- Le Tragédien entendit un bruit répétitif, puissant et terriblement gênant. Comme le tonnerre qui se serait acharné sur un arbre déjà mort. Genesis ouvrit les yeux et les fronça, énervé. Il se redressa, ignorant magnifiquement la présence derrière la porte de sa Tour et regarda à ses côtés, dans son grand lit. Mizore n'était pas là, c'était juste. C'était régulier et ils s'en plaignaient tous les deux... Mais quelques circonstances faisaient qu'ils ne pouvaient se voir aussi souvent qu'il l'eut voulu.
Il se leva et trop énervé par un réveil aussi brutal, ne s'habilla pas pour ouvrir... Il était torse nu avec un pantalon de pyjama noir, ses pieds nus heurtèrent le sol couvert d'un tapis, ses cheveux retombaient maladroitement sur ses yeux et son regard était fatigué. Il ne devait être que 6:00 mais le consul ne s'était pas couché tôt, pour la mission de Medusa, pour réfléchir à tout et pour tout remettre en question une dernière fois. Il ouvrit la porte de sa tour et laissa entrer le froid du vent d'un matin de Printemps frais qui le fit frissonner... Il y avait un homme, un garde de la Forteresse Oubliée qui était souvent de garde de nuit. Un homme mûr, à la barbe taillé, au regard solitaire.
« Qu'y a-t-il, Caporal ? »
Le guerrier sembla chercher les forces de parler, on voyait à quel point il avait travaillé durant cette nuit et qu'il ne savait quels mots employer.
« Une femme est venue me trouver... Elle aurait vu le corps inerte d'une bête en se promenant hier soir dans les fortifications mais elle n'a pas osé approcher et donc, comme... »
Genesis l'interrompit brièvement, n'ayant pas envie d'entendre le reste de ses paroles, il ne voulait pas que cela aille si vite.
« D'accord, où est-elle ? »
« Elle est retournée chez elle. »
Genesis acquiesça, sans le courage de demander au garde pourquoi il n'avait pas retenu la femme en question. Il soupira et après avoir salué le garde, ferma la porte, le regard vide. Il se dirigea vers sa garde-robe. Il s'habilla rapidement mais ne prit pas sa rapière... Il resterait dans son royaume, il n'en avait guère besoin et pour les éventuels ennemis, il gardait toutes ses autres capacités qui faisaient de lui un puissant guerrier. Pour l'éventuel dénouement de cette tâche, il avait besoin de ses deux mains.
Il sortit de sa tour et traversa le grand jardin jusqu'à sortir de l'enceint du Sommet des Arts. Il passa une main dans ses cheveux pour se réveiller, pour faire comme si cela suffisait à chasser ses pensées. Il avait jusque là cru avec un certain brin d'innocence et d'espérance, qu'il était parti pour la Terre des lions, lui désobéissant. Il s'était montré assez insistant comme s'il avait un réel besoin d'y aller. Mais cela faisait une semaine... En tant de temps, on a le temps de battre un simili, aussi puissant soit-il... Mais en une semaine, personne n'avait eu la chance ou la malchance de trouver le corps de cette « bête ».
Il regarda le sol et soupira une nouvelle fois... Il était énervé, fatigué et tout cela lui donnait mal à la tête... Une nouvelle question déchirait son âme ? Qui était assez puissant pour terrasser l'Astronome alors que même Genesis aurait des difficultés contre un tel adversaire ?
