- « Genesis ? »
Aucune réaction. Le consul avait les yeux rivés sur l’objet, ne trahissant pas son émotion. On pouvait tout juste comprendre, et c’était plutôt facile, qu’il réfléchissait. Cette maison… où l’avait-il vue auparavant ? Elle était trop familière pour être d’un autre monde, Genesis connaissait trop bien son monde natal pour en douter… mais où se trouvait-elle ?
C’était… une peinture. Une belle peinture, bien qu’elle ne s’embarrassât pas de cacher le moindre symbole… Était peinte une maison comme les paysages l’étaient… d’une façon réaliste, exacte. Il y avait un bon nombre de peintres au Consulat. Mais un seul avait pu faire celle-là, et la signature en témoignait.
« Genesis ?! »
Il tourna vivement sa tête vers son collègue, un poète… Ce dernier le dévisageait, soucieux.
« Il y a un problème ? »
« Je n’en suis pas sûr… Je crois, oui. »
Il regarda la peinture… ainsi que le mot du peintre à son égard, et retint le moindre détail avant de déposer l’œuvre sinistre.
« Venez. »
Et il s’en alla, quittant en un éclair le sommet des arts, sans s’embarrasser de salutations envers d’autres consuls qui croisaient sa route. Ses sourcils étaient froncés, ses yeux baissés. Sa marche était rapide et suivie du poète qui devait être dans l’incompréhension la plus totale.
Et alors qu’il devait se concentrer pour garder l’image de la maison en mémoire, une chose restait sans mal gravée au plus profond de la pierre angulaire de son esprit : cette signature, les mots du peintre des rêves. Cet homme d’apparence si doux, de caractère solitaire. Genesis l’avait toujours considéré comme un amoureux du ciel, de la mer et de la nature, multipliant les peintures de paysage, adorant sa déesse soleil. Il lui connaissait cette proximité avec cette religion orientale… Quel rapport avec tout cela ? Il n’en savait rien… mais il se passait quelque chose et Genesis avait un pressentiment glacial.
« Genesis, expliquez-moi ! »
« C’est Ukiyo. Il m’a fait remettre cette peinture que vous avez vue, et qui décrit une maison un peu isolée du Jardin Radieux. »
« Et alors ? »
« Pour l’instant, je n’en sais pas plus que vous. »
Il ne s’en rendait pas compte mais sa marche s’accélérait au fur et à mesure des minutes. Le consul avait désormais du mal à le suivre…
Quelques minutes plus tard, il en était à courir, avec sa crainte grandissante.
« C’est cette maison ? »
Genesis acquiesça. Il recommença à marcher, presque trop lentement. Une maison d’apparence très tranquille, isolée. La revoir ainsi alors que quelques minutes plus tôt, elle était en peinture, fidèlement reconstruite, presque trompeuse… était étrange.
Il s’approcha de la porte d’entrée, posa sa main gantée sur la poignée, et la tourna, la porte accompagnant son geste d’un grincement. Le poète à sa suite, réagit au quart de tour quand il entra dans la pièce. Ses yeux exorbités, sa bouche entre-ouverte, ses membres semblant l’abandonner, tremblant violemment.
« Ukiyo a fait ça ? »
Le Tragédien compta… neuf corps. Une mort différente pour chacun, des personnes qui n’avaient rien à voir les uns avec les autres, de toute apparence… Un seul point commun : la souffrance dans leur mort. Certaines scènes furent sans doute abominablement cruelles.
Morts de la veille, ces malchanceux torturés pour une raison inconnue. Leur sang n’était pas encore séché, s’engouffrant dans les irrégularités du sol, coulant jusqu’aux bottes de Genesis. Le visage de ce dernier avait sa tristesse habituelle, en ces moments de trouble… Mais alors que l’autre consul se retenait difficilement de vomir, lui ne voyait déjà plus rien. Il ne pensait plus qu’à Ukiyo.
« Oui. Une mise en scène de mauvais goût… »
Il fallait être du Consulat pour devenir fou d’une façon aussi sophistiquée, visiblement. Ukiyo était parti, avait fui avant d’être pourchassé… C’était évident. Une seule chose échappait désormais au Tragédien. La raison de tout cela, à vrai dire, l’importait mais ne lui était pas primordiale. Sa préoccupation, bien que de semblance risible, se portait sur l’art.
A quel moment Ukiyo avait-il cessé d’être un artiste, pour être capable d’une chose pareille ? Tuer est une chose… logique en temps de guerre et de conquête. Certains facteurs doivent être éliminés, bien que cela soit malheureux, pour l’accomplissement d’une quête.
Même la torture avait son sens, bien qu’entachant la Beauté que défendait les Consuls…
Mais détruire pour détruire… tuer pour tuer… torturer pour torturer… sont des crimes inenvisageables pour un artiste. Et l’Art, c’est le Consulat.
Les yeux du consul semblèrent changer, devenir menaçants… La haine s’emparait de ses iris comme le feu d’une forêt.
« Il sera chassé pour ces crimes. Et quelle que soit sa vraie nature, je jure qu’Ukiyo recevra la peine qu’il mérite… Le Consulat apprendra à ce blanc-bec qu’on ne crache pas impunément sur les neuf Muses ! »