Comme une pluie de diamants illuminant la ville dans la nuit naissante, une fine neige tombait sur le Jardin Radieux... Mila déambulait dans les rues, songeant qu'un an plus tôt, sous cette même neige, elle avait rencontré Genesis pour la première fois. Nostalgique, ses pas la conduisirent près de la terrasse de ce café où le Tragédien lui avait évité une chute fatale... Et lui avait donné une lueur d'espoir, une voix qui l'avait guidée dans les ténèbres de son coeur meurtri... La jeune femme s'approcha de ce muret de pierre, silencieuse, comme en recueillement. « J’aurais dû te laisser seule, minable et paumée… » Elle secoua la tête, tentant de chasser ce souvenir de son esprit. « J’aurais du te laisser tomber, car même si ton corps aurait été brisé, tout aurait été plus facile ! » Mila baissa la tête, les yeux clos... Une vague de tristesse l'envahit alors que le vent s'engouffrait sous sa capeline blanche, la glaçant aussi sûrement que l'avait fait les paroles de son tyran. Elle frotta doucement sa joue contre la fourrure d'hermine qui bordait sa cape, en quête d'un peu de chaleur. « Si le ciel est si beau, c’est parce que vous et moi ou même d’autres personnes savent apprécier sa beauté. » Levant les yeux vers le ciel, elle ne pouvait s'empêcher de se remémorer les mots de Genesis. Ils étaient imprégnés dans sa chair, dans sa tête, et, plus elle l'évitait, plus les souvenirs s'imposaient à son esprit comme pour lui rappeler qu'elle ne pouvait lui échapper. Depuis deux mois déjà, la consule faisait son possible pour ne pas rencontrer le tragédien. Elle ne sortait pratiquement que la nuit, évitait de prendre des missions, elle vivait presque comme une recluse, refusant de revoir cet homme qui la hantait. Depuis quelques temps, il y avait comme une ombre sur elle, comme si elle était observée constamment... Elle était mal à l'aise à toute heure du jour et de la nuit, ne pouvait plus dormir, elle traversait les jours le coeur écrasé par un étau d'angoisse et de colère... Et rien ne semblait pouvoir faire taire cette douleur sourde et omniprésente qui l'étreignait. Il avait dit qu'elle était différente, que la lumière et les ténèbres, c'était pour les autres... Mais ce soir-là, ces paroles sonnaient faux. Le clocher qui sonnait dix heures lui paraissait semblable à un glas, annonciateur fataliste d'une déchéance inévitable. Que pouvait-elle faire pour s'extirper de cette tragédie où elle s'était elle-même enfermée quand la seule chose qu'elle désirait plus que voir cet enfer se terminer... C'était de le revoir ? Mila ramena contre elle ses genoux qu'elle entoura de ses bras frêles. Sa peau se hérissait sous la morsure du froid, trop exposée dans sa petite robe de soie noire et ses bas couleur peau. Sa main glissa de ses genoux vers sa taille, effleurant de ses doigts gantés de blanc la ceinture surmontée d'un noeud sombre. Elle secoua la tête en fronçant le nez avant de se redresser vivement, laissant la marque de ses bottes fourrées dans la neige alors que sa chapka aux couleurs de sa capeline chutait à terre. Les mains sur les hanches, hochant la tête comme si elle se réprimandait mentalement, son collier sautoir en argent rebondissant contre sa poitrine, elle murmurait quelques paroles d'encouragement. Pensive, elle fixait le ciel d'un air concentré tandis que ses doigts trituraient le col claudine blanc de sa robe. « Demain, je règle ça avec lui. Cela ne peut plus durer. » murmura-t-elle pour elle-même d'un air décidé en ramassant sa chapka qu'elle posa de façon un peu mécanique sur ses longs cheveux noirs laissés libres. Elle tourna les talons et s'apprêtait à rentrer dans ses quartiers quand soudain, à quelques mètres d'elle, une silhouette qu'elle ne connaissait que trop bien se dessina. Genesis. Comment pouvait-il être encore plus beau que dans son souvenir...? On ne change pas de cette manière en si peu de temps... Il avait le regard teinté de cette tristesse, de cette souffrance qui l'attirait terriblement... Son manteau rouge se détachait dans les ténèbres nocturnes, il avait ce quelque chose de grandiose, elle n'avait jamais pu mettre le doigt dessus mais chaque pas qu'il faisait dans sa direction faisait battre son coeur plus vite. Et leurs regards se trouvèrent. Immobiles, à quelques pas l'un de l'autre, ils restèrent là, silencieux, pendant une seconde à peine. Mais aux yeux de Mila, ce laps de temps paraissait durer une éternité... Une éternité à le regarder. Un vague sourire s'esquissait sur le visage de la jeune femme, mais dans ses grands yeux bleus se dessinait le spectre du désespoir... Une angoisse si forte qu'elle en avait presque des hauts-le-corps. Sous l'effet de la panique, de la surprise, Mila ouvrit de grands yeux et prit ses jambes à son cou, laissant tomber de nouveau sa chapka sur la neige. Elle ne voulait pas se retourner, sachant pertinement qu'elle n'aurait pas la force de partir si elle croisait de nouveau son regard... |