Il déploya son aile noire et s'envola en quelques petites secondes en direction bien entendu des fortifications... Ce don lui avait toujours offert l'opportunité d'atteindre une position en quelques minutes tout au plus... Quoi qu'il se passe dans la capitale de la Cité dorée, il pouvait atteindre le problème à la source sans mal. Et pourtant, quelqu'un était mort dans son domaine... Un membre du Consulat. A cette simple idée, il serra le poing. On voyait que ça l’agaçait mais seul l’ennui se lisait à cet instant, jamais on n’aurait pu deviner que quelques secondes à peine le retenaient de se mettre en colère…
Et il savait…
Il était arrivé aux fortifications, comme prévu en un rien de temps… Il ne sut pas vraiment où chercher et trouver le corps de cet ami avec son pouvoir de détection aurait été bien inutile. Il battit moins puissamment des ailes, moins régulièrement pour perdre de l’altitude… Il n’était plus qu’à dix mètres du sol et balayait d’un regard attentif toutes les fortifications, n’épargnant pas les endroits les moins accessibles…
Il en fit le tour une fois… Sans rien voir, espérant de tout cœur que cette histoire s’arrête là, que le corps n’eut pas été déplacé. Bon sang… Il crut pourtant y mettre toute son attention et sa concentration mais plus les minutes s’écoulaient, moins il gardait son sang-froid… Il dévia complètement sa trajectoire en se penchant vers la gauche et en battant des ailes, retournant sur son chemin… Et il aperçut Nanaki près d’un mur délabré. Il fendit en sa direction, sans réfléchir et atterrit brusquement à terre, manquant de trébucher. Il s’approcha de l’Astronome et un genou à terre, contempla sa mort…
Son regard se posa en premier lieu sur sa queue dont la fière flamme s’était éteinte. A cette vue, il fronça les sourcils et baissa la tête, fatigué… Aucun cœur qui ne bat plus, aucun souffle qui s’est perdu n’aurait pu aussi bien lui faire comprendre que le fils d’Uranie s’était lui aussi éteint.
Une pensée à Rivy lui fit mal au cœur, lui annoncer et la regarder comprendre lui feraient encore plus mal. En fait c’était le Consulat entier qui serait secoué par la nouvelle, c’était une grande perte, un très bon élément… Mais ce n’était pas à ce genre de choses qu’il pensait, ses songes étaient obscurcis par sa peine.
Il gonfla ses poumons et expira avant de regarder la gueule de Nanaki, ses yeux étaient ouverts, sa langue pendue… Son visage criait toute sa douleur et sa crinière n’avait plus sa classe d’autrefois. Le Tragédien n’avait pas tellement connu l’Astronome, disons même qu’ils n’avaient jamais atteint le stade de l’amitié mais quel qu’en soit le prix, il y avait eu une sorte de fraternité et de véritable compassion… Ils n’étaient pas différents, on ne les avait jamais considérés comme des hommes.
Une chose surprit le consul… Le corps était là depuis quelques jours déjà, il y avait quelques plaies mais… Pas un insecte, pas une larve pour souiller ce magnifique animal. Hélas, le Tragédien aurait voulu croire que les Muses avaient désirés qu’il reste intacte encore quelques temps mais il savait mieux que quiconque qu’elles n’accordaient plus d’importance à leurs fils morts ou écartés de leur voie.
Il baissa d’avantage le regard, balayant le sol autour de Nanaki et ses yeux ne furent pas tant surpris d’apercevoir finalement quelques petits insectes morts.
Il ne voyait que le poison.
Il était déjà certain que Nanaki avait été assassiné et que c’eut été fait par un biais aussi lâche, ce n’était en soi pas très important dans les faits. Mais pour Genesis, ce fut un indice de cette douleur que le fauve avait ressenti juste avant de mourir.
« A croire qu’il ne voulait pas que tu reposes en paix… »
Il… L’assassin. Et à cette simple pensée, il ressentit un souffle dans son corps et un picotement dans sa main gauche, aux bouts des doigts… Comme si l’énergie du brasier tentait de s’extirper de son corps pour exprimer toute sa rage bien qu’au fond, il sut très bien qu’instinctivement, il avait lui-même provoqué cette remontée.
Il ferma les yeux… Il n’avait aucunes raisons d’exploser maintenant, il pourrait se déchaîner, évacuer toute sa colère en temps voulu mais cela ne devait pas affecter son caractère… Tout comme l’épisode de Kadaj, le débordement lui était interdit…
Un jour viendrait où il trouverait le criminel.
Il posa une main sur la fourrure de Nanaki… Sans jamais l’avoir effleuré, il savait qu’il émettait jadis une grande chaleur et à présent, tout était parti. Il mit fin à cet acte, glissant ses mains en-dessous du corps de l’ex-consul, il le souleva, constatant que tous ses muscles étaient contractés, crispés au point que son corps entier ne bougea presque pas quand il le souleva… Nanaki pesait son poids mais pour Genesis, ce fut un soulagement bien qu’il ne sut jamais pourquoi… Avant de reprendre son envol, il bloqua bien l’animal tout contre lui.