- « La première fois qu’on s’aimera, tu te rappelles, celui de nous deux qui rira, perdra son ciel. Au fond de la nuit la plus longue, pour effacer le temps perdu, on s’aimera comme si l’amour n’existait plus… La première fois qu’on s’aimera, tu t’…
Ah, on est arrivé. »
Le Château de la Bête, tel était le nom de ce monde, ou plutôt était-ce le nom qu’on lui avait vite fait attribué, lorsqu’on apprit l’existence des autres mondes. Mais il ne fallait pas croire qu’il n’y avait qu’un château, château que je n’avais jamais vu d’ailleurs. Ce monde était très vaste, encore dans l’âge ou la nature règne. Des forêts, des grottes, des cascades. C’était un espace véritablement grandiose. Mais quelque part, toute la civilisation humaine devait subir cette évidence, ce monde était encore et toujours sous la loi du plus fort. Les animaux étaient nombreux et surtout, très dangereux.
… Comment est-ce que je sais tout ça ? Quelle question…
« J’avais oublié à quel point il faisait si bon vivre ici… »
« Ca fait combien de temps ? »
Je n’en savais rien et comptant dans mon esprit, j’ai fini par dire un peu au hasard…
« Six, sept ans… Un truc comme ça. »
C’était ici que j’étais né… Enfin, pas ici, ici… Pas dans une clairière mais dans un village à quelques kilomètres à l’Ouest. J’avais doucement posé mon vaisseau dans ce petit coin non loin d’une petite maison. Ici, personne ne venait sinon les animaux…
Mais j’avais tout de même un petit souvenir. Comme je vous l’ai dit, mon village est plus loin après une forêt faisant office de frontière. Mais pour venir rendre visite à une… Amie… Je venais régulièrement dans ce village-ci et il m’amusait de voir toujours une petite adolescente plutôt mignonne, peut-être un peu plus jeune que moi, qui passait sa vie dans ses bouquins. Elle était mondialement connu pour ça justement, parce qu’elle lisait tout le temps. Emmanuelle (mon amie) m’avait dit son nom… Et quelle surprise quand j’appris que c’était pour cette jeune fille que je venais.
(Non en fait, c’était pas vraiment une surprise, on m’a dit un prénom, on m’a dit qu’elle avait à un peu près mon âge et puis basta, j’ai du attendre deux bonnes heures dans le vaisseau pour me rappeler…)
Je viens de vous dire qu’elle était mondialement connue en exagérant monstrueusement, bien entendu. Mais là, c’était vraiment le cas. Elle était une Princesse de Cœur, comme ils appelaient ça. Quel que fut l’endroit où j’ai posé les pieds, je n’en avais jamais vu, c’était plus un mythe qu’autre chose pour moi.
Ripide regardait tranquillement le paysage qui, fallait bien le dire, était magnifique… Sans dire qu’il était possédé, il semblait faire quelque chose de vital. Je connaissais bien Ripide, ce qu’il faisait, c’est qu’il laissait simplement son âme se reposer.
Une chose simple.
Je lui ai laissé quelques minutes durant lesquelles je retournai dans le vaisseau pour y redéposer mon sabre. Pour ma mission, plus j’y réfléchissais et plus je me disais que je n’allais pas tout gâcher en le prenant avec moi. Si j’avais un problème, je ferais apparaître une autre arme… Maintenant si vous vous demandez pourquoi je ne faisais pas disparaître mon arme de prédilection comme toutes les autres, c’était juste par rituel…
Enfin soit, on est finalement parti… Nous ne sommes pas passés par le village et avons pris la direction de la forêt des loups.
Bon je n’ai pas grandi avec les loups, c’est sûr mais étant de ce monde et ayant ce pouvoir que vous commencez à connaître, j’ai eu l’habitude d’en voir. Parfois j’ai parlé avec certains, jamais lorsqu’ils sont en meute cependant. Quand, et cela arrivait, un loup solitaire errait près du village, c’était moi qui de mon plein gré le faisais partir.
