieux. »

La vieille dame avait beau rayonner d’allure, elle était plus froide que la mort.

« Dame Rivy, la fille de Terpsychore, qui a entraîné jour après jour depuis le début les cinquante magnifiques danseuses du Moulin rouge, qui vous plairont, j’en suis certain. »

Rivy s’inclina joliment, dans sa belle robe et sans chaussure. Rivy avait beau ne pas avoir grandi avec les gitans comme Mila – que Genesis ne voyait pas dans la foule – elle était adorée des bohémiens et absolument adulée des enfants, passant le plus clair de son temps avec eux. En plus d’être une très jolie jeune femme, elle était d’une gentillesse que Genesis avait voulu mettre en avant lors de la réunion des boss.

« Mme Eudora qui a dessiné les robes de chacune des danseuses, malgré ses délais trop courts, merci à vous…
Et je voudrais féliciter bien sûr tous les consuls qui ont participé à cette entreprise. A présent, je vous en prie, entrez tous. C’est beaucoup plus grand à l’intérieur que d’apparence… et une grande fête vous attend, comme chaque soir. »


Il invita la foule à s’avancer et à entrer dans le moulin rouge. Était-ce leur joie ou sa propre excitation qu’il ressentait ? Il n’aurait su dire. Avant que les consuls, citoyens de toutes sortes et même étrangers n’entrent, trois fées surgirent des portes du Moulin rouge, approchèrent des invités en volant légèrement, de façon à ce que chacun puisse les voir. Il y eut, au plaisir de Genesis, des cris de surprise, avant que les fées n’invitent dans le silence le plus merveilleux le peuple à les suivre. Nul ne les trouverait horribles mais peu de ces gens avaient déjà aperçu des créatures aussi exceptionnelles que des fées, des centaures, et des nymphes .
Cette œuvre lui avait pris des années, et à présent il la présentait au monde. C’était une ambassade, un cabaret, un spectacle ouvert chaque soirée, un spectacle unique et vivant… La capitale des danses, musiques et passion. Bien sûr, ce soir-là était gratuit,  ce soir-là se prolongerait dans la nuit et la fête agiterait la tranquillité de ce monde jusqu’au matin. S’il existe un type de beauté chez les mortels, il est désormais là, dans le Moulin rouge.



Il entra avec ses invités tandis que l’orchestre démarrait en même temps que les filles. Les lumières et projecteurs animaient l’immense pièce principale, dévoilaient la beauté du lieu. Bien sûr il y avait une gigantesque scène et d’autres plus petites, une piste de danse où se ruaient déjà les danseuses, mais l’endroit était surtout étonnamment confortable. Contre les murs il y avait des séries de tables plus isolées, gardant tout de même un très bon point de vue sur les scènes, et les fauteuils aux couleurs du Consulat étaient en abondance, disposés intelligemment dans la salle et dans tout le bâtiment.
Il était confiant pour chacune des danseuses. Toutes n’étaient pas aussi jolies que Hippé, la grecque, toutes n’avaient pas le talent et la grâce de Mina, la ballerine. Mais elles avaient chacune de grandes qualités. Natalia, Ulthane, Chen, Mila… avaient tous noté certains talents. Certaines étaient des chanteuses d’un talent… absolument inouï, capables, selon eux, de suivre Mizore dans chacune de ses notes. Lanïa était de loin la plus douée de toutes.  Dans le premier numéro dont la musique continuait encore, peu de chant… et quand bien même, Lanïa, comme plusieurs de ses camarades, devait être en train de se préparer à toute allure.

Il s’arrêta de marcher, remarquant que la foule s’était dispersée… Enfin « dispersée »… Disons qu’un très grand groupe restait collé l’un à l’autre et collé à un Aquarium… se demandant sûrement ce que diable faisait cet aquarium et pourquoi il était aussi imposant.

Oh pour être imposant, il l’était… Ghagull et d’autres avaient tout prévu. L’aquarium parcourait  plusieurs étages, touchait même les pièces du sous-sol, aussi prévues pour la fête, bien entendu… et dessinait un parcours immense et large (en hauteur, l’aquarium formait des tunnels très larges, puisqu’ils n’avaient aucune chance de gêner quiconque. Ces tunnels suspendus faisaient d’ailleurs partie d’un grand numéro, prévu pour plus tard.

Continuant à regarder l’aquarium que les spectateurs fixait, il émit un rire discret quand ils sursautèrent comme un seul homme en voyant surgir des profondeurs une sirène, remontant les tunnels, traversant la pièce à vive allure, au-dessus de ces centaines de fans, découvrant aujourd’hui la beauté d’une sirène. Le Tragédien avait beau… adorer les sirènes… il n’était jamais allé à Atlantica, et ce spectacle l’enchantait tout autant.

Sur la scène dansaient les gitanes, les stars de Just Dance, ainsi que Barbie et Dolly. Tandis que sur la piste, dansaient avec les citoyens et consuls, les trois jeunes voleuses d’Agrabah, les Grecques, la jeune Persane, Atossa, ainsi que quelques-unes des « anciennes filles » de Luxord.

Les geishas, les centaures, ainsi que nombreuses des autres danseuses attendaient le public dans d’autres pièces à d’autres étages.

Et c’était parfait. Et il n’avait nul doute sur l’efficacité des danseuses au sous-sol et aux étages… et elles étaient en sûreté, ce soir. Il y avait bien assez de consuls, et lui-même était présent… de plus pour la plupart des recruteurs, ils s’étaient attachés aux danseuses qu’ils avaient convaincues de rejoindre le Consulat. Finalement, il se fiait à Kimahri pour qu’elles soient toujours sauves.

La cité des rêves avait son ambassade… Il ne manquait plus que l’ambassadeur. En attendant, la fête continuait.



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