Elle ne s’était que très rarement aventurée dans ces environs. Sans regretter, elle eut tout de même l’impression d’avoir ignoré trop longtemps le plus lancinant aspect de son travail. Ordonner des gardes, les entraîner… être dans cette relation hiérarchique, respectueuse mais réglée. Ressentir une fierté lorsqu’on découvre différent, le lendemain d’un lendemain, l’attitude et la maturité d’un gamin… qu’on se décide enfin à appeler homme. Ces sentiments, elle les connaissait. Sa charge de garde était faite avec son investissement et ses émotions…
Ainsi, elle devait supporter une réalité plus dure et pourtant si évidente : c’est pour la guerre que ces gardes sont formés, et à une guerre beaucoup ne survivent pas.

En-dehors du château, à l’est de ce dernier, au bout d’une clairière verte, cela même en hiver… siégeait sans gardien un cimetière qui un mois plus tôt était moitié moins peuplé. Seule une quinzaine de stèles étaient disposées.

Durant l’attaque de « la » femme, cette horrible araignée, une dizaine de très bons gardes avaient perdu la vie… Avant cela, rien, trois années de survie, trois années sans accident durant lesquelles ses seules pertes n’étaient en fait que des abandons de jeunes soldats voulant quitter la garde. Aucun mort, et si brusque, cette magicienne si abjecte avait rompu cette harmonie.

Elle lut tour à tour le nom de ses hommes morts au combat. Strago, Kendos, Tristan, Jeremy, Dessy… les cinq gardes qui gardaient la pierre angulaire de la lumière et qui sont morts en la défendant… De ces cinq là, elle gardait des souvenirs très nets de Tristan, qu’elle connaissait davantage que les quatre autres. Il faisait partie de la bande du lieutenant Fiona, sa seconde, et grâce à qui elle avait quelques contacts moins… officiels… avec un petit nombre de ses gardes.

Et Strago, Ravness serait incapable d’oublier sa mort. Elle avait tenu sa main dans son dernier souffle, et elle lui avait souri, fière de lui, simplement.

Un souvenir en appelant un autre, elle en vint à se remémorer les paroles nébuleuses de ce shaman qu’elle avait rencontré aux côtés du Seigneur Arthas de Menethil : « Bientôt, votre monde s’effondrera ». Était-ce l’écho de sa prophétie ? Parlait-il de l’attaque d’Arachné ? Savait-il seulement ?

Il y avait dans le cimetière deux cénotaphes… l’un assez imposant et beau, tandis que l’autre se voulait presque aussi simple qu’une pierre tombale. Bien sûr la première s’adressait à la mémoire du preux Alexander. Le deuxième monument rappelait l’acte et le sacrifice de Nirid, au côté duquel elle combattit lors de sa dernière bataille.
D’autres tombes rappelaient des guerriers morts… Stronghelm, notamment.
Enfin elle retrouva les pierres tombales destinées aux cinq autres gardes morts : Braives, Samar, Kurst, Mirza et Letawe.

Ravness partit finalement après s’être recueillie, et tandis qu’elle jetait un regard sur Disneyville, la ville totalement close depuis des années, elle surprit l’arrivée d’une pluie légère, pour laquelle elle pressa le pas.

Son retour dans le château se fit dans le silence et la pensée pour les morts. Et cette promenade ne s’interrompit pas, jusqu’à ce qu’elle entre dans les jardins, près des bosquets taillés en la forme d’un château, où elle surprit un chien errer dans le parc… animal qu’elle n’avait jamais vu auparavant.
Elle hésita un instant, voulant éviter l’averse, mais décida de craquer pour l’husky qui… ne semblait pas l’attendre, mais soit.

Ravness marcha jusqu’à lui, adressa son plus affectueux sourire (car elle est en effet capable de sourire) à l’animal, se mit accroupi devant lui et s’empara de sa gueule avec ses deux mains. Ses doigts parcoururent les joues du chien avant de flatter son cou d’une main et puis de l’autre.


« Quel loup féroce ! », dit-elle en souriant.