Mais là, c’était différent, j’étais dans leur territoire. Nous n’étions même pas des loups solitaires mais des chiens errants.
Nous étions alors en soirée de fin d’Automne. Par chance, en ce jour, il ne faisait pas si froid, c’était tout à fait supportable. Malgré cela, nous devions subir un autre fléau de l’Hiver proche. Il n’était alors que 17 :00 et la nuit tombait déjà.
Nous ne faisions pour l’instant que surveiller les environs tout en scrutant la forêt, lorsque tout à coup, Ripide a levé la tête, brusquement.
« Je sens les ténèbres, ils approchent. »
Aussitôt il s’empara de sa dague et mit sa pipe dans le même fourreau, tout cela avec ses crocs. Je le regardai, troublé, admirant son sang-froid. Je fis apparaître un arc et une flèche dans mes mains et déjà, j’encochai la flèche et bandai la corde tout en regardant l’expression de Ripide. Par un regard balayant les horizons autour de nous, je compris que les ennemis venaient de tous les côtés. Je me mis alors dos à Ripide, visant déjà… Vint alors une vague d’ennemis, cinq ombres, peut-être plus. J’ai transpercé l’un d’eux en tirant ma flèche et aussitôt, ai remplacé mon arc par mes poings… Oui tout simplement. Ripide poignardait déjà l’un d’eux quand j’ai asséné une belle droite à une ombre qui l’attaquait. Il n’en restait déjà plus que deux…
Mais déjà, une deuxième vague est arrivée, une petite dizaine supplémentaire. Et tandis que déjà, je regrettais mon sabre, je me résignais sur les poignards. Je fis un grand saut vers l’arrière et m’accrochai à une branche solide d’un arbre avant de m’y hisser convenablement. Et de là haut, je lançais mes poignards sur les ombres, profitant du moment où elles sortaient du sol. Ripide ne pouvait me rejoindre mais n’était pas en danger, tandis que j’abattais un par un ces ombres…
C’était enfin fini pour ces deux vagues… Par prudence, je regardai de ma branche haut perchée les horizons. Il faisait trop sombre pour que je puisse voir clairement mais je pouvais apercevoir des centaines de petites lumières jaunes, perçant l’obscurité. Un tel éclat ne pouvait venir que des yeux brillants des ombres…
Je remplaçai une nouvelle fois les dagues par mon arc et une flèche et tout en l’encochant, ai crié.
« On court ! »
J’ai sauté de l’arbre et me suis mis à courir aux côtés de Ripide qui sans chercher à comprendre, m’obéissait. En nous redirigeant vers la route, nous eûmes une très mauvaise surprise… Déjà quelques taches sombres glissaient devant nous et sortaient des bosquets, bloquant l’accès à la route. Et à chacune des sorties qui nous étaient offertes, les ombres apparaissaient, de plus en plus. Si bien qu’au final, nous fûmes entourés de plus d’une centaine de ces créatures…
… Bon, je vous propose de changer de mode, je passe à la troisième personne du singulier parce que là, ça me gonfle… Je serai fixé, quoi…
Le visage de Yuri changea du tout au tout. Lui qui d’habitude, était souriant, parfois agacé certes mais il paraissait serein, content de vivre. Là c’était une véritable colère qui se lisait. Une colère face à une telle décision, ou face à une mort prochaine, va savoir. Mais il était bien assez fort pour abattre une centaine de sans-cœurs, malgré l’absence de son sabre. Cela il le savait. Peut-être aussi était-ce le fait qu’il était venu pour parler à des loups et non pour perdre beaucoup de son temps.
Non la vérité… C’est qu’il rageait de voir un tel paysage. Dans ses souvenirs, il faisait toujours beau chez lui, les nuits étaient fraîches mais chaudes. L’air était pur et revigorant…
Là, il y a avait… Les ténèbres.
