« Je suis désolé Madame, j'ai reçu pour ordres de ne laisser entrer personne. »

La personne qui venait de prononcer cette phrase était un garde du Château Disney. Il ne s'agissait pas d'un homme, mais d'un animal, comme la plupart des habitants de ce monde. En l'occurrence il s'agissait d'un porc, sanglier, cochon, peu importe, il était répugnant, et son uniforme trop serré lui donnait une allure ridicule. Et il se tenait bien droit, ou essayait, appuyé sur sa lance, de toute évidence beaucoup trop lourd pour pouvoir être supporté par ses deux jambes, ou plutôt ses deux morceaux de graisse qui pendouillaient mollement de chaque côté de son bassin. Qu'il était laid! Il en donnait presque la nausée! En face de lui, une vieille femme se tenait, voutée, sa silhouette drapée dans un long manteau brun rapiécé, son visage en partie dissimulé par un capuchon qui laissait toutefois deviner ses traits ridés. Elle toussa un instant avant de tomber, un genou à terre, tendant désespérément la main vers le porcelet. A bout de forces, elle le laissa cependant retomber à terre, trouvant tout juste le courage d'articuler...

« A... Boire... Manger... »

Et elle se courba un peu plus, anéantie par la fatigue. Sur de son autorité, le tas de viande se dandina lamentablement sur place, trop veule pour l'aider, trop couard pour enfreindre les ordres qu'il avait reçu. Il soupira terriblement, comme s'il se vidait de ses entrailles, avant de répondre de sa voix nasillarde et agaçante.

« Madame, c'est... Je... C'est contraire au règlement institué par Maître Yen Sid! »

La mendiante tomba à terre, terrassée par le poids des années, de la misère et de la fatigue. Elle s'écroula dans l'herbe du Jardin, et cessa de bouger complètement. Il s'écoula quelques secondes avant que le garde ne se décide à étudier son cas, certainement pris de remords, ou bien poussé par les piaillements accusateurs des oiseaux qui semblaient dire "Ne laisse pas mourir cette femme, sot." Après des efforts incommensurables, la créature grassouillette parvint au niveau du corps, et se pencha bêtement au dessus.

« Madame... ? Est-ce que ça v... »

Il n'eut pas le temps d'achever sa phrase. La mendiante se redressa brusquement pour lui attraper le visage dans une main. Elle posa l'autre contre sa figure, et une flèche apparut dans sa paume... Une seconde. C'est ce qu'il lui avait fallu pour détruire le cervelet de cette pathétique créature. Le corps plein de graisse tomba lourdement sur le sol, chutant de tout son poids, et la vieille femme se releva... Retirant lentement son manteau miteux, Ultimecia se dévoila au grand jour. Finalement libre d'exprimer ses véritables émotions, elle lança un regard plein de mépris au cadavre qui gisait au sol, aussi répugnant mort que vivant. Il lui en avait fallu du courage pour se retenir d'abréger au plus tôt l'existence inutile de cette chose, mais cela eut été au risque de déclencher l'alerte, et elle ne pouvait se le permettre. Enfin, la Sorcière avait désormais assouvi son besoin, et venait d'ouvrir en grand les portes qui menaient à l'intérieur du Château Disney. Elle enjamba le corps, prenant garde à ne pas le toucher, et poussa la porte qui lui permettrait de quitter les jardins, porte qui était d'ailleurs nouvellement décorée d'une longue trace de sang porcin... Et c'est ainsi qu'invisible, elle pénétra dans le repaire de la Lumière.

Elle avançait d'un pas prudent, guettant à chaque instant, vérifiant que la seule présence ressentie était bel et bien la sienne. La moindre erreur serait fatale, du moins pour ses objectifs. A un rythme posé, Ultimecia parcourut plusieurs couloirs, se dissimulant derrière les colonnes et patientant une minute entre chaque nouvelle traversée. Elle finit par monter des escaliers, le bruit de ses pas étouffé par un long tapis rouge lui permettant d'y aller rapidement. Elle se stoppa tout de même au beau milieu de ces marches, ses sens mis en alerte par une présence nouvelle. D'autres gardes, ou bien des guerriers de la lumière qu'il lui faudrait à tout prix éviter ? Des bribes de conversation lui fournirent la réponse...

« Hé, Biggs, pourquoi tu crois qu'Yen Sid veut qu'on reste dans ce couloir ? »

La Sorcière s'approcha un peu plus, et se dissimula au coin d'un mur, observant avec description la scène qui prenait place dans un long couloir... Au beau milieu de celui-ci, il y avait une porte gigantesque, et à l'autre bout, elle pouvait distinguer une autre sortie. Deux gardes étaient présents, l'un était un vautour, celui qui venait de parler, et le dénommé Biggs se révéla être un renard.

« Maître Yen Sid! Et qu'est-ce que tu veux qu'j'en sache ? Les ordres c'est les ordres Wedge! »

« Ouais, t'as sans doute raison... Au fait vieux, tu me dois un coup, alors ce soir... »

Mais on ne sut jamais ce qu'il allait se passer ce soir. Ultimecia s'assura une dernière fois qu'elle était seule avec ces deux là, et elle se mit à découvert, suffisamment proche du vautour pour l'attraper par derrière en passant son bras autour de sa gorge pour l'étrangler. D'un geste rapide, elle leva son second bras, et tira une volée de flèches vers le renard qui n'eut pas le temps de réagir avant de se retrouver criblé de part et d'autre, volant sur quelques mètres avant de retomber au sol, mort. La Sorcière profita de cet instant d'intimité pour resserrer un peu plus son bras autour de la gorge du sinistre oiseau qui suffoquait déjà. D'une voix douce, elle lui chuchota à l'oreille.

« Wedge, si vous tenez à votre avenir, je vous conseille de me raconter une histoire... Une histoire qui me dit où mènent ces portes que vous gardiez, et ce qu'elles cachent... »

Le garde tenta vainement de se débattre, agitant ses bras ailés, mais déjà l'air se faisait rare...

« Reurgl... Teuh... La grande porte... Mène à la Salle d'Audience... Argl... Et la petite... A... La Bibliothèque... Je ne sais rien d'autre! »

Inutile de s'encombrer de lui plus longtemps. Ultimecia posa ses deux mains de part et d'autre de son crâne, et elle le tourna brusquement vers elle, lui brisant la nuque sèchement. Débarrassée des derniers gêneurs, elle décida finalement de se rendre dans la bibliothèque. Cette dernière était plus petit que ce qu'elle aurait imaginé, mais suffisante pour concrétiser ce qu'elle avait imaginé. Comme par miracle, sur un piédestal, un livre reposait ouvert. Elle s'en approcha et le saisit religieusement pour en lire le titre, Les arcanes de la Magie. Prometteur... La Sorcière décida de se permettre de l'emprunter. Mais avant de quitter les lieux, il restait une dernière chose à faire... Ultimecia se concentra sur l'une des étagères, et par la pensée en fit sortir quelques livres qu'elle laissa tomber dans un coin de la pièce. Elle déplaça les derniers qui restaient, si bien que leurs positions au sein de l'étagère formaient un XIII gigantesque... Cela avait peu de chances de leur faire croire à un attentat de l'Organisation, mais dans le doute. Pour finir, la Sorcière se débarrassa de son manteau de mendiante, seule trace de son passage en ce monde, et lança un sort de foudre dessus pour l'enflammer. Une fois la tunique à moitié consumée, elle la projeta au milieu du tas de livres, embrasant le tout dans de grandes flammes. Et la Songe s'éclipsa.