Près des étoiles
Je lis sans arrêt depuis deux jours. Dans la pénombre de mes quartiers au Champ des bardes, je ne fais que ça. Je lis, je relis, je m’émerveille, je suis déçu. J’apprends à connaître les protagonistes, j’apprends à les apprécier, à les détester puis, au terme des fables, à les regretter. Je lis. À vrai dire, je n’ai jamais pris le temps, dans le passé, de lire, trop concentré par mes propres mots. Pourtant, ceux des autres sont si différents des miens, si grandioses. À chaque ligne, je suis comme un enfant abasourdi par la beauté d’un rien. À chaque fois, je suis de plus en plus submergé. Je me laisse emporter par les vagues lyriques des auteurs en refusant d’amarrer. Je suis en pleine dérive. Je suis bien.
Si je lis, pourtant, c’est plus que par simple plaisir personnel. En fait, je lis pour elle. Pour cette elle qui m’émerveille beaucoup plus que tous ces livres qui gisent à côté de moi. Je ne pourrais dire comment j’en suis arrivé là, mais j’y suis. Je ne pourrais pas non plus dire ce qui se passe, mais il se passe quelque chose. En moi, en elle, en nous. Je suis… Je suis incapable de ne pas penser à elle. Je suis incapable de lire une simple phrase dans un bouquin sans la comparer à son existence et à ce qu’elle est. Elle est comme une curiosité que je ne parviens jamais à assouvir.
Je ne pourrais expliquer tout ce qui bouscule en moi. Des sentiments étranges, des désirs que je n’avais jamais côtoyés, des envies que je ne connaissais pas. Tout ce que je sais, c’est qu’elle m’attise, qu’elle m’attire, qu’elle me captive. Dans un conte que j’ai lu et relu, le personnage principal comparait celle qu’il aimait à la gravité. Il disait que peu importe la distance qui les séparerait, peu importe comment haut il bondirait, il finirait toujours par revenir vers elle, incité par quelque chose de plus grand que lui. C’est un peu ce qui se passe avec moi. J’ai beau tenter d’écrire ou de faire autre chose, mais je finis par me dire que je n’ai pas envie de faire autre chose. J’ai l’impression d’avoir besoin de penser à elle… C’est une curieuse émotion.
Je lis donc pour elle. Je lis parce que j’ai compris, au bout de quelques autres rencontres, qu’elle a un quelque chose de plus que j’apprécie. Elle est un peu comme l’écriture… Un quelque chose qui me plait et qui me rend heureux sans que j’en sache véritablement la raison.
Je divague. C’en est ridicule. Mes pensées se décousent au fur et à mesure que je pense. Ainsi je lis. Je lis toute sorte d’histoires, de fables et de récits parce que j’ai décidé que je devais l’inviter quelque part. Je dois, une fois pour toutes, savoir ce qui se passe et savoir pourquoi ma respiration se coupe tant quand je suis près d’elle. Pourtant, alors que je pourrais me contenter d’un café au coin d’une table ou d’un repas au clair de lune, je suis perplexe. Je crois qu’elle mérite plus que ça, plus qu’une simple banalité qu’elle finira par oublier. Au fond, est-ce que je suis sur le point de poser un geste purement égoïste? J’ai l’impression que je ne veux pas qu’elle m’oublie… Je ne comprends pas. Je ne me comprends pas.
Je lis… Je finirai par en venir à ce que je veux dire. Je lis parce que je veux trouver une idée à sa hauteur, mais je ne connais rien de ce monde, rien des aspirations des femmes, rien de ce qui les rend triste, de ce qui les enivre, de ce qui les inspire. La seule solution que j’ai trouvée est la littérature, dans laquelle on rencontre une myriade de personnages en quête d’amour, en manque de passion et en chagrin d’intérêt. Peut-être que dans l’un de ces livres se trouve la réponse à ma question?
Je continue de lire, donc, c’est tout ce que je peux faire. J’ouvre un nouveau livre, j’en lis les idées principales, je le referme. Mes yeux s’illuminent. Je laisse apparaître un large sourire sur mes lèvres. Je m’habille le plus rapidement possible, je traverse la ville à toute vitesse, je bouscule les passants, j’entre dans une boutique. Je me procure quelques vêtements, rapidement, je les revêtis. Un t-shirt blanc, une chemise à capuchon noir, un nœud papillon de la même couleur. Je suis prêt. Je crois que je le suis. Je sens que je le suis. Suis-je prêt? Je n’en sais rien, mais je fonce comme si je l’étais.
Je traverse l’autre partie de la ville et je me dirige vers les logements du Consulat avec une aisance particulière. Je connais le trajet par cœur. Je l’ai traversé et franchi tant de fois. J’ai rebroussé chemin tant de fois, aussi… Cette fois-ci, je charge. Sans reculer. Sans arrêter. En moins de deux, j’atteins ma destination. Je me tiens à quelque pas de la marquise de sa demeure. Je scrute l’un des murs, en sachant pertinemment laquelle de toutes ces fenêtres mène à sa chambre. Je me souviens l'avoir vue à une ou deux reprises me quitter, s’estomper dans l’édifice et réapparaître comme une ombre dans au travers de cette vitre. En cette fin de journée, je verrai sa silhouette apparaître une fois de plus.