Sans surprise, je vous le dis, il n’a pas de capacités comme ces grands guerriers des légendes qui lui permettraient de changer de forme, augmenter sa force, avec la colère. Il n’avait que cette perte de sang-froid que devait subir chaque homme devant un tel sentiment.
Pour Ripide, c’était hélas la même chose. Il semblait agité, ne faisait qu’observer les adversaires qui l’encerclaient. Il tenta tout de même quelque chose et se redonnant du courage, grogna, aboya et enfin hurla puissamment. La force qu’il dégagea de ce cri suffit à éloigner les sans-cœurs qui revinrent aussi vite…
« Ripide, tu vas fuir… Tu me rejoins ici dans dix minutes. »
« Tu rêves, on a une mission… Si tu te fais tabasser, je vais devoir te ramener jusqu’au vieil hibou comme la dernière fois et comme la dernière fois, tu échoueras lamentablement. »
« Attends, ça va, je suis pas assez nul pour me faire battre par ça. »
« Ouais mais t’as quoi contre eux ? Tu n’as pas d’eau, pas de feu, pas de sabre… Ca va te prendre deux heures avant de tous les éliminer. Et tu crois que t’es capable de tenir deux heures sans perdre ta concentration ? »
Le Gardien des Souvenirs devait bien lui reconnaître une qualité de tous les diables… Ripide avait toujours trois coups d’avance, pour le surprendre, laisse tomber… C’était probablement du à son cynisme mais ça en faisait un allié très efficace.
« Ok alors…
Coupé par un pressentiment, Ripide leva les oreilles et parut inquiet. Un hurlement… Un deuxième, un troisième… Il en vint alors plusieurs à la fois… Les ombres étaient toutes de plus en plus secouées quand une dizaine de chiens de grosse taille sortit de l’obscurité. Cinq autres restaient derrière les sans-cœurs et continuaient à hurler, les faisant exploser au bout d’un moment, sous la puissance de l’onde de leur cri.
Ripide baissa la tête discrètement, faisant un signe à son ami. Il s’agissait des loups.
En quelques secondes, l’effroi et les morts dans les sans-cœur suffirent à faire détaler tous les survivants. Après cela et dans un grognement, l’un des loups, particulièrement costaud fit comprendre aux autres qu’ils devaient encercler le duo.
Ils obéirent. Tous avaient cet air sauvage. Dans leurs yeux, on voyait qu’ils avaient souffert mais qu’ils ne se soumettraient pas.
« L’humain et son cabot dans mes terres… Quelle pitié espérez-vous de moi, maintenant ? »
L’un comme l’autre, ils devaient s’avouer quelque peu terrifié. Celui-là, le chef de meute, devait être vraiment redoutable.
Au sombre regard du loup, on pouvait deviner qu’il ne parlait qu’au cabot, donc Ripide. Mais ce fut Yuri qui osa répondre, tentant de dissimuler sa méfiance.
« Nous sommes venus vous présenter une requête de la part de… »
La meute fixa, étonnée, le jeune homme.
… Bon on repasse à la 1ère personne du singulier…
« Une requête ? »
« Entendez-là, je vous prie. »
« … »
Je pouvais ressentir chez ce loup une profonde souffrance. Quelques cicatrices ornaient son corps et c’était une trace de l’homme. Des blessures telles des coups d’épée, de lance, auxquelles il aurait survécu. Il était aussi noir que le charbon.
« Dans quelques jours… Des humains emprunteront cette forêt pour accéder au Château. »
« Si ce n’est que ça, on se fera un plaisir de nous contenter d’eux… »
« Je vous demande une trêve… Durant quelques jours, je vous prie de me promettre de ne plus attaquer l’humain. »
Le chef de la meute ne m’a pas semblé adorer mes paroles… Il s’est approché de moi et a commencé à grogner. Le genre de grognement impossible à traduire parce que c’était un simple grognement. Il montrait les crocs jusqu’à ce que Ripide s’interpose, pipe dans les crocs, surveillant ce loup. En taille et en force, ils avaient l’air de s’égaler. Il était vrai que Ripide était borne mais le loup, lui-même ne semblait pas en très bon état et il ne maîtrisait par une arme.
