- Lorsque sonne le clairon pour un proche, on regrette souvent la dernière parole qu’on lui a adressée, vous n’êtes pas sans le savoir, chacun de nous fut un jour confronté à cette épreuve. Malencontreusement, le destin fait que nous n’avons guère beaucoup d’occasion de saluer dignement quelqu’un lorsqu’il s’en va, sans que l’on sache au préalable qu’il va périr.
Ce qui est plus rare tout en étant assez courant, c’est de s’imaginer, proche de la mort et d’anticiper nos propres paroles que l’on espère émouvantes aux intimes. L’un mériterait de l’amour, un autre recevrait de la gratitude pour tout ce qu’il a apporté. Hélas, l’homme est ainsi fait, il pense mais ne dit pas tout ce qu’il aurait à dire, avant de mourir.
Et c’est ce qu’on appelle la vie, paradoxalement.
Le Démon Tranchant avait tout quitté, une heure auparavant. La dernière personne à qui il avait parlé n’était plus de ce monde, le dernier ami qu’il avait salué était un animal, le dernier cri qu’il entendit était celui d’un homme qui commandait les tirs d’une vingtaine d’homme contre lui.
Mais ce n’était certainement pas pour cette bagatelle que Yojimbo avait quitté son monde d’accueil pour cette parcelle de terre, reliée à la Cité du Crépuscule. Celle-ci était difficile d’accès et c’est sans aucune raison valable que le mercenaire prit la bonne route pour arriver en ce lieu. Il s’était juste senti comme guidé par son âme, par son instinct de survie… Sans doute dans ses derniers instants, son âme ne pouvait être arrêtée par ce qui était « difficile à trouver ».
Et s’il avait du emprunter les rues salies par les ténèbres de la Cité du Crépuscule, humant le parfum de la mort, ne cherchant nullement à se cacher des dirigeants de cette cité.
Il était maintenant agréablement surpris, s’il est encore possible d’être surpris au seuil de la mort, par le changement brusque d’odeur, en ce lieu. Ce dernier semblait comme épargné par toutes les forces du mal.
Oui, Yojimbo marchait dans le chemin du milieu, celui de l’aube. Et pourtant, à ces derniers instants, il s’en était écarté, voulant accomplir un ultime devoir.
Une allée verte parsemée d’arbustes, menait à un lieu qui inspirait le mystère lui-même, une tour asymétrique, sans aucune harmonie certes mais toutefois belle. La légère pente où se jonchaient les herbes et fleurs naissantes apaisa l’esprit du rônin qui doucement marchait vers le parvis de la tour. Pour la première fois depuis quelques semaines déjà, il marchait sans crainte ni méfiance, sa main gauche ne s’apprêtait guère à brandir le drapeau de la violence.
Il arriva finalement à quelques mètres devant l’escalier menant à une grande porte qu’il imaginait close. Il se posa alors, droit et machinalement, leva sa main, son index et son majeur pointés vers le ciel et la mit devant son visage, baissant aussitôt la tête. Depuis fort longtemps, il avait ce réflexe qui l’aidait à réfléchir. Mais réfléchir à quoi ?
Peut-être à son existence, sa très longue vie qui ne se comptait plus en année.
Ou pourquoi pas à son expérience, à ce qu’il avait vécu, à repasser en lui les meilleurs souvenirs.
A ce qu’il adviendrait des autres, maintenant qu’il allait partir…
Ce à quoi il réfléchissait, seul lui le sut… Ce que moi je sais, c’est que sa vie fut triste et trop longue… Et pour le comprendre, il aurait fallu…
Non, nul ne pouvait le comprendre, il était trop tard… Et c’était, à mon avis, cela qui lui fit le plus peur, aux dernières minutes de son existence. Peut-être était-ce cela qu’il se disait malgré son regard serein et stoïque jusqu’à la fin.
N’est-ce pas le plus triste des dénouements ? Mourir sans être compris.
Lorsqu’il ouvrit enfin les yeux, un homme était debout face à lui. Cet homme avait le regard de celui qui n’aimait pas être déçu, la majesté du plus grand des sages et la vieillesse du roc. Le rônin ne réagit qu’en abaissant sa main droite pour la ramener le long de son corps, en dessous de sa longue cape. Il le surpassait largement de taille mais respectait la noblesse dans le maintien de cet homme. Deux minutes au moins passèrent sans un bruit, sans un geste du samouraï. Malgré ses paroles, il tenait à repousser le moment où il aurait à rendre son âme, où il allait enfin rejoindre les autres chimères. Mais les esprits étaient attentifs et impatients, apparemment, rappelant Yojimbo en réveillant la migraine d’il y a une heure à peine.
Le guerrier, dès l’instant où il sentit la douleur revenir, mit un genou à terre, s’agenouillant respectueusement comme il ne l’avait plus fait depuis longtemps, baissant la tête, cachant son masque de son chapeau.
« Mon nom est Yojimbo, mercenaire autrement connu sous le titre du Démon Tranchant. J’étais autrefois une Chimère. Et j’ai entendu parler de votre sagesse, Maître Yen Sid. Je suis ici pour la quérir. »
Il se releva aussitôt, sans effort, il se remit droit et dans un équilibre parfait.