C’est étrange… Ce que je ressens, dans l’immédiat, ce n’est pas de l’anxiété, ni de l’angoisse. C’est un sentiment de curiosité si fort, si intense que j’en perds tous mes moyens.
Je prends mon courage à deux mains avant d’empoigner un morceau de parchemin et une plume sur laquelle j’écris ces mots : « Tout à coup, alors que le soleil était sur le point de se coucher et que de précieuses secondes filaient entre les doigts d’un jeune émerveillé, un dragon ébène aux multiples pétales de rose fendit les cieux pour lui venir en aide. » À l’instant où je mets le point final à la phrase, les nuages se regroupent pour ne former qu’une nuée grisâtre. Au même moment, un dragon d’une grandeur incroyable déchire le ciel. Recouvert de roses aux couleurs vivifiantes qui contrastent avec la noirceur de ses écailles, il atterrit avec légèreté. Machinalement, je lui demande d’aller se placer derrière le bâtiment en attendant que je le rappelle. Il s’exécute et plane jusqu’à sa destination.
Tout en tenant toujours ma bravoure, je prends quelques pierres sur le sol et, comme dans l’un des romans, je me mets à les lancer maladroitement sur la fenêtre de la chambre de Léa. Aucune réaction. Je n’aperçois aucun mouvement, aucune lumière, aucune ombre, rien. Je tente le coup de nouveau, cette fois-ci en balançant une plus grande quantité de cailloux. Vainement. Rien ne se passe. Je sais qu’elle est là, pourtant. Je sais. Dans un ultime espoir, je m’époumone donc :
« Léa! Je suis sur le porche de ta demeure et crois-moi, je ne partirai pas avant que tu descendes. »
D’où je suis, je crois voir une silhouette apparaître dans les ténèbres de sa chambre. Viscéralement, je m’approche un peu plus alors que la fenêtre s’ouvre. Je la reconnais. Elle me reconnait. Je décoche un sourire sans le vouloir. Je deviens inconditionnellement heureux. J'ai l'impression de gambader sur place.
« Je ne sais pas si tu avais quelque chose de prévu ce soir, mais il faudra annuler. Aujourd’hui, tu viens avec moi, et ce n’est pas une proposition. »
Je me mets à rire.
« Habille-toi chaudement, Léa. Je t’attends. »
Je lis sans arrêt depuis deux jours. Dans la pénombre de mes quartiers au Champ des bardes, je ne fais que ça. Je lis, je relis, je m’émerveille, je suis déçu. J’apprends à connaître les protagonistes, j’apprends à les apprécier, à les détester puis, au terme des fables, à les regretter. Je lis. À vrai dire, je n’ai jamais pris le temps, dans le passé, de lire, trop concentré par mes propres mots. Pourtant, ceux des autres sont si différents des miens, si grandioses. À chaque ligne, je suis comme un enfant abasourdi par la beauté d’un rien. À chaque fois, je suis de plus en plus submergé. Je me laisse emporter par les vagues lyriques des auteurs en refusant d’amarrer. Je suis en pleine dérive. Je suis bien.
Si je lis, pourtant, c’est plus que par simple plaisir personnel. En fait, je lis pour elle. Pour cette elle qui m’émerveille beaucoup plus que tous ces livres qui gisent à côté de moi. Je ne pourrais dire comment j’en suis arrivé là, mais j’y suis. Je ne pourrais pas non plus dire ce qui se passe, mais il se passe quelque chose. En moi, en elle, en nous. Je suis… Je suis incapable de ne pas penser à elle. Je suis incapable de lire une simple phrase dans un bouquin sans la comparer à son existence et à ce qu’elle est. Elle est comme une curiosité que je ne parviens jamais à assouvir.
Je ne pourrais expliquer tout ce qui bouscule en moi. Des sentiments étranges, des désirs que je n’avais jamais côtoyés, des envies que je ne connaissais pas. Tout ce que je sais, c’est qu’elle m’attise, qu’elle m’attire, qu’elle me captive. Dans un conte que j’ai lu et relu, le personnage principal comparait celle qu’il aimait à la gravité. Il disait que peu importe la distance qui les séparerait, peu importe comment haut il bondirait, il finirait toujours par revenir vers elle, incité par quelque chose de plus grand que lui. C’est un peu ce qui se passe avec moi. J’ai beau tenter d’écrire ou de faire autre chose, mais je finis par me dire que je n’ai pas envie de faire autre chose. J’ai l’impression d’avoir besoin de penser à elle… C’est une curieuse émotion.
Je lis donc pour elle. Je lis parce que j’ai compris, au bout de quelques autres rencontres, qu’elle a un quelque chose de plus que j’apprécie. Elle est un peu comme l’écriture… Un quelque chose qui me plait et qui me rend heureux sans que j’en sache véritablement la raison.