Le loup s’arrêta pour me regarder avec toute sa hargne et sa haine.
« Donc je vous laisserai passer… Vous emprunterez mes terres, je n’en serai plus le chef pendant quelques jours et sinon, rien en retour… Est-ce que vous vous foutez de nous ? »
Sur sa question, il haussa très fort la voix et aussitôt, deux loups m’attaquèrent par derrière tandis que Ripide connut le même sort. Avant même qu’ils ne me touchent, j’ai fait apparaître mon baton dans mes mains et en le tenant fermement, ai fait un coup d’estoc à l’un d’eux, le mettant au sol. Le deuxième put m’atteindre mais je le frappai d’un revers de ma main droite avant de l’assommer avec ce même bâton. Avec une fureur dans le regard, je me suis retourné vers les loups et ai pointé mon bâton vers eux comme pour les défier. Ils n’ont pas osé…
Ripide n’eut pas mon instinct. Les deux loups le tenaient au sol de leurs pattes. Je m’apprêtais à attaquer quand le chef ricana.
… On repasse…
« Fais ça et ils l’égorgent. »
Etait-ce vrai ? Auraient-ils le temps de l’écraser et de l’abattre avant que des dagues ne viennent transpercer leur gorge ?... Probablement pas, Yuri n’excellait pas quand il s’agissait de combattre des dizaines d’ennemis à la fois mais quand il n’y en avait qu’un ou deux, il devenait sacrément redoutable et terriblement rapide.
Néanmoins, il avait une mission et il ne voulait risquer la vie de son meilleur ami. Il n’était guère un garçon lunatique mais en cet instant, il avait récupéré son sang-froid, il parla d’une voix peu chaleureuse et sympathique quand il reprit le dialogue.
« Votre refus va avoir des conséquences désastreuses. Faîtes cela et c’est votre race que nous allons devoir exterminer… Et ce sera, certes avec des regrets, que je mènerai la chasse. Maintenant pensez bien que si vous acceptez, nous ne l’oublierons pas. Et ce que viendront faire ces quelques hommes, croyez bien que ce ne sera pas vain, cela contribuera à ce que ce monde redevienne pure comme avant. Qu’il ne souffre plus des ténèbres. »
A cette dernière remarque, Yuri perçut comme un intérêt dans la meute, ceux qui retenaient Ripide ne se concentraient plus, il aurait même pu se débarrasser de ces deux-là sans le moindre problème, à présent.
Ce dernier, tout en étant couché, grogna quelques mots.
« Et si on se quittait tous sans trop de blessés ? »
… Une dernière fois…
A cette dernière parole, j’ai jeté un regard vers les deux loups que je venais de mettre au tapis. Ils étaient vivants et déjà debout, ça m’arrangeait… Le chef de la meute nous regardait toujours avec dégoût et alors qu’il s’apprêtait à me bondir dessus et pour de bon, une louve blanche prit la parole sans crainte.
« Coal… La meute accepte la proposition des humains. Faisons ce qu’il dit, nous n’y perdons que quelques jours et pas vainement. »
Lorsqu’elle parla, je pus voir une certaine crainte de la part de ce Coal. Il daigna à m’accorder un dernier regard…
« Pas de coup bas, humain, où nous te retrouverons. »
« N’ayez crainte. »
Et aussi simplement, ils sont partis… Cette fois-ci, c’est moi qui ai porté Ripide jusqu’au vaisseau, selon ma volonté. Il n’était que peu blessé, mordu à quelques endroits mais je ne voulais pas que de telles blessures s’agrandissent ou s’infectent… Un choc par journée, ça me suffisait.