Je divague. C’en est ridicule. Mes pensées se décousent au fur et à mesure que je pense. Ainsi je lis. Je lis toute sorte d’histoires, de fables et de récits parce que j’ai décidé que je devais l’inviter quelque part. Je dois, une fois pour toutes, savoir ce qui se passe et savoir pourquoi ma respiration se coupe tant quand je suis près d’elle. Pourtant, alors que je pourrais me contenter d’un café au coin d’une table ou d’un repas au clair de lune, je suis perplexe. Je crois qu’elle mérite plus que ça, plus qu’une simple banalité qu’elle finira par oublier. Au fond, est-ce que je suis sur le point de poser un geste purement égoïste? J’ai l’impression que je ne veux pas qu’elle m’oublie… Je ne comprends pas. Je ne me comprends pas.
Je lis… Je finirai par en venir à ce que je veux dire. Je lis parce que je veux trouver une idée à sa hauteur, mais je ne connais rien de ce monde, rien des aspirations des femmes, rien de ce qui les rend triste, de ce qui les enivre, de ce qui les inspire. La seule solution que j’ai trouvée est la littérature, dans laquelle on rencontre une myriade de personnages en quête d’amour, en manque de passion et en chagrin d’intérêt. Peut-être que dans l’un de ces livres se trouve la réponse à ma question?
Je continue de lire, donc, c’est tout ce que je peux faire. J’ouvre un nouveau livre, j’en lis les idées principales, je le referme. Mes yeux s’illuminent. Je laisse apparaître un large sourire sur mes lèvres. Je m’habille le plus rapidement possible, je traverse la ville à toute vitesse, je bouscule les passants, j’entre dans une boutique. Je me procure quelques vêtements, rapidement, je les revêtis. Un t-shirt blanc, une chemise à capuchon noir, un nœud papillon de la même couleur. Je suis prêt. Je crois que je le suis. Je sens que je le suis. Suis-je prêt? Je n’en sais rien, mais je fonce comme si je l’étais.
Je traverse l’autre partie de la ville et je me dirige vers les logements du Consulat avec une aisance particulière. Je connais le trajet par cœur. Je l’ai traversé et franchi tant de fois. J’ai rebroussé chemin tant de fois, aussi… Cette fois-ci, je charge. Sans reculer. Sans arrêter. En moins de deux, j’atteins ma destination. Je me tiens à quelque pas de la marquise de sa demeure. Je scrute l’un des murs, en sachant pertinemment laquelle de toutes ces fenêtres mène à sa chambre. Je me souviens l'avoir vue à une ou deux reprises me quitter, s’estomper dans l’édifice et réapparaître comme une ombre dans au travers de cette vitre. En cette fin de journée, je verrai sa silhouette apparaître une fois de plus.
C’est étrange… Ce que je ressens, dans l’immédiat, ce n’est pas de l’anxiété, ni de l’angoisse. C’est un sentiment de curiosité si fort, si intense que j’en perds tous mes moyens.
Je prends mon courage à deux mains avant d’empoigner un morceau de parchemin et une plume sur laquelle j’écris ces mots : « Tout à coup, alors que le soleil était sur le point de se coucher et que de précieuses secondes filaient entre les doigts d’un jeune émerveillé, un dragon ébène aux multiples pétales de rose fendit les cieux pour lui venir en aide. » À l’instant où je mets le point final à la phrase, les nuages se regroupent pour ne former qu’une nuée grisâtre. Au même moment, un dragon d’une grandeur incroyable déchire le ciel. Recouvert de roses aux couleurs vivifiantes qui contrastent avec la noirceur de ses écailles, il atterrit avec légèreté. Machinalement, je lui demande d’aller se placer derrière le bâtiment en attendant que je le rappelle. Il s’exécute et plane jusqu’à sa destination.
Tout en tenant toujours ma bravoure, je prends quelques pierres sur le sol et, comme dans l’un des romans, je me mets à les lancer maladroitement sur la fenêtre de la chambre de Léa. Aucune réaction. Je n’aperçois aucun mouvement, aucune lumière, aucune ombre, rien. Je tente le coup de nouveau, cette fois-ci en balançant une plus grande quantité de cailloux. Vainement. Rien ne se passe. Je sais qu’elle est là, pourtant. Je sais. Dans un ultime espoir, je m’époumone donc :
« Léa! Je suis sur le porche de ta demeure et crois-moi, je ne partirai pas avant que tu descendes. »
D’où je suis, je crois voir une silhouette apparaître dans les ténèbres de sa chambre. Viscéralement, je m’approche un peu plus alors que la fenêtre s’ouvre. Je la reconnais. Elle me reconnait. Je décoche un sourire sans le vouloir. Je deviens inconditionnellement heureux. J'ai l'impression de gambader sur place.
« Je ne sais pas si tu avais quelque chose de prévu ce soir, mais il faudra annuler. Aujourd’hui, tu viens avec moi, et ce n’est pas une proposition. »
Je me mets à rire.
« Habille-toi chaudement, Léa. Je t’attends. »